Depuis mars 2017, les généralistes peuvent prescrire de l’activité physique adaptée à leurs patients en affection longue durée (ALD). Les bénéfices du sport sur ces maladies chroniques sont reconnus. Pour autant, un an après son lancement, le sport sur ordonnance est en panne. Le manque de financement, le flou sur l’offre de sport adapté dans les territoires et l’insuffisante formation des médecins expliquent ce retard.
À la manière d’un coureur cycliste en pleine fringale à quelques encablures du sommet du Mont Ventoux, la prescription de sport sur ordonnance fait du sur-place. Inscrit dans la loi santé 2016, né officiellement avec la parution d’un décret d’application en mars 2017, le dispositif se heurte à plusieurs obstacles. Certes, le cadre réglementaire a permis la promotion du sport-santé et de multiplier les initiatives locales, comme à Strasbourg, Grenoble ou encore Biarritz. « On a aussi vu émerger des éducateurs d’activité physique adaptée (APA) qui se sont rapprochés des médecins », ajoute le Dr Margot Bayart, généraliste au sein de la maison de santé de Réalmont (Tarn), où de l’activité physique adaptée (APA) est proposée en collaboration avec une infirmière Asalee. Mais en dehors de réseaux sport-santé inégalement développés en région par les collectivités ou les professionnels de santé eux-mêmes, au niveau national, c’est le flou artistique.
Mis à part les chiffres parcellaires des fédérations ou des réseaux locaux, la réussite du dispositif est difficile à quantifier. Ni remboursée pour le patient, ni valorisée par une cotation spécifique pour le médecin traitant, la prescription de sport n’est pas traçable par l’Assurance maladie. Les acteurs du sport-santé sont cependant unanimes : les généralistes s’y perdent (voir témoignages p. 10) et la loi montre ses limites.
Formation insuffisante
Pour le Dr Valérie Fourneyron, ex-ministre des Sports et initiatrice de l’amendement, la prescription est même « en panne ». Agnès Buzyn et la ministre des Sports Laura Flessel ont d’ailleurs demandé au député LREM de Moselle Belkhir Belhaddad une mission flash sur le sujet en janvier 2018 et commandé un rapport à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et à l’Inspection générale de la jeunesse et des sports (IGJS). Les conclusions de ces travaux rendus en mars dernier sont unanimes : il faut en premier lieu mieux former les médecins. L’Igas propose d’intégrer des modules dans leur formation initiale, le sport demeurant absent de leur cursus. Quelques formations continues existent cependant. Le Généraliste en a répertorié une vingtaine sur le site de l’Agence nationale du DPC. Jean-Marc Descotes, ancien karateka de haut niveau et cofondateur de l’association CAMI Sport & Cancer, accompagne dans une vingtaine de départements les personnes en traitement ou en rémission d’un cancer. « Les médecins ont fait 10 ans d’études, ils connaissent la maladie. Ils ont juste besoin d’un petit appui supplémentaire. Une formation continue de huit heures leur permet déjà de comprendre les grands axes de la prescription sur ordonnance », estime-t-il.
Les médecins du sport veulent intégrer à la ROSP la prescription d’activité physique
Le Syndicat national des médecins du sport-santé (SNMS-Santé) le déplore : malgré l’évolution réglementaire, le sport sur ordonnance est en berne.
Afin de transformer en réflexe la prescription d’activité physique aux patients chroniques, le SNMS-Santé demande depuis plusieurs années un indicateur spécifique dans la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP). Une requête réitérée le mois dernier, en vain pour l’instant.
« Cela inciterait les médecins à prescrire de l’activité physique en même temps que le reste de son traitement », argumente le Dr Bruno Burel, secrétaire général du SNMS-Santé. Cette mesure permettrait aussi à l’Assurance maladie de mesurer l’effet du sport sur ordonnance. « On pourrait par exemple voir si ces patients diminuent leur traitement contre l’hypertension », fait-il valoir.
Consultation spécifique Le SNMS-Santé réclame également la création d’une consultation et d’une cotation spécifiques à la prescription d’activité physique. Cet acte, qui « ne peut pas durer moins de 45 minutes », devrait être rémunéré une cinquantaine d’euros, estime le Dr Burel. Surtout, ces consultations généreraient selon lui des économies car l’activité physique est « dénuée de coût (pour l’Assurance maladie, ndlr) ».
« La Sécu est encore au Moyen-Âge, assène Bruno Burel. Elle ne pense qu’au médicament alors que l’activité physique est une des thérapeutiques les plus efficaces dans les affections chroniques. »
Enfin, comme l’Igas, le SNMS-Santé plaide en faveur d’une intégration de la prescription d’activité à la formation initiale. « Quand mes collègues médecins du sport et moi démarchons dans ce sens les départements de médecine générale de la plupart des universités, on nous répond : “Il y a déjà tellement de choses qu’on ne parvient pas à faire. On ne peut s’ajouter cette tâche” », regrette Bruno Burel.
Prescription risquée ?
La prescription d’activité physique aux patients en ALD pose aussi la question de la responsabilité du prescripteur. Sur legeneraliste.fr, vous êtes nombreux à vous demander quel est le risque médico-légal si l’activité physique préconisée s’avère dangereuse pour le patient. La MACSF se veut rassurante. « Nous avons déjà intégré cette activité à nos contrats de responsabilité professionnelle, sans coût supplémentaire », indique le Dr Thierry Houselstein, directeur médical du groupe. Et de préciser : « Dès lors qu’il s’agit d’une prescription, le médecin engage sa responsabilité et doit vérifier l’adéquation de cette ordonnance avec l’état de santé du patient, sa capacité à suivre cette activité et recueillir le consentement de l’intéressé. » Pour le Dr Margot Bayart, le risque est ailleurs. « Se remettre au sport de façon sauvage en ayant arrêté de fumer depuis 15 jours, c’est dangereux. Ces patients doivent être suivis par leur médecin traitant. » Selon la généraliste, il faut aussi « se fier aux éducateurs APA, qui ont une formation axée sur ces maladies ».
Où adresser son patient ?
Encore faut-il que le généraliste ait une idée de l’offre de sport adapté sur son territoire. « Si on veut prescrire de l’activité, il faut un réseau. On ne peut pas prescrire dans le vide », confirme le Dr André Prunier, généraliste et fondateur du programme Chablais sport sur ordonnance à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie). Si dans la loi, les offres sont censées être centralisées par les Agences régionales de santé (ARS) et les directions de la jeunesse et des sports, ces institutions n’ont pas toutes effectué ce recensement. Un véritable site national de référencement des structures adaptées fait ainsi toujours défaut. Comme le préconisait l’Igas, l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité (ONAPS) travaille actuellement avec le ministère des Sports à un portail d’informations national.
Le généraliste peut aussi se trouver désœuvré face aux différents professionnels du sport qui dispensent de l’activité physique adaptée. « Un nombre croissant d’acteurs mal identifiés prétendent faire du sport-santé, analyse Jean-Marc Descotes. À la CAMI, nous avons répondu à cette problématique avec la création d’une hyper-spécialisation en thérapie sportive en cancéro. » Ces acteurs du sport-santé peuvent aussi bien être des kinés, des éducateurs APA formés de niveau licence ou des coachs sportifs ayant reçu une formation supplémentaire. La seule condition réglementaire est l’obtention d’un diplôme d’état. « Il y a là une vraie révolution culturelle. On confie les malades à des acteurs qui ne relèvent pas du code de la santé », ajoute Valérie Fourneyron. Faut-il déterminer une seule catégorie de professionnels du sport adapté pour les ALD ? Pour l’ancienne ministre, au contraire, « il y a de la place pour tout le monde » et le médecin sait quel professionnel est le plus pertinent selon l’état du patient.
Peu de références et aucun remboursement
Le flou ambiant est aussi scientifique. Le prescripteur ne sait pas où chercher l’information, et quelle activité prescrire selon la pathologie. Pour cela, il peut consulter le “médico-sport-santé” du Comité national olympique et sportif français élaboré en 2017, sorte de Vidal du sport. Attendu après l’été (voir interview), un guide de recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) sur la prescription pour les patients en ALD devrait par ailleurs constituer un réel atout pratique. La question du remboursement, inexistant aujourd’hui, pourrait également bien être rouverte à la suite de ce positionnement des sociétés savantes. Pour Jean-Marc Descotes, la demande d’un rapport Igas montre en tout cas qu’« Agnès Buzyn et Laura Flessel sont sensibilisées à cette problématique ». Le financement se cantonne actuellement au bon vouloir des ARS, des collectivités locales ou de certaines mutuelles qui proposent des forfaits annuels (jusqu’à 500 euros par an et par patient en ALD à la Maif et jusqu’à 200 euros par an selon les revenus à CNM Prévoyance).
Le cofondateur de la CAMI sport et cancer nuance cependant : « Il n’y a aucune raison de rembourser la lutte contre la sédentarité chez un patient stabilisé. Il faut le faire pour les malades chroniques non stabilisés. Pour cela, on manque aussi d’une étude médico-économique significative sur le sport-santé. » Du côté des médecins, la prescription de sport n’est pour l’instant pas non plus matérialisée. « Tout ce qui est fait par le généraliste pour changer les habitudes du patient doit être valorisé », estime le Dr Bayart. La généraliste du Tarn évoque la piste d’une consultation longue dédiée, mais penche plutôt pour une rémunération forfaitaire, plus adaptée à sa pratique en collaboration avec une infirmière Asalee. La rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) pourrait donc être un levier à actionner pour doper les prescriptions (voir encadré). Pour Valérie Fourneyron, le temps presse : « La profession doit se saisir de cette prescription et en accélérer le mouvement pour éviter les pertes de chance. » Les pouvoirs publics et les médecins doivent mettre un nouveau coup de pédale pour faire décoller le sport sur ordonnance.
VOS TÉMOIGNAGES
> Former des coachs « Le sport sur ordonnance ne concerne que les patients en ALD, ce qui constitue déjà une limite, la vraie prévention étant primaire, par exemple pour les personnes obèses, qui ne sont pas, elles, en ALD. Mais surtout, aucune prise en charge n’est prévue, sauf par les collectivités. Peut-être faudrait-il inciter les clubs sportifs à former leurs coachs, et ainsi leur attribuer un label comme cela se fait déjà ici ou là. Puis les encourager à proposer des tarifs préférentiels aux patients concernés. Et enfin, nous avertir de tout cela, nous autres prescripteurs, pour nous faciliter un peu le boulot. » Dr Bernard Juchs, Orbey (Haut-Rhin)
> Manque d’information « Aucune idée de comment le sport sur ordonnance se prescrit, ni où adresser mes patients, ni comment c’est pris en charge et par qui… Bref, ce flou artistique limite la prescription. » Dr Nathalie Courbion, Ham-sous-Varsberg (Moselle)
>Responsabilité « J’accepte de “conseiller” une activité sportive mais je ne le mettrai jamais par écrit sur une ordonnance. Avec l’esprit actuel, imaginez qu’un patient décède de n’importe quoi dans les 15 jours qui suivent la prescription d’une activité sportive X ou Y… Vous vous retrouvez au tribunal ! » Dr Richard Guidez, Fresnes (Val-de-Marne)
>Perdu... « Je n’en ai jamais prescrit ! On m’a demandé une fois la semaine dernière si je pouvais, j’ai cherché et n’ai pas trouvé comment faire. » Dr Georges Delamare, Blois (Loir-et-Cher)
>Valorisation « Je ne prescris pas de sport sur ordonnance pour plusieurs raisons. 1. Ce n’est pas pris en charge. 2. Cette prescription pose un problème de responsabilité. 3. Il ne me semble pas que nous respections le secret médical en partageant des renseignements médicaux avec un coach de gym. 4. Des questions demeurent sans réponse à ce jour : combien cette consultation spécifique de prescription de sport doit-elle être payée ? Est-elle remboursée ? Et par qui ? » Dr Marc Castaner, Manosque (Alpes-de-Haute Provence)