Article réservé aux abonnés
Dossier

Erreurs médicales : quand les biais cognitifs sont en cause

Par Sabrina Moreau - Publié le 23/09/2022
Erreurs médicales : quand les biais cognitifs sont en cause

Ces raccourcis mentaux permettent des prises de décision fiables et rapides… la plupart du temps
Phanie

Le médecin n'échappe pas aux biais cognitifs dans sa pratique quotidienne. Ces raccourcis mentaux, qui sont nombreux, peuvent inconsciemment orienter vers un mauvais diagnostic. Avoir sans cesse conscience de leur existence et en connaître les différents types est un premier pas pour tenter de les contourner.

Aujourd’hui, le Dr Séchan*, urgentiste à l’hôpital, reçoit Madeleine*, qui se plaint d’une oppression thoracique et de grande fatigue. La patiente de 32 ans ne présente aucun problème de santé. Le jeune médecin conclut à une attaque de panique et la renvoie chez elle avec des anxiolytiques. Le lendemain, Madeleine perd conscience chez elle. Elle est immédiatement admise… en cardiologie, à cause d’un infarctus.

Quelques mois plus tard, la direction convoque le Dr Séchan. Cette fois, il s’agit de parler de ses trop nombreuses demandes d’examens complémentaires du cœur, coûteux et souvent inutiles, spécifiquement lorsqu’il s’agit de jeunes patients à faible risque cardiaque.

Depuis l’épisode de l’infarctus de la jeune femme, le médecin s’est laissé guider par des biais cognitifs. Mais lesquels ?

L’intuition médicale

Bien souvent, face à des symptômes, le praticien fait appel à son intuition médicale. Ce terme désigne le traitement subconscient, automatisé, d’une multitude de données digérées de longue date lors de la formation et de l’expérience antérieure du praticien (1).

Typiquement humains, ces raccourcis mentaux permettent des prises de décision fiables et rapides… la plupart du temps. Régulièrement toutefois, l’intuition induit en erreur. Si la pensée n’est pas ralentie et réévaluée, le diagnostic correct peut être en danger. Les biais cognitifs mènent à une sur- ou une sous-estimation d’une maladie, ou bien empêchent d’envisager le faisceau des possibles.

Concernant Madeleine, le médecin s’est laissé avoir par le biais de confirmation. En premier lieu, le praticien pose un prédiagnostic pertinent, influencé par les statistiques : une jeune femme a très peu de risque d’infarctus. Mais le Dr Séchan en a fait une certitude et s'est alors empêché, inconsciemment, de voir d’autres symptômes contradictoires pourtant manifestes : troubles digestifs, nausées.

Presque 400 erreurs annuelles à l’hôpital

Le biais de réminiscence a pris le relais. Ce dernier peut orienter vers un diagnostic à cause du souvenir d’une mauvaise expérience. L’épisode de Madeleine lui a fait associer l’infarctus au jeune âge, faisant passer à un nombre irraisonné de trentenaires un coroscanner.

En 2011, l'enquête nationale sur les événements indésirables liés aux soins (Eneis) annonçait le chiffre apparemment stable de 380 erreurs médicales annuelles à l’hôpital. Commanditée par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), l’étude imputait ces événements à un manque de temps, à une rupture dans la continuité des soins, au non-respect des protocoles, à une supervision insuffisante ou à un déficit de communication entre professionnels. Mais surtout, elle pointait un nombre important de « défaillances humaines » chez les professionnels. Pour certains chercheurs (3), les erreurs médicales relèveraient davantage de biais cognitifs que d'un manque de connaissances. 

Un lien entre attractivité de la patiente et bon diagnostic

Si les biais cognitifs sont nombreux, une poignée d’entre eux détermine une grande part des erreurs de diagnostic. Attention notamment à l’affect. Si le médecin éprouve des sentiments négatifs envers un patient, il pourrait ne pas rechercher activement de résolution thérapeutique. En 2016, une étude d’Evangelia Tsiga de l'Aristotle University of Thessaloniki dévoilait un lien probable entre attractivité physique et bon diagnostic. Les médecins hommes testés, ayant la charge d’ausculter des femmes de 25 ans (préalablement évaluées par des tiers sur leur attractivité), étaient 3,67 fois plus susceptibles de manquer le diagnostic de néphrolithiase ou de cystolithiase sur les radiographies des patientes jugées peu attrayantes.

Attention aussi à l’erreur de représentativité, cette tendance à fonder son jugement ou à prendre une décision à partir d'éléments validés pour une population beaucoup plus large. Un praticien la commet lorsque, face à des douleurs thoraciques sévères et aiguës avec des dorsalgies chez un homme de 20 ans, il privilégie le diagnostic d’anévrisme disséquant de l’aorte thoracique, exceptionnellement rare chez un patient de cet âge en bonne santé.

Le praticien doit également rester vigilant face à la fermeture prématurée, ce réflexe qui le pousse à conclure trop rapidement. Une telle erreur est fréquente avec les malades chroniques. Une femme migraineuse présente un mal de tête sévère : le praticien l’impute à son état, alors qu’en réalité elle développe une hémorragie sous-arachnoïdienne.

Relevons aussi l’erreur d’attribution, qui nous soumet à nos stéréotypes négatifs. Par exemple, face à un patient dégageant une odeur d’alcool, le médecin suppose que la perte de conscience est liée à l’ivresse et ne recherche pas de blessure intracrânienne.

L’effet de cadrage représente aussi un grand risque d’erreur médicale. Ici, on se laisse influencer par des informations recueillies en amont. Comme dans ce cas où un confrère prévient un chirurgien que le patient était extrêmement anxieux avant l’opération. L’agitation postopératoire sera à tort imputée à sa personnalité plutôt qu’à l'hypoglycémie.

Le biais de disponibilité, apparenté à l’effet de cadrage, désigne la tendance à surestimer les informations immédiatement disponibles à notre mémoire. Par exemple, confronté depuis plusieurs semaines à une épidémie virale provoquant des pneumopathies, un médecin impute les symptômes d’une jeune patiente à cette infection, malgré des résultats d’examen dénués de signaux infectieux. Elle présentait en fait une intoxication à l’aspirine.

Quant au biais de résultats, il intervient lorsqu’un praticien se réfère à sa pratique antérieure et qu'il attribue systématiquement une issue positive au bien-fondé de ses décisions. Alors qu’en fait, parfois, un bon résultat peut se produire malgré une mauvaise décision clinique, et vice versa.

*Personnages et mise en situation fictionnels
(1) Les deux vitesses de la pensée, Daniel Kahneman, éditions Flammarion
(2) K. Shojania et al, Jama, 2003. doi: 10.1001/jama.289.21.2849
(3) J. Zhang et al, Journal of the American Medical Informatics Association, novembre 2002, doi.org/10.1197/jamia.M1232

S. M.