Faute de preuves très concluantes, l’utilisation du cannabis comme antidouleur est loin de faire l’unanimité scientifique. En témoigne le débat suscité par ce sujet lors du Congrès de la Société française d’étude et de traitement de la douleur. Pourtant de plus en plus de pays ont sauté le pas. En France la mise à disposition du Sativex® se fait toujours attendre.
L’usage du cannabis pour soulager la douleur suscite un débat passionné, dans un contexte au moins aussi médiatique que scientifique. Avec l’usage compassionnel du cannabis (culture et usage personnels tolérés) dans le glaucome, le cancer ou la SEP aux États-Unis, et la surmédiatisation de cette substance « naturelle », l’idée du cannabis « antidouleur » a fait peu à peu son chemin dans les esprits. Avec à la clef, la mise à disposition récente de spécialités de cannabis à visée thérapeutique pour les douleurs de la SEP et les douleurs neuropathiques d’origine centrale ou cancéreuse dans un nombre croissant d’états nord-américains et européens,
Mais, en réalité, les preuves des vertus analgésiques de la plante de cannabis – espèce Cannabis sativa – sont peu nombreuses et restent controversées comme en témoigne le débat qui a eu lieu sur ce sujet lors du Congrès de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (Bordeaux, 24-26 novembre 2016).
Des études de faible puissance
Depuis une dizaine d’années, la grande majorité des essais s’est focalisée sur les trois cannabinoïdes les plus abondants du cannabis : le delta9-tétrahydrocannabinol (THC) pour son effet psychoactif, le cannabinol et cannabidiol pour leur effet sur la douleur. Mais plus de 60 autres composés sont aussi actifs sur le système cannabinergique.
Globalement, les essais précliniques sont rares. L’un d’eux a tout de même mis en évidence un effet du cannabis indépendant de l’effet classique sur les récepteurs CB1, et qui pourrait expliquer l’action antalgique et antiémétique du produit. D’autres modèles expérimentaux chez l’animal sont en faveur de son effet analgésique sur les douleurs inflammatoires, viscérales et neuropathiques.
Chez l’homme, les études disponibles sont de faible puissance car encadrées par les lois des différents pays qui imposent de faibles effectifs sur de courtes durées. C’est notamment pour cette raison que la première méta-analyse spécifique sur la douleur et le cannabis parue en 2001 n’incluait que 222 patients. Elle conclut à l’absence de supériorité des cannabinoïdes sur la codéine pour contrôler la douleur chronique, cancéreuse ou postopératoire. En 2007, un essai sur volontaires sains mettait en évidence une fenêtre posologique : alors que des doses moyennes atténuaient la douleur, des doses fortes au contraire l’exacerbaient. L’intérêt des cannabinoïdes dans la douleur fibromyalgique a été spécifiquement étudié dans une revue Cochrane de 2016, avec une conclusion négative.
Mais le travail qui fait date est une méta-analyse de 2015 publiée dans le Jama qui évaluait l’ensemble des effets antalgiques des cannabinoïdes, synthétiques ou naturels. Dans ce travail dirigé par Penny Whiting (Bristol, UK), la proportion de patients rapportant une réduction de la douleur d’au moins 30 % était globalement plus importante sous cannabinoïdes comparé au placebo en dépit d’un total de seulement huit études particulièrement disparates et de protocoles non standardisés. Le nabiximol ou Sativex® (THC et cannabidiol en pulvérisations) est celui qui a été le plus étudié dans cette méta-analyse, notamment dans la douleur neuropathique avec une tendance positive dans l’allodynie. Cependant, certaines études non publiées et incluses dans cette méta-analyse sont fortement négatives. Au final, les effectifs des études sélectionnées restent faibles. La douleur cancéreuse, un peu laissée pour compte, est pour sa part plus souvent améliorée (d’au moins 30 %) sous THC ou nabiximol selon cette méta-analyse.
Des effets modestes
En ce qui concerne le cannabis fumé, les études sont encore plus rares. Néanmoins, une dizaine vont dans le sens d’un soulagement dans les douleurs neuropathiques, mais n’ont pas été incluses dans les méta-analyses du fait de leurs très courtes durées (< 3 semaines). Dans un essai sur la neuropathie du VIH, 46 % des patients versus 18 % (placebo) ont rapporté une réduction modeste de 30 % de la douleur grâce à 4 « joints » par jour.
Pour y voir plus clair, le Danemark vient d’annoncer le lancement en 2018 d’un programme de recherche de 4 ans au cours duquel les médecins pourront prescrire du cannabis médical dans les douleurs de SEP, la douleur chronique et les lésions de la moelle épinière, avec une évaluation des résultats obtenus.
En attendant, « Rien ne justifie dans la littérature l’utilisation du cannabis dans la douleur chronique et neuropathique, et les effets modestes ne sont pas cliniquement pertinents », juge le Pr Serge Perrot (hôpital Cochin, Paris). Le Pr Didier Bouhassira (hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt) est moins sévère, estimant que dans la méta-analyse de Whiting « les cannabinoïdes ne s’en sortent pas si mal » avec « des effets discrets mais significatifs, sur la douleur et la spasticité ». L’une des coauteurs de ce travail, le Pr Nadine Attal, est plus réservée estimant « leur intérêt très modeste avec certaines études vraiment négatives ».
Quoi qu’il en soit, « cette analgésie modeste des cannabinoïdes synthétiques leur a ouvert des indications dans de nombreux pays », explique Didier Bouhassira. Le Canada, 24 états des états-Unis, Israël, etc. ont déjà autorisé les cannabinoïdes dans les douleurs neuropathiques centrales et les douleurs rebelles du cancer. En Europe, le nombre de pays qui franchissent le pas progresse (Espagne, Italie, Suisse, Allemagne, Irlande, Roumanie).
Des médecins partagés
Même en France, le Sativexavait obtenu en 2014 le feu vert des autorités sanitaires dans l’indication « spasticité dans la sclérose en plaques après échec des autres thérapeutiques ». Mais depuis, cette décision est restée lettre morte faute d’un accord sur le prix et d’une réelle volonté sanitaire. Et, pour le moment, dans l’Hexagone, seul le dronabinol (THC de synthèse) dispose d’une ATU nominative dans la SEP, 70 patients ayant pu en profiter en 2015.
Pourtant, si certains médecins de la douleur sont farouchement opposés à l’utilisation du cannabis à visée antalgique, arguant la faiblesse des arguments cliniques, d’autres plaident pour une utilisation encadrée chez les patients douloureux réfractaires. « Le besoin clinique est là, insiste Didier Bouhassira, au moins dans la douleur neuropathique où le nombre de patients non répondeurs à la prégabaline, la gabapentine ou aux antidépresseurs est considérable. L’efficacité très limitée de la pharmacopée dans certaines douleurs cancéreuses laisse aussi de nombreux patients et soignants démunis. »
Reste que le cannabis et ses dérivés ne sont pas dénués d’effets secondaires, comme l’a rappelé le Pr Perrot. Outre les hallucinations, vomissements, diarrhées, asthénie ou confusion, les plus problématiques sont ceux provoqués par l’usage du cannabis à long terme comme les troubles cognitifs. Par ailleurs, les carcinogènes sont jusqu’à trois fois plus toxiques que ceux du tabac. Le cannabis est aussi un facteur favorisant des troubles psychiatriques (dépression, anxiété et psychose). Quant à l’effet addictogène, il est moins puissant que celui de l’alcool, la codéine où les opiacées.