Dans Science, deux théories sur la marche chez des rats spinalisés

Volontaire ou automatique, la restauration de la marche fait débat

Publié le 29/10/2012
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«L’équipe du Pr Grégoire Courtine à Zurich semble oublier l’existence d’un générateur spinal de la marche (GSM) dans l’interprétation de ses résultats, se désole le Pr Didier Orsal. Leur travail, publié dans Science (voir le Quotidien daté du 4 juin 2012), fait assez peu référence aux travaux antérieurs sur la restauration de la marche chez des animaux spinalisés. C’est cette vérité scientifique que tente de rétablir le commentaire publié dans la même revue par plusieurs laboratoires de recherche. De nombreuses équipes dans le monde ont déjà été capables de restaurer une marche automatique : au Québec avec le Pr Serge Rossignol, à Paris, dans mon propre laboratoire de recherche, mais aussi aux États-Unis, en Pologne, au Canada, et bien d’autres encore. Et pas que chez des rats doublement hémisectionnés, également chez des animaux de différentes espèces (chat, rat, souris) dont la moelle avait été totalement sectionnée. Ce n’est donc pas une première».

Marcher sur une échelle.

La restauration de la marche chez des animaux spinalisés n’aurait rien d’inédit mais celle d’une marche volontaire ? L’équipe du Pr Courtine considère avoir relevé le défi. «Je parle d’une récupération à 100% du mouvement volontaire», a déclaré à ce sujet le professeur de Zurich. Ce n’est pas l’avis du Pr Orsal. «Ces expériences ne permettent pas de dire avec certitude qu’il y a eu restauration de la marche "volontaire", explique-t-il. Les stimulations électriques et pharmacologiques de la moelle épinière sous-lésionnelles sont connues, et depuis longtemps, pour activer la marche automatique commandée par le GSM seul. Idem pour le tapis roulant, qui est une stimulation suffisante même chez le sectionné complet».

Pourtant, dans l’étude du Pr Courtine, les rats qui se déplacent vers une petite récompense semblent bien le faire de façon volontaire? «Le déclenchement est - peut être - volontaire, précise-t-il. Pas la réalisation de l’acte moteur qui reste possiblement le fait de la moelle épinière. Pour explorer la possibilité d’une marche "corticale", il faut des tests spécifiques qui font appel à un positionnement des pieds très précis : pour un animal, c’est marcher sur une échelle horizontale ou sur une grille par exemple. On sait depuis quelques dizaines d’années qu’un chat dont le cortex moteur est anesthésié par refroidissement au travers du scalp est capable de marcher sur un sol plat et sans embûche, mais ne l’est pas sur une échelle horizontale».

Un GSM chez l’Homme

Mais chez l’Homme, qu’en est-il ? «Chats, rats, souris, batraciens, tortues, certains primates, un GSM a été retrouvé dans toutes les espèces animales où il a été recherché. D’un point de vue phylogénétique, il est difficile de penser que seule l’espèce humaine soit privée de GSM. Chez le Rat, les segments L1-L2 semblent importants, ce serait L4 chez le Chat, ce que semble confirmer le Dr Dietz chez l’Homme».

Il reste que la démonstration formelle n’en a pas été faite, et que le GSM humain a souvent été réfuté. «Des preuves indirectes s’accumulent tout de même en faveur du GSM chez l’homme, poursuit le chercheur. Les premières observations, un peu morbides, datent du 19ème siècle, où des mouvements involontaires rythmiques des jambes ont été rapportés chez des condamnés à mort décapités. Par la suite, des médecins militaires ont rapporté des mouvements rythmiques spontanés chez des blessés médullaires lors de la guerre 14-18. Et au cours des trente dernières années, plusieurs équipes en ont décrits aussi chez des paraplégiques soumis à un entraînement intensif».

Trois méthodes à combiner.

Ainsi, nous marcherions la plupart du temps de façon automatique, sans avoir à penser à construire le mouvement de marche, «comme tous ces gens qui marchent en lisant, explique le Pr Orsal. Chez l’Homme, la marche volontaire, c’est contrôler et décomposer le mouvement de façon consciente. Par exemple, sur un damier, décider de poser le pied sur une case noire plutôt que sur une blanche». Pour le Pr Orsal, il existe un GSM qui a pour mission de créer une commande rythmique motrice des membres à partir de la moelle épinière quand le comportement l’exige. «Il faut bien comprendre la voie cortico-spinale n’est pas essentielle au déclenchement de la marche normale, ni à sa restauration après une lésion spinale», poursuit-il.

Mais, automatique ou pas, tout le monde d’accorde sur le fait que la restauration de la marche chez des animaux spinalisés ouvre des perspectives chez l’homme. «Nous connaissons aujourd’hui trois moyens qui ont fait leur preuve pour réactiver le GSM d’un animal spinalisé, explique le Pr Orsal. Il s’agit de l’entraînement à la marche, de la stimulation électrique de la moelle épinière sous-lésionnelle et de la stimulation pharmacologique. L’équipe suisse a eu l’intelligence d’en combiner deux. Cette idée d’associer plusieurs de ces méthodes a toutes les chances de réactiver le GSM chez l’homme. Reste maintenant à en faire la preuve».

Science, publications des 1er juin et 19 octobre 2012.

Dr IRÈNE DROGOU

Source : Le Quotidien du Médecin: 9182