Les travailleurs de l'agriculture sont exposés à des toxiques, ont des horaires et des conditions de travail difficiles, un niveau socio-économique souvent bas, ils présentent un surrisque de certaines pathologies – notamment de maladies respiratoires – pourtant leur espérance de vie est supérieure à celle de la population générale. Un constat qui a conduit à mener des recherches dans ce domaine.
Une étude menée au CHU de Besançon, qui a colligé les données portant sur quelques 575 hommes fermiers à partir de 3 cohortes (MSA, BALISTIC et BMR3) a mis en évidence un risque de bronchopneumopathie chronique obstructive « agricole » liée à la production laitière. Parmi les facteurs de risque professionnels analysés, le mode d'exercice traditionnel, par opposition au mode d'exercice dans les fermes modernes, est associé de façon indépendante au risque de BPCO (OR = 2,89 ; IC [1,43 – 5,63]). Et l’association du tabagisme et de l'exercice traditionnel a un effet synergique sur ce risque de BPCO chez ces producteurs laitiers.
Une maladie non tabaco-dépendante
L'étude BALISTIC avait pour objectif de mieux caractériser la BPCO agricole : prévalence, expression clinique, paramètres fonctionnels au repos et à l'effort, paramètres inflammatoires (1). Elle visait également à mieux cerner les facteurs de risque professionnels et individuels de BPCO agricole et de BPCO tabagique, et à analyser l'impact de celles-ci et de l'exposition agricole sur l'inflammation sanguine, vasculaire et alvéolaire.
Les sujets de la cohorte souffrant de BPCO, agricole ou non, ont été appariés sur l'âge, le sexe, le statut tabagique et le lieu géographique avec des sujets-contrôles ne souffrant pas de BPCO.
Ceci a permis de montrer que la BPCO agricole est une maladie non tabaco-dépendante, associée à un excès de sifflements, de toux, d'expectoration et d'atopie. Son retentissement sur l'hématose est moindre que celui de la BPCO non agricole, et la tolérance à l'effort meilleure. Il s'agit d'une maladie principalement bronchique, a priori peu ou pas emphysémateuse, peut-être en lien avec une sensibilisation à certains antigènes. Elle est accessible à un dépistage de terrain, avec une très bonne valeur prédictive positive de la spirométrie (>95%).
Dans une partie prospective de l'étude, le suivi de la cohorte permettra dans un deuxième temps de préciser les facteurs pronostiques.
Effet ferme
Un autre travail a estimé la prévalence de la BPCO agricole sur une cohorte de 4 704 sujets dans deux régions françaises, la Franche-Comté et la Bretagne (2). La prévalence de la BPCO est globalement supérieure chez les agriculteurs que dans la population témoin : 5,12 % vs 2,94 % (OR = 1,82 ; IC [1,19 – 2,76]). Elle est statistiquement plus importante chez les éleveurs de bovins, de porcs ou de volailles que dans les cultures.
Mais si la ferme semble exposer à un risque accru de BPCO, elle pourrait avoir un effet protecteur vis-à-vis du cancer bronchique. C'est ce que suggèrent la revue systématique de la littérature et les métaanalyses réalisées chez les sujets travaillant en milieu agricole et textile. Le risque relatif de cancer bronchique est de 0,72 (IC [0,57 – 0,90]) chez les ouvriers du coton, et de 0,62 (IC [0,52 – 0,75]) chez les agriculteurs.
La cohorte AGRICAN, riche de plus de 180 000 participants, s'est penchée sur cette problématique et a analysé, entre 2004 et 2009, l'incidence et la mortalité de différents cancers en fonction des tâches réalisées (3). Les résultats confirment les données antérieures, avec une réduction de la mortalité par cancers chez les femmes et hommes exploitants agricoles ou ouvriers agricoles. Le risque relatif est globalement de 0,64 (IC [0,60 – 0,67]) ; la diminution du risque est statistiquement significative pour les cancers de la bouche, du pharynx, du larynx et des bronches, de l'œsophage, du colon, du rectum, des voies biliaires, du pancréas, de la prostate et de la vessie. Pour le risque de cancer bronchique, ce travail a mis en évidence une relation entre l'ampleur de la réduction du risque relatif et le nombre d'années d'exposition à l'élevage bovin : ce risque relatif passe de 1,03 en cas d'exposition inférieure à 10 ans à 0,74 pour une durée d'exposition de 20 à 30 ans et à 0,52 pour une durée de 30 à 40 ans.
Ainsi, les conséquences de l'exposition professionnelle des travailleurs agricoles doivent être analysées dans leur globalité, en incluant leurs effets nocifs mais aussi leurs effets protecteurs vis-à-vis des maladies respiratoires chroniques.
D'après un entretien avec le Pr Jean-Charles Dalphin, CHU, Besançon.
(1) Degano B et al. BPCO des producteurs laitiers: dépistage, caractérisation et constitution d'une cohorte. Etude BALISTIC. Revue des Maladies Respiratoires, vol 29, n°9, p 1149-1156
(2) Guillien A et al. Prévalence de la BPCO agricole dans deux régions françaises. Revue des maladies respiratoires, 32, janvier 2015. DOI: 10.1016/j.rmr.2014.10.713
(3) Levêque-Morlais N et al. The AGRIculture and CANcer (AGRICAN) cohort study: enrollment and causes of death for the 2005-2009 period. Int Arch Occup Environ Health. 2015 Jan;88(1):61-73
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