L’allaitement sous médicament est-il vraiment sans danger ? Faut-il ou non traiter le reflux gastro-œsophagien du nourrisson par IPP ? La scoliose est-elle en cause dans les lombalgies de l’enfant ? Faut-il avoir peur de l’ibuprofène ? Autant de questions en suspens abordées lors du récent congrès de la Société Française de Pédiatrie.
Ni la pluie, ni le vent n’auront découragé les pédiatres francophones venus assister à Clermont-Ferrand au Congrès annuel de la Société Française de Pédiatrie du 15 au 17 mai. Avec pour cette édition 2013, beaucoup de questions en suspens. Car faute d’études dédiées mais aussi parce que la santé de l’enfant est souvent à la frontière du médical du sociétal et du culturel, la pédiatrie prête volontiers le dos à la controverse et aux incertitudes.
L’allaitement sous médicament est-il vraiment sans danger ?
Antalgiques, HBPM, antibiotiques, anxiolytiques,… En France, une femme allaitante reçoit en moyenne plus de 4 traitements médicamenteux différents, soit 3 à 4 fois plus que dans les autres pays européens ! Pourtant, la sécurité de l’allaitement sous médicaments reste sujette à caution, comme l’a souligné le Pr Jean-Marc Treluyer (Paris) lors du congrès. « Actuellement, il y a une espèce de consensus ambiant selon lequel l’allaitement maternel est une priorité que la prescription éventuelle de médicament ne doit pas entravée. On est donc assez souple par rapport à l’administration de médicament chez la femme allaitante alors que les données de sécurités disponibles sont peu contributives », dénonce ce pharmacologue.
De fait dans la majorité des cas, les données disponibles sont issues d’études pharmacologiques qui se limitent à mesurer dans une population de quelques couples mères/ enfants, les concentrations de tel ou tel médicament dans le lait maternel et dans le plasma du nouveau-né. « Ces études ne sont absolument pas prédictives de la survenue ou non d’effets indésirables dans la vie réelle », prévient le Pr Treluyer.
En témoigne ainsi l’exemple emblématique de la codéine. Pour cet antalgique prescrit en post-partum,
une étude pharmacologique parue en 2004 avait rapporté un faible passage dans le lait maternel et chez l’enfant et appelait à rassurer les mères concernées.
Pourtant quelques années plus tard une équipe publiait un cas de décès de nouveau-né par intoxication à la codéine via l’allaitement. « En fait la codéine est une prodrogue qui se métabolise en morphine une fois absorbée, explique le Pr Treluyer. Or, dans le cas présent, la mère était « métaboliseur ultrarapide », d’où des concentrations majeures de morphine dans son lait et dans le plasma de son enfant. « Depuis d’autres cas du même type ont été rapportés », précise le Pr Treluyer.
Autre bémol, ces études ne s’intéressent pas à la tolérance clinique ultérieure du médicament reçu par l’enfant via l’allaitement. « On avance totalement en aveugle sur les effets à moyen et à long terme de la prescription de médicaments chez les femmes allaitantes », regrette le Pr Treluyer.
Aussi le pédiatre invite à « prescrire le moins possible de médicaments chez les femmes allaitantes, sans les rassurer systématiquement ».
Si le médicament est indispensable et qu’il n’y a pas de données scientifiques suffisantes, « il ne faut pas hésiter à contre-indiquer l’allaitement, au moins un certain temps ». Enfin, « si le passage dans le lait a été étudié avec des données convaincantes, mieux vaut choisir le médicament qui a la demi-vie la plus faible et sans métabolite actif ».
Scolioses et douleur dorsale : mythe ou réalité ?
Entre 20 % et 51 % des enfants de moins de 15 ans souffrent de douleurs du dos. Lorsqu’il existe une scoliose associée, ces douleurs lui sont volontiers attribuées. à tort, estime le Dr Federico Canavese (Clermont-Ferrand) pour qui l’association fréquente entre ces deux entités serait d’avantage liée à leur forte prévalence qu’à un véritable lien de cause à effet.
Dans ce contexte, le Dr Canavese appelle à ne pas se contenter du diagnostic de scoliose pour expliquer certaines douleurs lombaires. Ce d’autant que « les douleurs de dos chez les enfants et les adolescents ne sont pas comparables à celles des adultes ; un enfant avec un mal de dos est plus susceptible de souffrir d’un trouble sous-jacent grave ». Ainsi, si la radiographie met en évidence une scoliose, « il ne faut pas s’arrêter à ce diagnostic » et des signes d’alerte doivent inciter à pousser plus loin les investigations, tels une scoliose douloureuse avant l’âge de 5 ans, des symptômes permanents, des signes généraux, un dos raide, des antécédents traumatiques et, de manière générale, tout signe clinique d’atteinte neurologique.
Faut-il traiter le RGO de l’enfant par IPP ?
Alors que les prescriptions d’IPP dans le RGO de l’enfant sont en forte augmentation, la « légitimité » de ces traitements fait toujours débat. Et si tous les praticiens s’accordent à dire que le reflux n’est pas une maladie en soi et que seules les formes pathologiques doivent être traitées, tous n’ont pas la même conception du reflux gastro-œsophagien pathologique (RGOP).
Selon le consensus international de 2009, « le RGO est pathologique quand il provoque des symptômes gênants ou des complications ». Une définition vague qui laisse la porte ouverte à des interprétations variées. Pour le Dr Véronique Desvignes, pédiatre libérale à Chamallières, « le diagnostic de RGOP est avant tout un diagnostic d’interrogatoire, posé devant un nourrisson qui gêné à des degrés divers par des régurgitations plus ou moins extériorisés pleure de façon plus ou moins intense et durable et présente ou non des complications (malaises, hématémèse, ralentissement de la croissance) avec ou sans pathologies associées ».
Un point de vue que réfute le Pr Olivier Mouterde (Rouen). Pour ce gastro-pédiatre, seuls le pyrosis et l’œsophagite font foi, tandis que « les régurgitations ne devraient pas être retenues, y compris lorsque l’enfant grimace ou pleure ». Une étude réalisée chez des nourrissons suspects de RGOP devant ce type de tableau montre d’ailleurs que si les IPP permettent d’améliorer les symptômes dans 56 % des cas selon les parents, le placebo fait aussi bien avec une amélioration dans 51 % des cas.
Même scepticisme concernant les manifestations extrapulmonaires supposées du reflux. « Une foule d’autres symptômes (pleurs, malaises, événements cardiorespiratoires du prématuré, asthme, toux, érosions dentaires, érythème de la margelle postérieure du pharynx, troubles du sommeil, otites à répétition ou séreuses, voix rauque, etc.) a été au fil des années attribuée au reflux. Or pour la plupart, le rôle du reflux est douteux et, probablement, marginal, et les études contrôlées ont très rarement mis en évidence une différence entre IPP et placebo. »
Le Pr Thierry Van Den Abbeele (Paris) est moins catégorique. Pour cet ORL hospitalier, « l’association entre certaines pathologies ORL courantes et RGO a été identifiée depuis longtemps, notamment dans les otites à répétition ou séreuses, dans la pathologie laryngotrachéale et, plus récemment, dans la pathologie rhinosinusienne ». La mise en évidence récente de pepsine dans l’oreille interne de certains enfants tend à conforter ces associations. Cependant, « l’efficacité des IPP n’apparaît pas claire chez les enfants atteints d’otite séro-muqueuse ou de sinusite chronique et présentant un RGO même avéré », reconnaît ce spécialiste.
L’association entre asthme et RGO prête aussi à discussion. Certes la fréquence du RGO est jusqu’à 13 fois plus fréquente parmi les enfants asthmatiques mais de plus en plus d’arguments suggèrent que c’est l’asthme qui favoriserait le reflux et non l’inverse. Dans ce contexte, près de 80 % des prescriptions d’IPP seraient injustifiées en pédiatrie estime le Pr Mouterde qui rappelle que ces traitements ne sont pas complètement anodins avec,, chez l’enfant, un risque de pneumopathies et de gastro-entérites, probablement par la perte du pouvoir bactéricide du contenu gastrique. Et d’appeler à « explorer ces reflux avant de traiter ». Une position difficilement tenable en médecine de ville selon le Dr Desvignes.
Faut-il avoir peur de l’ibuprofène ?
Près de 10 ans après l’alerte de l’Afssaps mettant en garde contre l’utilisation d’AINS chez les enfants atteints de varicelle en raison d’un risque accru de complications infectieuses cutanées et sous-cutanées parfois graves, la controverse sur la dangerosité de l’ibuprofène en pédiatrie est-elle en train de se tasser ? La session organisée sur le sujet lors du congrès montre en tout cas que les esprits se sont apaisés, tous les experts reconnaissant à cet AINS des effets secondaires réels mais rares et une efficacité antalgique et antipyrétique certaine. Reste un débat quand à la place de ce médicament dans les stratégies antipyrétiques et antalgiques chez l’enfant et a sa position par rapport au paracétamol. Pour le Dr Elisabeth Autret- Leca, (Paris), « la prescription doit être raisonnée, respecter absolument les contre-indications et ne doit pas être un choix de première intention mais réservée à des situations où les autres médicaments ne conviennent pas ». Le Dr Elisabeth Fournier-Charrire (Le Kremlin Bicêtre) estime pour sa part que « son activité antalgique – en général supérieure, voire très supérieure au paracétamol – et sa bonne tolérance – avec des taux d’effets indésirables similaires à ceux observés avec le paracétamol – le placent en première ligne pour l’antalgie courante de l’enfant ».
Elle rejoint en cela la position de nombreux pays anglo-saxons qui craignent davantage le risque hépatique du paracétamol que les effets secondaires de l’ibuprofène. Elle rejoint en cela les grandes lignes des recommandations Afssaps 2009 sur la douleur de l’enfant.