Croissance après PMA, exposition aux écrans, jeux genrés : pour ses 10 ans, la cohorte Elfe brosse un panorama du développement des enfants

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Publié le 07/10/2022
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Crédit photo : S.Toubon

Dix ans après la création de la cohorte Elfe, l'Ined et l'Inserm dressent un bilan à mi-parcours de cette étude unique chez l'enfant en France. En 2011, ce sont 18 329 nouveau-nés qui intègrent la cohorte nouvellement crée. Le but est alors de saisir de manière fine les trajectoires des enfants, repérer les événements clés survenus pendant l’enfance, mesurer les expositions cumulées à des conditions environnementales spécifiques et d’évaluer leurs conséquences en termes d’inégalités sociales et de santé.

En une décennie, la cohorte Elfe a permis de répondre à un certain nombre de questions de recherches, fort utiles pour l'établissement de recommandations et de mesures de protection de la santé périnatale et infantile, ou même de politiques sociales. Au total, elle a à son actif 100 publications scientifiques et 100 projets en cours.

On sait ainsi que la principale source d'exposition aux pesticides chez les femmes enceintes est les produits pour animaux domestiques. Les données d’Elfe ont également souligné l'importance du congé paternité pour augmenter de façon pérenne le temps passé par le père auprès de l'enfant.

En 2019, alors même que l'agence européenne était en train d'introduire une nouvelle réglementation sur la sécurité des aliments à destination des nourrissons, Elfe met en doute l’intérêt des préparations infantiles hypoallergéniques.

Rattrapage à terme du petit poids de naissance après PMA

La cohorte a aussi contribué à montrer que les enfants nés par procréation médicale assistée (PMA) sont à risque de prématurité et de petits poids à la naissance, mais qu'à l'adolescence le poids n'est ni supérieur ni inférieur à la moyenne.

Ces résultats publiés fin juillet dans le « Jama Network Open » sont issus des données d'une cohorte à laquelle Elfe a participé et qui a totalisé plus de 150 000 personnes - dont 4 300 nées par PMA - recueillies en Europe et en Asie ainsi qu'au Canada. Il semble que les personnes nées sous PMA tendent au surpoids au début de l'âge adulte, mais les données ne sont pas assez solides pour conclure en l'état.

« Le suivi jusqu'à l'âge adulte des cohortes encore actives comme Elfe et Eden permettra de mieux documenter leur devenir à long terme », ont expliqué l'Inserm et l'Ined dans un communiqué.

Les recos sur les écrans peu suivies

Autre constat issu d'Elfe, seulement 13,5 % des parents respectent les recommandations concernant l'exposition aux écrans, à savoir pas d'exposition avant l'âge de 2 ans et limitation à une heure par jour après. Le non-respect des préconisations obéit à un grand nombre de facteurs. Elles sont moins bien suivies chez les parents séparés, les mères âgées de moins de 40 ans, les parents avec un niveau d’études faible ou les parents nés à l’étranger. Les enfants souvent gardés par leurs grands-parents sont aussi plus souvent exposés aux écrans, de même que ceux dont les parents ont eux-mêmes des loisirs qui tournent beaucoup autour des écrans.

Du rôle de l'alimentation pendant la grossesse

La cohorte Elfe a également permis de conforter les recommandations de 2019 concernant l'alimentation des femmes enceintes. L'équipe de Blandine de Lauzon-Guillain (Centre de recherche en épidémiologie et statistiques, Institut Gustave Roussy) a étudié le neurodéveloppement global entre 1 an et 3,5 ans. Il en ressort que la consommation de fruits, de légumes et de poisson pendant la grossesse est associée à des scores de développement plus élevés. À l’inverse, une consommation élevée de charcuterie pendant la grossesse était associée à des scores de développement plus faibles chez l’enfant à 1 et 2 ans, mais pas à 3,5 ans.

« Lorsque l'Anses (Agence nationale de sécurité alimentaire, NDLR) a émis ses recommandations il y avait peu de données sur alimentation et neurodéveloppement, rappelle Blandine de Lauzon-Guillain. Nos travaux les confortent, mais il faut rappeler que l'effet de l'alimentation maternel reste relativement modeste si on le comporte à d'autres variables comme le niveau d'études des parents. » D'autres études seront nécessaires pour déterminer si la relation entre alimentation et neurodéveloppement est bien de nature causale.

Genre et typologie des jeux

Kevin Diter, sociologue à l‘Université de Lille, a lui décrit les facteurs déterminant les écarts de genre dans la typologie de jeux - jouer aux voitures ou jouer à la poupée, jouer à l'intérieur ou jouer à l'extérieur - à partir des données d’Elfe. Il en ressort que la composition de la fratrie est primordiale dans le choix des jeux quotidiens des enfants.

Les petits frères qui ont uniquement des sœurs sont bien plus susceptibles que les autres cadets et les aînés/uniques de jouer quasi quotidiennement à la poupée (33 % contre respectivement 17 % et 12 %) et légèrement moins enclins à jouer aux petites voitures (87 % contre 90 %). De même, les petites sœurs qui ont uniquement des frères sont plus susceptibles que les autres cadettes et les aînées/uniques de jouer tous les jours aux petites voitures (49 % contre 25 % et 28 %) et sont également moins enclines à jouer à la poupée (80 % contre 82 %). L’implication parentale joue également un rôle important.

« Une fille cadette n'ayant que des frères a ainsi 2 fois plus de chances de jouer aux petites voitures qu'une fille unique, et un garçon cadet n'ayant que des sœurs a 2 fois plus de chances de jouer à la poupée », complète Kevin Diter.

Devenir de la cohorte en question

Actuellement, 10 000 restent suivies activement 10 ans après. Cette attrition fait craindre au Dr Marie-Aline Charles, directrice de l’unité Elfe et directrice de recherche à l’Inserm, une perte de représentativité dans les années à venir. « Les familles participantes les plus fidélisées sont issues de milieux sociaux un peu plus élevés que la moyenne, explique-t-elle. On perd surtout les personnes qui ne trouvent pas le temps de s'impliquer dans l'enquête et ne perçoivent pas l'intérêt de cette enquête. »

Un tel « écrémage » pose des problèmes de diversité des profils suivis. « Nous disposons de moyens de pondérer nos résultats mais plus le temps passe et plus cette pondération peut poser problème », reconnaît le Dr Charles, qui craint que « plus on avance dans le temps, moins on disposera d'un échantillon représentatif de la population née en 2011 ».


Source : lequotidiendumedecin.fr