Les pneumonies bactériennes ont dû jouer un rôle

La sévérité de la grippe de 1918 pas due seulement à la virulence du virus

Publié le 21/09/2011
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DE NOTRE CORRESPONDANT

LES CHERCHEURS américains ont analysé les données virologiques de 68 cas, à partir du registre National Tissue Repository of the Armed Forces Institute of Pathology, recueillies quatre mois avant la pandémie et durant les deux mois (septembre et octobre 1918) où la grippe a culminé. Des renseignements médicaux étaient disponibles pour 59 de ces cas (87 %). Neuf des décès survenus entre mai et août 1918 (soit avant la pandémie) ont été attribués à une « pneumonie » ou une « bronchopneumonie », compatibles avec un diagnostic de grippe.

S. pneumoniae, S. pyogenes, staphylocoque doré.

Dans les 68 cas étudiés, il existait, en plus des signes de pneumonie virale à influenza, des preuves histologiques de pneumonie bactérienne aiguë sévère, tantôt prédominant, tantôt associés à l’infection virale. Les bactéries impliquées (Gram positif) étaient des streptocoques (S. pneumoniae ou pyogenes) ou des staphylocoques dorés. L’infection à influenza a pu être mise en évidence dans 37 cas sur 68 (54 %) grâce à la détection d’ARN viral ou d’antigènes viraux.

La distribution des antigènes viraux (focale à multifocale) était comparable dans les échantillons post-mortem pré-pandémiques et pandémiques. Ces antigènes étaient retrouvés, principalement, au niveau des cellules épithéliales luminales (plutôt que basales), dans le cytoplasme comme dans le noyau des macrophages et des cellules alvéolaires. Ils étaient également détectés dans des produits de membrane hyaline, ce qui suggère la persistance de ces antigènes à un stade avancé des lésions pulmonaires, comme durant la pandémie de grippe H1N1 de 2009.

De l’ARN viral a, par ailleurs, été détecté dans 13 cas (sur 21 testés). Les séquences du domaine HA1 codant pour les principaux acides aminés du domaine de liaison au récepteur (RBD) ont pu être déterminées dans 11 de ces cas. Trois des quatre séquences de domaine HA1 trouvées dans les cas pré-pandémiques possédaient la même séquence RBD G222, à spécificité mixte α2-3SA (« type aviaire ») et α2-36A (« type humain »). Sept des neuf séquences issues des cas pandémiques avaient une configuration RBD D222, associée à la liaison α2-36A. L’équipe de Jeffrey Taubenberger a aussi détecté, dans un des cas de décès pendant le pic de la pandémie, un polymorphisme (Q189R) d’apparition nouvelle à proximité du RBD et qui, de manière intéressante, a été observé couramment au niveau d’isolats de grippe saisonnière dans les années 1980 à 2000.

Quelles informations tirer de ces résultats ? La fréquence croissante du résidu D222 au cours de la progression de la pandémie pourrait s’expliquer par une dérive antigénique consécutive au renforcement des réponses immunitaires dans la population. Elle pourrait aussi refléter une modification du mode de transmission (par gouttelettes de salive vs par aérosols) avec les conditions climatiques (entre la période de mai à août et septembre-octobre).

Les antigènes viraux de 1918 très proches de ceux de 2009.

L’absence de différences (avant et pendant la pandémie) dans la distribution cellulaire des antigènes viraux, qu’il s’agisse d’une séquence RBD G222 ou RBD D222, suggère que le mode de liaison antigénique n’affecte pas nécessairement la pathogénicité. En outre, la distribution des antigènes viraux, en 1918, est très proche de celle constatée dans les cas de pneumonies consécutifs à la grippe H1N1 de 2009.

Enfin, les caractères histopathologiques et microbiologiques de la grippe de 1918 ne sont manifestement pas exceptionnels, ce qui incite à penser que les pneumonies bactériennes (surtout par des bactéries à Gram positif) ont eu un rôle important dans la mortalité considérable observée lors de cette pandémie.

ZM Sheng, JK Taubenberger et coll. Autopsy series of 68 cases dying before and during the 1918 influenza pandemic peal. Proc Natl Acad Sci USA (2011) Publié en ligne.

 Dr BERNARD GOLFIER

Source : Le Quotidien du Médecin: 9008