Psychiatrie publique : les quatre syndicats unis dans la rue pour alerter le ministère de la Santé sur le point de rupture

Par
Publié le 28/06/2022
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : S.Toubon

C'est une première : les quatre syndicats de la psychiatrie publique (Idepp, Spep, SPH, USP*) ont porté d'une même voix leurs revendications auprès du ministère de la Santé, à Paris. Leurs confrères étaient appelés à la grève et à des rassemblements en province (suivis par 30 à 50 %, voire 100 % à l'hôpital de Montfavet).

La journée de mobilisation s'est tenue ce 28 juin, jour de la présentation des conclusions de la mission flash sur les urgences. « Parce que la crise de la psychiatrie est aussi une urgence ! », s'exclame la Dr Marie-José Cortès, présidente du Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH). Une délégation syndicale a été reçue par des membres du cabinet et de la Direction générale de l'offre de soins. Une première étape, pour les syndicats, qui envisagent une nouvelle action le 15 septembre prochain.

« Nous, psychiatres d’exercice public, ne pouvons plus travailler dans de telles conditions. Nous ne pouvons plus assumer notre mission de soin au service des publics le nécessitant. Jamais dans son histoire (..) la psychiatrie n'a connu un tel danger », écrivent-ils en commun.

Crise démographique, pénibilité

La psychiatrie publique souffre d'une crise démographique, avec 30 % de postes médicaux vacants et une « hémorragie » vers le privé et/ou libéral, alors que les besoins sont exponentiels. « La désertification touche même les grandes villes comme Paris ou Lyon », souligne Dr Norbert Skurnik (Idepp). « Notre objectif cible est 15,3 ETP, nous sommes 7 » en psychiatrie adultes adolescents à Mantes-la-Jolie, illustre la Dr Cortès.

« Il y a 10 ans, les internes pleuraient de n'avoir pas de postes ; maintenant c'est l'inverse, entre 20 et 30 postes médicaux ne sont pas pourvus ! », témoigne le Dr Bertrand Lavoisy (SPH, établissement public de santé mentale Lille métropole). « On n'a jamais vu ça, on manque d'infirmiers, on n'arrive pas à recruter des médecins. Ceci alors qu'on est confrontés à une vague de troubles anxiodépressifs et que les urgences nous envoient tous les patients, au prétexte de la sectorisation », témoigne une cheffe de service de l'hôpital Paul-Guiraud à Villejuif, non syndiquée, en revêtant sa blouse blanche estampillée « psychiatre en colère ».

« Nous sommes obligés de bricoler. Je passe plus de temps à gérer la pénurie, qu'à porter des projets d'équipe et de soins », regrette le Dr Pierre-François Godet, chef de Pôle au Vinatier (Lyon) et trésorier du SPH. « C'est une catastrophe, l'hôpital public craque. C'est la double peine pour nos patients, que nous ne pouvons pas accompagner comme nous le souhaitons (alors qu'ils n'ont pas toujours conscience de la maladie) et qui ne peuvent se payer le libéral », poursuit-il. « On nous empêche de soigner et on assassine les plus vulnérables de la société », tranche la Dr Pascale Rosenberg de l'USP.

L'urgence est aussi criante en pédopsychiatrie. « L'offre n'est pas du tout dimensionnée pour accueillir toutes les nouvelles demandes : troubles du spectre autistique, adolescents marqués par le covid, etc. », considère le Dr Bertrand Welniarz, pédopsychiatre à l'EPS de Ville-Evrard. « La Seine-Saint-Denis est saturée : il faut 2 ans d'attente pour accéder à un CMP infanto-juvénile, les établissements d'aval (médico-sociaux) sont insuffisants, il n'y a que 18 lits d'hospitalisation pour les adolescents et 12 places en hôpital de jour », énumère-t-il.

Reconnaissance statutaire et financière

Les quelques annonces faites au gré des Assises de la psychiatrie (800 postes pour les CMP) ou du Ségur font figure de cautères sur jambes de bois, aux yeux de la centaine de psychiatres rassemblés devant le ministère de la Santé ce 28 juin. « Nous travaillons ensemble sur un dispositif de places à la demande, mais il est financé à hauteur de 15 millions d'euros pour la France entière, ce n'est pas avec cela qu'on va sauver la psychiatrie », explique le Dr Jean-Pierre Salvarelli (vice-président du SPH, CH Le Vinatier).

Rien ne semble aussi en mesure de restaurer l'attractivité d'un exercice où les soignants se retrouvent confrontés à la violence et à des injonctions paradoxales venues de la société. « On nous reproche d'enfermer les malades, et d'un autre côté, les préfectures refusent les sorties de nos patients », poursuit le Dr Salvarelli, soulignant combien les réformes successives de l'isolement et de la contention ont comme conséquence une surcharge administrative pour les médecins.

Les syndicats demandent aux autorités de garantir des conditions de travail décentes dans le public et des revalorisations financières, à travers une indemnité de pénibilité pour le secteur, la revalorisation des gardes, le reclassement statutaire, la rémunération des indemnités kilométriques…

« Les quatre représentants nous ont écoutés et partagent notre constat. Mais ils semblent sous-estimer l'intensité des difficultés et l'urgence à agir », déclare le Dr Salvarelli à l'issue de l'entretien au sein du ministère. Rendez-vous est pris pour une nouvelle action le 15 septembre, avec une plateforme de propositions unitaires et une demande de rendez-vous avec le nouveau ministre.

* Intersyndicale de la défense de la psychiatrie publique, Syndicat des psychiatres d’exercice public, Syndicat des psychiatres des hôpitaux, Union syndicale de la psychiatrie


Source : lequotidiendumedecin.fr