Pr Francis Berenbaum (hôpital Saint-Antoine, Paris)

L’espoir déçu des anti-NGF dans l'arthrose

Par
Publié le 28/10/2021

Beaucoup d’espoirs reposent sur le développement de biothérapies ciblant le Nerve Growth Factor (NGF), mais les inquiétudes concernant leur tolérance freinent leur mise à disposition dans l’arthrose. Décryptage de leur long cycle de développement et des raisons de leur avenir incertain... 

Pr Francis Berenbaum

Pr Francis Berenbaum
Crédit photo : DR

Les anti-Nerve Growth Factor (anti-NGF) font l’objet de nombreuses études dans l’arthrose. En ciblant le NGF, une neurotrophine qui intervient dans la transduction du signal douloureux, ils représentent l’espoir d’une nouvelle famille d’antalgiques.

Les premières études cliniques remontent à plus de dix ans et le développement a été particulièrement long en raison de l’apparition d’évènements indésirables graves et inattendus.

« La première étude de phase 2 publiée dans le NEJM montrait des résultats spectaculaires dans la douleur arthrosique (1), rappelle le Pr Francis Berenbaum (hôpital Saint-Antoine, AP-HP). Puis, on s’est aperçu relativement vite que certains patients sous anti-NGF développaient une arthrose rapidement progressive (RPOA) en rapport direct avec le traitement ».

La Food and Drug Administration (FDA) a alors demandé l’interruption immédiate de tous les essais en cours et après examen des dossiers, a validé un plan de réduction des risques : diminuer la posologie d’anti-NGF (car cet effet indésirable est dose-dépendant), contre-indiquer la coprescription anti-NGF et anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), ainsi que l’administration d’anti-NGF chez les patients ayant en imagerie des signes évoquant une nécrose ou des anomalies osseuses (fracture, fissure…).

Un risque confirmé de RPOA

Dans ces conditions, la FDA a donné son feu vert pour relancer les études. Trois études pivots de phase 3 ont donc été menées avec le tanezumab (deux études versus placebo et une versus AINS) chez plus de 3 000 patients atteints d’arthrose du genou ou de la hanche modérée à sévère, réfractaires ou intolérants aux traitements antalgiques standards.

Une des études a inclus 849 patients en Europe et au Japon, randomisés pour recevoir du tanezumab à 2,5 mg ou 5 mg par voie sous-cutanée ou un placebo, toutes les huit semaines pendant 24 semaines, avec un suivi de sécurité de 24 semaines (2). Les résultats montrent une supériorité à 24 semaines des bras tanezumab 2,5 mg et 5 mg injectés en sous-cutanée toutes les huit semaines versus placebo sur les scores WOMAC douleur et fonction physique. Mais, seuls les patients du groupe tanezumab 5 mg ont eu une évaluation globale de leur arthrose significativement supérieure par rapport au placebo à la 24e semaine. La RPOA est survenue plus fréquemment avec le tanezumab à 5 mg qu’avec le tanezumab à 2,5 mg. Les arthroplasties totales étaient réparties de manière similaire dans les trois groupes.

« Dans l’étude tanezumab 2,5 mg ou 5 mg en sous-cutané versus AINS (3), la survenue d’une arthrose rapidement destructrice était plus fréquente avec les deux doses de tanezumab (avec un effet plus marqué à 5 mg) et le taux de prothèses était plus important dans les deux groupes tanezumab. Il apparaissait aussi que la RPOA pouvait concerner une autre articulation que celle dont l’arthrose avait justifié la prescription de tanezumab », souligne le Pr Francis Berenbaum.

Au vu des résultats de ces dernières études, la FDA en mars dernier, a rejeté la demande des laboratoires Pfizer et Eli Lilly considérant que malgré le plan de réduction des risques, la balance bénéfice/risque n’était pas favorable. L’agence européenne du médicament (EMA) a également rendu un avis négatif.

Un phénomène inexpliqué

Les laboratoires vont-ils proposer un nouveau plan de limitation des risques ?

« Il faudrait pour cela, être capable de mieux identifier les patients à risque de RPOA. Le défi actuel est donc de comprendre les raisons pouvant expliquer l’apparition d’arthrose rapidement progressive », explique le Pr Francis Berenbaum. Plusieurs hypothèses ont été formulées. Est-ce la conséquence d’une surutilisation de l’articulation devenue indolore ? Il semble que non puisque la destruction osseuse peut apparaître sur une autre articulation que celle souffrant au départ d’arthrose. S’agit-il d’un phénomène de type arthropathie nerveuse ? Ou encore d’anomalies du métabolisme de l’os sous-chondral ?

À ce jour, il n’y a aucune explication claire à ce phénomène...  

(1) Lane NE et al Tanezumab for the treatment of pain from osteoarthritis of the knee. NEJM 2010 ; 363(16) :1521-31.
(2)   Berenbaum F et al Subcutaneous tanezumab for osteoarthritis of the hip or knee: efficacy and safety results from a 24-week randomised phase III study with a 24-week follow-up period. Ann Rheum Dis 2020 Jun;79(6):800-10.
(3) Hochberg M. et al Long-Term Safety and Efficacy of Subcutaneous Tanezumab Versus Nonsteroidal Antiinflammatory Drugs for Hip or Knee Osteoarthritis: A Randomized Trial. Arthritis Rheumatol 2021 Jul;73(7):1167-77.

Christine Fallet

Source : lequotidiendumedecin.fr