Risque fracturaire

Mesurer la quantité et la qualité de l’os

Publié le 01/06/2010
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LA DENSITOMÉTRIE osseuse est un outil simple et très utile qui permet de définir l’ostéoporose (T-score < - 2,5 DS) et l’ostéopénie (T-score compris entre -1 et -2,5 DS). Si l’on parle généralement de fractures ostéoporotiques, de nombreuses fractures surviennent chez des femmes ostéopéniques. « Celles-ci sont d’ailleurs beaucoup plus fréquentes que celles affectant des femmes ostéoporotiques », explique Claude-Laurent Benhamou, par un simple effet arithmétique : si les patientes ostéopéniques ont évidemment un risque fracturaire plus faible que celles ayant une ostéoporose densitométrique, elles sont beaucoup plus nombreuses.

Associer des marquers de la qualité osseuse.

Il convient donc d’associer à la mesure de la densité minérale osseuse des marqueurs de la qualité osseuse permettant de définir les femmes à haut risque fracturaire, qu’elles soient ostéoporotiques ou ostéopéniques, afin de les faire bénéficier d’une prise en charge adaptée et d’éviter la survenue d’une fracture. « Ces marqueurs qualitatifs peuvent se situer à différentes échelles, précise Claude-Laurent Benhamou  : au niveau de la macroarchitecture, puis de la microarchitecture trabéculaire, voire à une échelle encore inférieure, au niveau nanoscopique ». Pour explorer ce dernier niveau, et tout particulièrement l’élasticité et l’organisation interne du collagène, il faut recourir à des techniques par infrarouges ou ultraviolets, qui nécessitent des appareils spécifiques et qui relèvent de travaux de recherche sur des échantillons de biopsies osseuse ». Actuellement, les techniques développées explorent les deux premiers niveaux (macro et micro-architecture).

L’étude de la macro-architecture comprend la géométrie et la taille des pièces osseuses et, à une échelle inférieure, la mesure de la corticale, en particulier au col fémoral. Pour évaluer le risque fracturaire à partir des images densitométriques, on prend en compte un certain nombre de mesures et d’index qui peuvent en être dérivés, comme la cross sectional area, la mesure de la surface sectionnelle du col du fémur, le cross sectional moment of inertia (reflet des propriétés biomécaniques de l’os), ou encore le buckling ratio, correspondant aux mouvements de flexion et torsion. Ces paramètres permettent d’obtenir l’algorithme de Beck ou HSA ( hip structural analysis) qui, en pratique, peut servir à l’évaluation du risque fracturaire. Une étude réalisée par Karine Briot et al. a comparé deux groupes de patientes suivies pendant cinq ans, les unes sous placebo et les autres sous ranélate de strontium. Les auteurs ont montré que certains paramètres géométriques du col du fémur définis par cet algorithme (après ajustement sur les données densitométriques) étaient un bon marqueur prédicitif du risque de fracture chez les patientes recevant le placebo. Dans cette étude, deux paramètres ont une valeur prédictive significative : la Cross Sectional Area et l’épaisseur de la corticale. Par ailleurs, la même analyse en HSA a été réalisée dans le groupe traité. Les patientes sous ranélate de strontium ont présenté un gain significatif de l’épaisseur corticale et de la surface intertrochantéreinne par rapport au placebo. « Le ranélate de strontium a donc un effet favorable non seulement sur la densité minérale osseuse, mais aussi sur l’architecture de l’os », souligne Claude-Laurent Benhamou. Ces données confirment celles du Pr Rizzoli, utilisant une autre technique d’évaluation de la qualité osseuse, à l’aide d’un micro-scanner (X-Treme, Scanco) évaluant l’architecture osseuse en 3D au radius distal et au tibia. « Des études semblables ont également été menées avec des bisphophonates, mais les résultats disponibles n’ont pas été ajustés sur les données densitométriques, rendant leur interprétation un peu plus difficile », note Claude-Laurent Benhamou, qui développe dans son unité Inserm, un indice géométrique du col du fémur mesurable directement sur une radiographie ou une densitométrie. Ce nouvel indice est en cours d’automatisation, précise-t-il. Toujours à l’échelle macro-architecturale, un autre paramètre peut être pris en compte pour apprécier la qualité de l’os : la taille des vertèbres. Des études récentes ont en effet montré que, normalement, celle-ci augmente avec l’âge et que plus la vertèbre est volumineuse moins elle se fracture. Ainsi donc, au niveau vertébral, le risque fracturaire pourrait être évalué par la densité minérale osseuse, mais aussi par la taille des vertèbres. Enfin, un autre paramètre peut être pris en compte. Il s’agit de l’index de cyphose thoracique, qui a récemment été validé comme un facteur de risque fracturaire indépendant sur les cohortes SOTI-TROPOS par l’équipe du Pr Christian Roux à l’hôpital Cochin. « Avec l’âge, et indépendamment de la survenue de fractures vertébrales, l’index de cyphose augmente dans une cohorte de femmes ostéoporotiques », explique C-L. Benhamou. Dans l’étude précédemment citée, il a également été montré que, sous ranélate de strontium, l’index de cyphose se détériore moins que sous placebo. « La cyphose thoracique favorise la fracture vertébrale et le ranélate de strontium protège contre l’aggravation de la cyphose », résume C-L. Benhamou.

Une analyse fractale de la texture osseuse.

A l’échelle micro-architecturale, des travaux ont été menés depuis plus de quinze ans, mais jusqu’à présent l’étude de la microarchitecture trabéculaire nécessitait des biopsies osseuses. Aujourd’hui, on peut utiliser un micro-scanner in vivo (X-Treme, Scanco), disponible pour le moment uniquement dans le cadre de programmes de recherche (il existe actuellement quatre appareils en France). Parallèlement, d’autres équipes essaient de valider un index d’analyse de structure, que l’on pourrait mesurer sur les radiographies standard. « Il existe aujourd’hui des appareils de radiographie haute définition qui permettent une analyse fractale de la texture osseuse au niveau du calcanéum, précise C-L. Benhamou, un marqueur qui a fait la preuve d’une bonne corrélation avec la microarchitecture », ajoute-t-il. Cet appareil nommé BMA (Bone Micro Architecture) expose à une faible irradiation et permet une numérisation directe. Il est commercialisé par une société indépendante (D3A Medical Systems) Une étude prospective sur une cohorte de plusieurs milliers de femmes va être mise en place prochainement à Lyon et à Orléans pour vérifier si cet index permet effectivement de sélectionner les patientes à haut risque fracturaire. « Mais il faudra plusieurs années pour obtenir les résultats définitifs », souligne C-L. Benhamou.

« La conjonction des données quantitatives fournies par la mesure de la densité minérale osseuse et de marqueurs qualitatifs de plus en plus précis devrait permettre de mesurer le risque fracturaire de chaque patiente », conclut Claude-Laurent. Benhamou. A titre d’exemple, dans une étude précédente menée par l’équipe d’Orléans, une densité minérale osseuse basse multipliait par quatre le risque fracturaire, l’analyse fractale le multipliait aussi par quatre, mais l’association de ces deux marqueurs le multipliait par douze.

D’après un entretien avec Claude-Laurent Benhamou, service de rhumatologie et Inserm U658, CHR d’Orléans.

Dr MARINE JORAS

Source : Bilan spécialistes