Cas clinique

Une pathologie énigmatique…

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Publié le 28/05/2021

Prurit, sensation de brûlures, hyperpigmentation, paresthésies, associés à une discopathie et une hernie… Connaissez-vous cette mystérieuse pathologie qui cumule des symptômes rhumatologiques, dermatologiques et neurologiques ?

Figure 1 : Tache pigmentée brunâtre en regard de l’omoplate gauche, à l’endroit de la zone dysesthésique

Figure 1 : Tache pigmentée brunâtre en regard de l’omoplate gauche, à l’endroit de la zone dysesthésique
Crédit photo : DR

Une femme de 55 ans consulte pour le suivi de son ostéoporose. En l’absence d’antécédent de fracture et avec un T-score de densité osseuse (DMO) à -2,8 au rachis lombaire et au col fémoral, il avait été décidé en 2018 de la surveiller sans traitement antiostéoporotique. Lors de cette consultation de suivi en avril 2021, retardée d’une année en raison du contexte pandémique Covid-19, la situation est parfaitement stable : pas de fracture, ni de nouveau facteur de risque, et une DMO inchangée. La même attitude de surveillance est donc maintenue.

En toute fin de consultation, la patiente raconte une curieuse histoire de prurit et sensations de brûlures en regard de l’omoplate gauche, apparues depuis quelques mois. Elle a aussi remarqué l’apparition à cet endroit d’une tache pigmentée brunâtre (figure 1). Après une biopsie cutanée, le dermatologue consulté porte un diagnostic de « notalgie paresthésique » …

Une hyperfixation et une discopathie

Face à cette mystérieuse pathologie, une anomalie locale susceptible d’irriter les racines sensitives des rameaux dorsaux a été recherchée. La patiente a donc eu une scintigraphie couplée à un scanner (SPECT/CT) et une IRM.

La scintigraphie révèle une l’hyperfixation de la 9e articulation costovertébrale… Mais à droite ! Il n’y a aucune anomalie de fixation sur la partie latérale gauche du rachis dorsal. On voit aussi une hyperfixation costale punctiforme correspondant à une fissure.

L’IRM révèle une discopathie avec œdème des plateaux T6-T7 et une minime hernie intraspongieuse du plateau supérieur de T7 (figure 2).

cas clinique Fig 2
Figure 2 : IRM, coupes sagittales en séquences pondérées T1 et T2 STIR.
Discopathie T6-T7 avec discrète réaction inflammatoire et hernie intra-spongieuse du plateau supérieur de T7

Il apparaît aussi une petite saillie disco-ostéophytique T7-T8 gauche, avec un œdème modéré en regard de ce qui semble être l’émergence radiculaire T7 (figure 3).

cas clinique Fig 3
Figure 3 : IRM en séquence pondérée T2 STIR ; coupe sagittale et axiale par le disque T7-T8.
Petite saillie disco-ostéophytique T7-T8

La patiente étant très gênée par ces paresthésies, beaucoup plus que par les douleurs rachidiennes, l’application de patchs de lidocaïne lui est conseillée.

Une neuropathie sensitive dorsale

La notalgie paresthésique (NP) est une entité assez fréquente mais souvent négligée. Il s’agit d’une neuropathie sensitive dorsale, le plus souvent des dermatomes T2 à T8, caractérisée par la présence d’une zone hyperpigmentée bien délimitée, située devant ou en dessous des omoplates. Les symptômes comprennent un prurit et une douleur localisés (1, 2).

Elle a probablement été mentionnée précédemment sous différents noms, mais a été formellement décrite en 1934 par Michail Astwazaturow, un neurologue de Saint-Pétersbourg qui a introduit le terme « notalgie ».

La NP est deux à trois fois plus fréquente chez les femmes et survient généralement après 50 ans. Des cas héréditaires ont été rapportés chez des patients, plus fréquemment lorsqu'elle est associée à une néoplasie endocrinienne multiple de type 2A (MEN 2A ou syndrome de Sipple). Il est aussi habituel de chercher un trouble métabolique, comme un diabète de type II, ou des causes infectieuses telles qu’un zona (1).

La NP se caractérise par un prurit et des sensations douloureuses occasionnelles. Les démangeaisons sont plus fréquentes que la douleur, qui est observée chez moins de 30 % des patients. Jusqu'à 10 % des cas sont bilatéraux. L'évolution est chronique, faite de rémissions et de rechutes. Démangeaisons et douleurs récurrentes sont responsables d'une diminution de la qualité de vie. D’après une série italienne de 65 patients, le sexe féminin serait associé à une sévérité plus importante, une hausse de l’indice de masse corporelle à une durée plus longue, et la position de sommeil dominante à l'expression latérale de la NP (7).

Une hyperpigmentation et des modifications cutanées secondaires aux démangeaisons et au grattage (excoriations, lichénification) sont fréquemment observées. Sur les biopsies, on constate une hyperpigmentation post-inflammatoire avec des mélanophages diffus dans le derme papillaire, une discrète hyperkératose, avec parfois des dépôts amyloïdes secondaires. Une augmentation du nombre de terminaisons nerveuses dans la peau lésionnelle et périlésionnelle a été rapportée, pouvant également être le signe d’un phénomène réactionnel en réponse au prurit (4).

Le piégeage nerveux est le mécanisme causal le plus probable. Il est fortement suggéré que la NP est associée à une pathologie rachidienne cervicale et thoracique. Dans une série turque, sept des dix patients atteints de NP avaient une pathologie rachidienne dégénérative (comme chez notre patiente) : principalement une hernie du nucleus et des discopathies dégénératives (5).

Des solutions thérapeutiques ?

Le traitement est difficile car les approches thérapeutiques conventionnelles du prurit associé aux dermatoses inflammatoires ont une efficacité variable (1, 3). Les options de traitement sont diverses. Les agents topiques peuvent être utilisés en première intention : crèmes ou patchs anesthésiques, applications de capsaïcine, crèmes au tacrolimus, à l’amitriptyline ou à la kétamine (ces deux dernières n'étant pas disponibles en France). Le recours aux antalgiques des douleurs neuropathiques (gabapentine, amitriptyline, carbamazépine) est aussi possible, mais expose à plus de risque d’effets secondaires. Des traitements interventionnels (TENS, toxine botulique et UVB à bande étroite) ont également été proposés, ainsi que des techniques d’exercice physique (1, 3, 5, 6). Les antihistaminiques sont inefficaces dans cette forme de prurit. La position de sommeil peut aussi être considérée comme une cible possible pour le traitement d’après la série italienne (7).

(1) Robbins BA, Rayi A, Ferrer-Bruker SJ. Notalgia Paresthetica. 2021 Feb 11. In: StatPearls. Treasure Island (FL): StatPearls Publishing; 2021 Jan–. PMID: 29262015.
(2) Mülkoğlu C, Nacır B. Notalgia paresthetica: clinical features, radiological evaluation, and a novel therapeutic option. BMC Neurology 2020;20:191
(3) Ansari A, Weinstein D, Sami N. Notalgia paresthetica: treatment review and algorithmic approach. J Dermatolog Treat 2020;31:424-32
(4) Inaloz HS, et al. Notalgia paresthetica with a significant increase in the number of intradermal nerves. J Dermatol 2002;29:739-43
(5) Şavk E, et al. Notalgia paresthetica: a study on pathogenesis. Int J Dermatol 2000;39:754-9
(6) Fleischer AB, Meade TJ, Fleischer AB. Notalgia paresthetica: successful treatment with exercises. Acta Derm Venereol 2011;91:356-7
(7) Pagliarello C, et al. Notalgia paresthetica: factors associated with its perceived severity, duration, side, and localization. Int J Dermatol 2017;56:932-8

 

Pr Philippe Orcel

Source : lequotidiendumedecin.fr