Sexophobie

La gymnophobie, peur du regard de l'autre

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Publié le 01/08/2016
[[asset:image:5871 {"mode":"full","align":"null","field_asset_image_copyright":["Laetitia Coryn (Sex Story, Editions Les Ar\u00e8nes)"]}]]


Choses vues et lues

La peur de la nudité, ou gymnophobie, est une vieille histoire. Elle est racontée dès le premier livre de la Bible, la Genèse. Et ce n’est pas seulement une histoire de pudeur. Au commencement, tout allait au mieux pour Adam et Ève qui étaient nus en leur paradis terrestre, et qui n’avaient pas honte l’un devant l’autre de leur sexe, exposés l’un à l’autre tels qu’ils étaient dans leur nudité.

C’est lorsqu’ils se sont dressés contre l’interdit divin et ont mangé le fruit défendu, que leur vision de la nudité a changé : « ils connurent qu’ils étaient nus », se firent des pagnes avec des feuilles de figuier pour protéger leur sexe du regard de l’autre et se cachèrent derrière les arbres pour échapper au regard de l’autre divin. Ainsi naquit la phobie du regard de l’autre.

Quelques milliers d’années plus tard, l’histoire de la gymnophobie continue à défrayer la chronique. Elle inspire des séries télévisées américaines, telle Arrested Development, où le personnage de Tobias Fünke (interprété par David Cross) souffre du syndrome de « never-nude » (« jamais nu »).

Ce médecin chef du département psychiatrie de l’hôpital de Boston qui devient acteur ne supporte pas d’être nu et porte en permanence, jusque sous la douche, des mini-shorts en jean afin que personne, y compris lui-même, ne puisse entrevoir les parties intimes de son anatomie. Cette phobie de la nudité atteint son paroxysme quand, à l’occasion d’un casting, il se peint tout le corps en bleu, manière de se protéger même déshabillé du regard de l’autre.

Paroles de clinicienne

« A l’origine de cette phobie, on retrouve le sentiment de honte évoqué dans la Bible, analyse le Dr Nadine Grafeille, psychiatre, directrice de l’enseignement de sexologie à l’université de Bordeaux : honte du corps qui ne correspond pas aux critères de beauté du moment, honte de l’anormalité qui en découle. Dès l’enfance, ces personnes vont souffrir des moqueries de leurs camarades, ils sont traités de bouboule ou de fil de fer, dans les douches quand ils ont un petit pénis, ou un pénis enfoui, ils subissent des brimades et ils rentrent très vite dans un processus phobique qui s’installe durablement. Plus tard, le vieillissement va atteindre le désir de l’autre et son sentiment d’être soi-même désirable. C’est la bedaine sous laquelle l’intéressé ne voit plus son propre sexe, c’est la fonte musculaire et un corps décharné et squelettique, c’est toujours un corps qui fait honte quand on le déshabille. L’évitement de la nudité est très handicapant. Certains patients ont des érections quand ils sont habillés, un peu moins quand ils sont en slip et plus du tout lorsqu’ils sont nus. Le trouble phobique est tel que vous les voyez suer sur la plage en shorts longs et avec des tee-shirts, quand tout le monde autour d’eux est en maillot. La souffrance peut conduire à des idées suicidaires. C’était le cas d’un jeune avocat brillant, mignon et très courtisé, mais qui ne pouvait pas se déshabiller de peur de montrer un petit pénis, il souffrait de dysfonction érectile, était vierge à 25 ans et disait qu’il envisageait le suicide. Certains éprouvent une telle phobie de leur nudité qu’ils peuvent perdre connaissance quand ils sont forcés au déshabillage.

C’est donc une phobie qui doit être prise en considération par les généralistes qui peuvent la repérer lors d’un examen. Il ne faut pas se dire qu’elle passera avec le temps. Des séances de thérapie cognitive et comportementale sont nécessaires, pendant six mois au moins et jusqu’à un an et demi. Le partenaire doit être mis à contribution, avec une désensibilisation progressive : la relation restera habillée jusqu’aux dernières secondes et toujours dans la pénombre.

Quant aux cas de dismorphophobie, il ne faut se faire aucune illusion : quand la gymnophobie est installée, aucune intervention de chirurgie esthétique ne soulagera le patient, il aura toujours quelques millimètres en trop ou en manque pour justifier dans son image sa mauvaise estime de soi et la fuite phobique du regard de l’autre. »

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Illustrations tirées de « Sex Story », la première histoire de la sexualité en bande dessinée, aussi sérieuse que facétieuse, racontée par le Dr Philippe Brenot, responsable des enseignements de sexologie à Paris-Descartes, et illustrée par Laetitia Coryn (208 p., 24,90 €).


Christian Delahaye

Source : lequotidiendumedecin.fr