Prévu initialement à Amsterdam cet été, le 35e congrès de l’European Association of Urology est finalement devenu virtuel. Une édition qui a permis de revenir sur les apports et les limites de l’IRM dans le diagnostic précoce du cancer de la prostate, sans oublier les débats autour de la surveillance active et la prise en charge de la symptomatologie des voies urinaires inférieures.
L’imagerie a révolutionné les stratégies diagnostiques du cancer de la prostate (CP) et le diagnostic guidé par l'IRM est devenu depuis l’an dernier la norme de soins préconisée par l’European Association of Urology (EAU) puis entérinée par les recommandations de l’Association française d’urologie.
Jusque-là, devant toute suspicion d’un CP, on recourait à des biopsies systématiques non ciblées sous contrôle échographique, qui faisaient courir à la fois le risque de méconnaître certaines tumeurs mais aussi de mettre en évidence des cancers de petite taille bien différenciés, fréquents avec l’avancée en âge, qui pour la plupart ne nécessitent qu’une surveillance active (SA). Désormais, il est recommandé de demander une IRM dès la suspicion diagnostique. Si elle est anormale, les biopsies sous échographie se basent sur les images IRM, une technique qui a fait ses preuves puisqu’elle identifie plus de tumeurs agressives et moins de cancers indolents.
Si l’IRM est normale, on pourrait théoriquement se passer de biopsie, mais les patients et les médecins sont-ils prêts à prendre ce risque ? Dans la majorité des cas, les tumeurs que l’IRM ne montre pas sont des CP de petite taille bien différenciés, mais quelques exceptions incitent toutefois à la prudence. Et si l’objectif est in fine d’éviter des traitements inutiles en promouvant la SA, sur quels critères se base la décision ? Autant de questions abordées lors du 35e congrès de l’EAU, qui s’est tenu virtuellement cet été.
IRM normale : peut-on se passer de biopsies ?
L'étude Promis, qui avait comparé biopsies classiques et biopsies guidées par l’IRM, avait clairement mis en évidence que cette dernière stratégie réduisait le diagnostic de cancers cliniquement non pertinents tout en augmentant la détection de cancers cliniquement significatifs. Chez les patients ayant une IRM négative sans biopsie initiale, les taux de cancers cliniquement significatifs sur un suivi de 5 ans sont faibles (moins de 5 %), ce qui laisse supposer qu’omettre la biopsie initiale ne compromet pas le pronostic du patient.
« À condition de tenir compte du contexte en croisant les résultats de la clinique et du PSA avec l’imagerie : lorsque l’IRM est normale et le PSA bas, la valeur prédictive négative est supérieure à 90 % et atteint 97 % si le PSAD – rapport entre taux de PSA et poids de la prostate – est < 0,10) », nuance le Pr Hashim Ahmed (Londres). À condition aussi d’aborder clairement les avantages et les inconvénients de chaque stratégie avec le patient pour l’aider dans sa prise de décision et d’assurer un suivi clinique et biologique.
À la recherche de nouveaux marqueurs
Afin d’optimiser encore la décision thérapeutique, l’objectif des travaux actuels est d’affiner les résultats de l’IRM grâce à d’autres paramètres, comme les nouvelles techniques d’échographie ou des biomarqueurs.
À ce titre, l’échographie n’a pas dit son dernier mot. La fusion logicielle des images d’échographie et d’IRM améliore encore la précision des biopsies ciblées ; et des nouvelles techniques comme les micro-ultrasons ou l’échographie multiparamétrique qui intègre l’élastographie, plus sensibles et spécifiques que l’échographie classique, pourraient venir rivaliser avec l’IRM.
De nombreux biomarqueurs ont été développés pour repérer les CP les plus agressifs mais aussi d’évaluer la réponse au traitement et une éventuelle progression de la tumeur, parmi lesquels l’analyse génomique urinaire, tissulaire et sanguine dont la place reste encore à préciser. Les tests génomiques peuvent également permettre d’identifier de nouvelles cibles d'imagerie spécifiques du CP. On a récemment montré une corrélation entre le profil d’expression génique et l’imagerie, et des technologies basées sur cette « radiogénomique » auraient déjà reçu un agrément partiel.
La surveillance active, oui mais pour qui ?
Le repérage précoce des CP a pour corollaire la mise en place d’une SA pour les petites tumeurs dépistées. Mais le passage de la SA à un traitement n’est pas rare, que ce soit en raison de la progression de la maladie, d’une mauvaise évaluation initiale ou de l’inquiétude du patient. La compliance à la SA est souvent mauvaise, avec des effets délétères sur le plan carcinologique.
« Paradoxalement, alors qu’on considère que la surveillance active constitue une véritable avancée dans la prise en charge du CP à faible risque, on manque toujours d’un consensus sur les patients qui peuvent en bénéficier et la décision reste encore assez subjective », constate le Pr Alastair Lamb (Oxford). Aussi le projet GAP3 (Global Action Plan Prostate Cancer Active Surveillance) a analysé une énorme base de données mondiale sur la SA du CP (14 380 patients) afin de repérer les hommes à risque de développer la maladie et ceux chez qui on peut surseoir au traitement. Les premiers résultats montrent qu'après 5 ans de suivi, 57 % des hommes sont restés sous surveillance active ; les autres sont passés à un traitement actif pour progression de la maladie (28 %), voire sans signe de progression (13 %). L’agressivité tumorale a été reliée à l'âge, la taille et l'état de la tumeur, le PSA, les détails de la biopsie, le temps de surveillance active, les facteurs génétiques… dans l’objectif de développer des abaques valables pour tous les patients atteints d'un cancer de la prostate à risque faible et intermédiaire.
Une qualité de vie altérée après traitement
Euproms est la plus importante enquête sur la qualité de vie, menée auprès de 3 000 Européens, 6 ans en moyenne après un traitement pour CP. Elle montre que dans la réalité, la qualité de vie est bien plus atteinte que dans les essais cliniques utilisant les mêmes questionnaires, en particulier concernant l'incontinence urinaire et la fonction sexuelle. « Ainsi près de la moitié considèrent que les difficultés sexuelles constituent un réel problème, à l’opposé de l’idée que le CP touche des "vieillards" chez qui la dysfonction sexuelle n’a plus d’importance, surtout en regard d’une pathologie telle que le cancer », commente le Pr André Deschamps (Anvers). Les différents traitements impactent de façon variable la qualité de vie : la prostatectomie radicale et surtout la radiothérapie altèrent lourdement la fonction sexuelle ; la prostatectomie radicale est la plus préjudiciable vis-à-vis de l'incontinence urinaire ; par rapport à la chirurgie, la fatigue ressentie est doublée par la radiothérapie et triplée par la chimiothérapie. « La qualité de vie est mieux préservée dans les CP découverts tôt. Ce qui doit nous inciter à intensifier nos efforts pour une détection précoce et à considérer la surveillance active comme le traitement de première intention chaque fois que cela est possible ».