Mise au point sur les risques potentiels du cannabis pour l’appareil urinaire, présentation des premières recommandations françaises sur la maladie de Lapeyronie, ou encore mise en garde vis-à-vis de la chirurgie esthétique génitale… Le congrès de l’Association française d’urologie (AFU, 18-20 novembre) a abordé un panel de sujets variés, parfois à la frontière de la sexologie. Également à l’honneur cette année, l’hyperactivité vésicale, objet du rapport annuel de l’AFU.
Hyperactivité vésicale : la très grande majorité des patients guérissables
L’hyperactivité vésicale non neurologique (HAV) était à l’honneur lors du récent congrès de l’Association française d’urologie (AFU, 18-20 novembre), qui lui a consacré son rapport annuel. Comme l’a indiqué le Pr Xavier Gamé, secrétaire général de l’AFU, alors qu’auparavant on parlait de vessie instable ou irritable, l’HAV est un « concept récent ». Il désigne la survenue d’urgenturies, avec ou sans incontinence urinaire, habituellement associée à une pollakiurie, une nycturie, en l’absence d’infections urinaires ou de pathologies locales organiques évidentes. Au moins aussi fréquente que la migraine, elle concernerait entre 11 et 17 % de la population adulte en France, avec un sex-ratio homme/femme de 1,4 et une prévalence augmentant avec l’âge (jusqu’à un tiers des plus de 75 ans touché).
La base de l’évaluation des symptômes – ainsi que celle des traitements – repose sur le calendrier mictionnel renseigné sur trois jours et l’exclusion d’une maladie urologique locale (examen clinique pelvi-périnéal, ECBU, bandelette urinaire, cystoscopie, échographie vésicale…). « Du fait de la diversité des thérapeutiques disponibles en 2020, plus aucun patient ne devrait rester sans traitement », estime le Pr Véronique Phé (Paris), co-coordinatrice du rapport 2020. « Une fois le diagnostic posé, les traitements peuvent guérir ou améliorer environ 95 % des patients », appuie Xavier Gamé. Au-delà de mesures hygiéno-diététiques comme la perte du poids en excès, la réduction de la consommation de café, sodas et alcool, de pommes de terre (un risque apparaît pour une consommation > 8 fois/semaine, sans raison connue) et des apports hydriques < 1,5 l/j, une constellation de traitements existe. En première intention, « la rééducation périnéo-sphinctérienne améliorerait ou guérirait jusqu’à 76 % des patients », précise le Pr Gamé, à la condition d’être réalisée par un professionnel de santé plutôt que seul à domicile. Côté pharmacopée, l’hormonothérapie locale peut être prescrite en cas de syndrome génito-urinaire de la ménopause, sauf antécédents de cancer hormonodépendant. Quant aux anticholinergiques (à utiliser avec précaution en cas de risque de troubles cognitifs ) et aux bêta-3 mimétiques (contre-indiqués en cas d’HTA), ils affichent une efficacité similaire sur les différents symptômes de l’activité vésicale (urgenturie, pollakiurie, incontinence urinaire par urgenturie). Ils peuvent être prescrits conjointement pour une plus grande efficacité.
En seconde intention, « mais qui s’imposera dans un avenir proche en première ligne », prédit le Pr Gamé, la neuromodulation du nerf tibial postérieur permet de court-circuiter les informations nociceptives qui perturbent la fonction vésicale. « Elle possède un effet rémanent d’au moins 24 heures, avec une efficacité comparable aux anticholinergiques seuls (taux de succès entre 32 et 87 % selon les études). » Si ces différentes options thérapeutiques ont échoué, un traitement par neuromodulation des racines sacrées (efficace chez environ 70 % des patients réfractaires à toutes les autres méthodes) ou les injections intravésicales de toxine botulique tous les six mois (jusqu’à - 50 % d’épisodes d’urgenturies) peuvent être tentés.
D’autres approches (stimulation tibiale en continu, thérapie génique, toxine botulique encapsulée dans un liposome, neuromodulation sacrée transcutanée, pudendale ou du nerf génital dorsal…) font toutes l’objet de recherches. Les études sur la radiofréquence ou les lasers sont à ce jour imparfaites et discordantes dans l’HAV.
L’AFU met en garde contre la chirurgie esthétique génitale
Encore marginale il y a quelques années, la demande en chirurgie esthétique des organes génitaux croît. Cela a conduit le comité d’andrologie et de médecine sexuelle de l’AFU à mettre en garde sur les résultats attendus et les complications. La génitoplastie d’allongement du pénis a le vent en poupe en Allemagne, au Brésil et en Espagne mais aussi en France avec 5 000 pénoplasties annuelles. « La pénoplastie, par section du ligament suspenseur à la base de la verge, doit être bien expliquée au patient, insiste le Dr Antoine Faix (Montpellier), car l’augmentation modeste de la longueur (gain moyen de 1,3 cm selon une méta-analyse) n’est visible qu’à l’état flaccide, avec une modification de l’angle d’érection et comme complication potentielle une perte de longueur. » Pour leur part, les pénoplasties d’élargissement par injection de graisse autologue visent à augmenter de manière permanente de 2 à 3 cm le périmètre de la verge. Outre des résultats inconstants (50 % des patients ne seraient pas satisfaits), 30 % du volume initial injecté disparaît rapidement. L’injection d’acide hyaluronique est une alternative encore expérimentale, avec des complications potentielles (irrégularité, migration du produit, infections…).
Chez la femme, la réjuvénation génitale féminine est l’une des principales demandes, alors que la béance vaginale concernerait 20 % des femmes ayant accouché par voie basse. Le standard est chirurgical (colpopérinéorraphie) mais ce domaine fait l’objet d’intenses recherches, en particulier avec les technologies laser, la radiofréquence… La seule étude randomisée publiée concerne la radiofréquence avec une amélioration de la sensation de laxité dans 43 % des cas contre 19 % dans le groupe placebo, et pour le moment, « les recommandations nationales et internationales ne sont pas en faveur de ces techniques en première intention », précise le Pr Éric Huyghe, (Toulouse).
Le cannabis, toxique pour l’appareil urinaire ?
Le cannabis est-il délétère pour l’appareil urinaire ? L’augmentation des cancers testiculaires (dont l’incidence a doublé entre les années 1980 et 2010) et des tumeurs de vessie observés chez l’homme jeune a conduit les urologues à s’interroger.
« La toxicité du cannabis est réelle, a indiqué le Pr Éric Lechevallier (Marseille) lors d’une session dédiée, même si peu d’études précisent le type de cannabis consommé, le niveau de consommation, etc. ». Quoi qu’il en soit, de grandes tendances se dégagent. Les données les plus solides concernent le cancer testiculaire et « en particulier une forme particulièrement agressive : les tumeurs germinales non séminomateuses (TGNS), avec un risque doublé en cas de consommation prolongée de plus de dix ans ». Globalement, pour les tumeurs germinales testiculaires, une méta-analyse de 2015 rapporte une augmentation du risque. Une seconde méta-analyse parue en 2019 confirme ce surrisque chez les patients ayant une consommation prolongée de cannabis comparativement aux non-fumeurs (HR 1,36).
Dans le cancer de la vessie, « nous avons des arguments pour suspecter les effets néfastes du cannabis fumé, poursuit le Pr Lechevallier, mais à ce stade, du fait d’études controversées, le risque n’est que probable. » Dans le cancer de la prostate, le doute demeure. En revanche, aucune association n’est retrouvée entre THC et cancer du rein et du pénis. Mais les études sont rares, voire inexistantes…
« Le cannabis agit sans doute par des mécanismes complexes à la fois au niveau du système nerveux central et par une action toxique directe sur les tissus cibles », poursuit le Pr Lechevallier. Si mieux connaître la toxicité urologique du cannabis est nécessaire, cela représente un travail complexe, pas moins de 500 substances différentes étant isolées dans le cannabis, auxquelles s’ajoutent les différents additifs incorporés dans la résine. Sans oublier les toxicités croisées : en France, le cannabis est principalement consommé en association avec du tabac. D’ores et déjà, « lorsqu’un médecin reçoit en consultation un jeune patient pour une tumeur de vessie ou d’un testicule, mais également pour des troubles érectiles ou une infertilité, il doit penser à l’interroger sur sa consommation de cannabis », concluait-il.
Premières recos françaises dans la maladie de Lapeyronie
Le comité d’andrologie et de médecine sexuelle de l’AFU a présenté lors du congrès les premières recommandations françaises sur la maladie de Lapeyronie. L’occasion de faire le ménage parmi les traitements supposés de cette fibrose de l’enveloppe du corps caverneux, qui concernerait entre 3,4 et 9 % des hommes après 50 ans.
« La vitamine E n’est plus recommandée, indique le Dr Ludovic Ferretti (Bordeaux). Aucune preuve d’efficacité n’est disponible et une toxicité au long cours est possible. » Dans la phase active douloureuse, les antalgiques et les anti-inflammatoires sont préconisés, ainsi que les IPDE5 en cas de dysfonction érectile (DE). Concernant les injections intraplaques, les corticoïdes ne sont plus préconisés car non efficaces, selon une maigre littérature.
La collagénase étant indisponible depuis fin 2019, les experts proposent à défaut les injections de vérapamil, à l’efficacité discutée. Quant à la thérapie par traction, le vacuum dix minutes deux fois par jour pendant douze semaines ou l’extenseur pénien six à neuf heures quotidiennes pendant six mois sont retenus par les experts, surtout en phase non stabilisée. Enfin, les ondes de choc de faible intensité, sans impact sur la courbure ou la taille de la plaque, ont un intérêt en traitement de la douleur, plutôt en phase précoce de la maladie.
En cas d’échec du traitement médical, de difficulté de pénétration, de courbure supérieure à 30 ° et en présence d’une DE résistante aux médicaments, la chirurgie reste l’indication de choix, avec un algorithme
décisionnel quant à la technique préférentielle (plicature, incision/excision avec greffon ou implant pénien). « De nouveaux traitements sont à l’étude, explique le Dr Ludovic Ferretti, comme les injections intraplaques de plasma riche en plaquettes (PRP), d’acide hyaluronique, de PRP enrichi en acide hyaluronique, et de cellules souches. Mais aucune ne dispose d’un niveau de preuve en 2020. »