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Dossier

CPTS, PTA, ESP...

Sur le terrain, ils négocient (déjà) le "virage ambulatoire"

Publié le 04/11/2016
Sur le terrain, ils négocient (déjà) le "virage ambulatoire"

Ouverture
VOISIN/PHANIE

Esquissée dans la loi de santé, une nouvelle organisation des soins se met progressivement en place. Depuis le début de l’été, communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), équipes de soins primaires (ESP) et autres plates-formes territoriales d’appui (PTA) pointent le bout de leur nez. Autant d’appellations censées concrétiser le virage ambulatoire et la coordination entre professionnels pour la prise en charge des patients complexes. Et si les syndicats demeurent méfiants sur les intentions des ARS, leurs chefs de file y voient une raison supplémentaire pour appeler les médecins à investir ces nouvelles structures.

ESP, CPTS et PTA, trois sigles qui n’évoquent sans doute pas grand-chose pour la plupart des généralistes. Tout juste rappelleront-ils, aux plus avertis d’entre eux, les vifs débats qui ont entouré la réforme du système de santé de Marisol Touraine. Car, derrière ces sigles un peu obscurs (voir ici) , se trouvent de nouveaux outils destinés à accompagner le virage ambulatoire. Équipe de soins primaires (ESP), communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) et plate-forme territoriale d’appui (PTA) doivent en effet venir structurer le système de soins en ville. Et permettre non seulement de garantir un accès aux soins mais également une prise en charge globale et coordonnée de la population sur l’ensemble du territoire.

En Île-de-France, une vingtaine de communes couvertes par Onco 94

Six mois après la promulgation de la loi de santé, les choses peuvent concrètement commencer : un décret publié au début de l’été précise en effet la modalité de mise en œuvre des PTA. Si les ESP, les CPTS et les PTA peuvent exister indépendamment les unes des autres, elles s’inscrivent toutefois dans un même élan qui s’intensifie depuis quelques semaines. Et qui ne devrait pas faiblir : une instruction ministérielle est sur le point d'être publiée. Toutes les agences ne l'ont pas attendue pour s'y mettre. Le 28 septembre, l’ARS d’Île-de-France a signé une convention de mise en œuvre de PTA avec le réseau de santé Onco 94. Peu de temps auparavant, une convention similaire avait été conclue avec une association des Yvelines, Odyssée. Et dans les Pyrénées-Orientales, l’association Libaglyr devrait accoucher d'une PTA au cours du premier semestre de 2017. Des exemples parmi de nombreux autres projets qui éclosent actuellement en tous points de l’Hexagone. Labellisées PTA, ces plates-formes d'appui ne sont pas pour autant nouvelles, loin de là. Depuis sa création à la fin des années 1990, le réseau Onco 94 a singulièrement évolué : dédié initialement à la prise en charge des patients atteints de cancer, il a été étendu à la gérontologie et aux soins palliatifs. C’est vers lui, explique Bernard Ortolan, que se tournent les généralistes lorsqu’ils font face à une situation complexe que, seuls ou soutenus par leur propre réseau, ils ne peuvent pas gérer. Devenu PTA, le principe reste le même, venir « en soutien des professionnels de santé quand il faut activer des réseaux médico-sociaux ou bio-médicaux », poursuit le généraliste, cheville ouvrière du dispositif.

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  On espère bien répondre davantage aux sollicitations

Dr Bernard ORTOLAN
Co-président d’Onco 94

Statu quo, donc… en apparence seulement. Car, outre de nouveaux financements, la gouvernance évolue. « La plate-forme est portée par un opérateur extérieur au réseau mais nous n’abandonnons pas notre caractère de composante », précise le coprésident d’Onco 94. En accédant au statut de PTA, le réseau va étoffer son équipe de coordination : composée actuellement de 9 professionnels, 3 postes sont à pourvoir, élargissant d’autant les champs d’action couverts par le réseau à la psychologie et à l’assistance sociale. « On va augmenter nos compétences et on espère bien répondre davantage aux sollicitations », décrypte ce médecin responsable CSMF. Du sud-est de Paris à Orly, la zone d’intervention couvre une vingtaine de municipalités. Ce qui représente 420 généralistes. Mais, jusqu’à présent, seuls 80 font régulièrement appel à Onco 94.

Cinq ans de gestation pour Libaglyr autour de Perpignan


Du côté de Perpignan, les prémices de Libaglyr remontent à 2012. Et en attendant de se constituer en CPTS et, parallèlement, d’accéder au statut de PTA, c’est toute la partie immergée d’un iceberg qui a été construite. L’accréditation de l’ARS viendra en faire émerger une fraction. Une métaphore choisie par Jean-Baptiste Thibert pour souligner le travail effectué ces cinq dernières années en termes de réflexion, d’ingénierie médicale, à l’égard des professionnels de santé… « Nous avons créé des situations de regroupement de professionnels de santé libéraux sur des petits territoires pour répondre à des objectifs globaux », décrypte le généraliste, secrétaire général de l’association.

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  Avec les maladies chroniques, les problèmes d’accès aux soins, le retour à domicile et les problèmes sociaux, ça peut être difficile pour les gens d’aller vers les professionnels

Dr Jean-Baptiste THIBERT
Responsable de Libaglyr

Parmi les missions à l’origine de Libaglyr, il y a évidemment l’organisation de parcours complexes, le soutien des aidants naturels, la mise en place de programme de prévention en santé publique ou encore le conseil à l’égard des outils connectés. Mais, selon sa cheville ouvrière, il y a surtout la volonté de rompre avec une « politique de l’offre de soins » et de développer un système répondant à la demande des patients. « Maintenant, avec les maladies chroniques, les problèmes d’accès aux soins, le retour à domicile et les problèmes sociaux, ça peut être difficile pour les gens d’aller vers les professionnels et de déterminer les besoins, il faut donc construire une politique de la demande », avance celui qui est aussi élu (Les Généralistes-CSMF) à l’URPS.

C’est d’ailleurs cette nouvelle approche qui devrait structurer le projet des professionnels lorsqu’ils se regrouperont au sein d’une CPTS, vraisemblablement en début d’année prochaine. Dans l’esprit de Jean-Baptiste Thibert, cette communauté ne pourra pas exister sans la mise en place concomitante d’une PTA. Ni sans que ses animateurs participent à la gestion de cette plate-forme. Car, poursuit-il, les libéraux ont des obligations légales à l'égard de leurs patients. Et d’en conclure : « Nous avons notre mot à dire par rapport à la PTA », afin de s’assurer que les moyens mis en œuvre sont à la hauteur de la responsabilité les soignants.

Les syndicats entre méfiance et collaboration

La gouvernance des PTA fait justement partie des sujets sensibles. Les polémiques à cet égard ne manquent d’ailleurs pas, certains syndicats dénonçant, ici et là, des ARS trop intrusives excluant les libéraux de la gestion des PTA. « La façon dont on procède est inadmissible », juge Éric Henry, « certaines ARS tentent d’organiser sans les libéraux ». À travers les PTA, « clés de voûte de la loi de santé », de l’avis du président du SML, « Touraine veut faire gérer le monde libéral par les ARS ». Or, pour lui, « la gouvernance doit être assumée par les libéraux ». Un avis partagé par Claude Leicher dont la crainte est de « se retrouver avec des structures administratives. On ne veut pas voir arriver des administrateurs dans nos structures », balaie le président de MG France. Quant à Jean-Hamon, il appelle à « modifier les mentalités ». Pour le chef de file de la FMF, « il faut arrêter de déployer l'hospitalisation à domicile (HAD) mais organiser les libéraux ». Au ministère de la Santé, du côté de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS), on reconnaît que la mise en place des PTA rencontre des situations diverses. Mais on assure qu’il est effectivement prévu que la gouvernance inclut des représentants des médecins libéraux. Et de rappeler que, d’après les termes du décret pris en application de la loi, la mise en œuvre des PTA relève des ARS en donnant la priorité aux initiatives des professionnels de santé de ville visant au maintien à domicile.

Aux avant-postes, les URPS suivent, elles aussi, l’émergence des premières CPTS et PTA. « Sur le plan territorial, tout cela a une cohérence », admet Philippe Boutin, « mais il faut faire attention à ne pas laisser les professionnels libéraux sur le bord de la route », tempère le président (CSMF) de la Conférence nationale des URPS, soucieux d’éviter une « étatisation du système ». Ce généraliste redoute que les projets des CPTS se résument aux missions relevant, jusqu’à présent, de la HAD et que les acteurs hospitaliers en profitent pour tirer la couverture à eux. Le 26 septembre, il a d’ailleurs fait part, publiquement, de ses craintes, réaffirmant, dans un communiqué, la volonté des professionnels de santé libéraux « de s’impliquer pleinement dans la réorganisation territoriale » et l’impérieuse nécessité de les considérer « comme des acteurs prééminents à l’initiative du dispositif des PTA, et des interlocuteurs privilégiés pour les autorités de tutelle ».


Des UPRS en pole position

 

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  L’URPS veut participer à l’écriture d’un cahier des charges qui soit simple

Dr Christophe THIBAULT
Secrétaire de l’URPS Bourgogne Franche-Comté

Chargé du dossier à l’URPS Bourgogne Franche-Comté, Christophe Thibault est lui aussi vigilant : « L’URPS veut absolument participer à l’écriture d’un cahier des charges qui soit simple », tant pour les CPTS que pour les PTA. Il doit permettre d’identifier « ce dont les professionnels ont besoin » afin de répondre à un objectif, « la prise en charge des patients complexes sur leur lieu de vie », détaille le généraliste FMF. Une volonté d’autant plus forte que la vision initiale de l’ARS consistait, explique-t-il, à créer une PTA par département. Soit 8 plates-formes. Un raisonnement strictement mathématique qui ne convainc pas le médecin de l’Yonne au vu des disparités territoriales. « Dans certains coins, une PTA sera suffisante, mais dans d’autres zones, les problématiques sont différentes et le rôle de la PTA le sera aussi », indique-t-il. À ses yeux, « il faut que les choses soient intéressantes en local, pour les médecins », et la gestion des cas ne peut se faire que par des connaisseurs du terrain.

Les réserves des médecins ne semblent pas perturber la DGOS, bien au contraire : on les voit plutôt comme le signe d’intérêt pour ces nouveaux outils. Et on croit savoir, d’après les organisations professionnelles, que les libéraux souhaitent s’en saisir pour monter des projets. En tout cas, c’est ce à quoi les incite vivement Luc Duquesnel. « Soit les généralistes s’engagent à garantir l’accès aux soins, à prendre en charge de façon coordonnée leurs patients, soit ils ne le font pas, et alors des réseaux hospitaliers arriveront », prévient le chef de file des Généralistes-CSMF. « Je vois plein de généralistes qui s’affolent, relève-t-il, or c’est juste des structures d’appui. » Il n’en reste pas moins confiant : « Tout cela va se mettre en place progressivement. (…) La priorité pour les libéraux est de s’intéresser aux CPTS puis, éventuellement, monter une PTA. »
Pour beaucoup, CPTS et PTA se résument au recyclage d’organisations déjà existantes. Ce que reconnaissent, sans difficulté, les observateurs. Cela aura toutefois le mérite de leur conférer « une identification claire et visible », estime Philippe Boutin. Une fois ce rhabillage fait, le « travail en profondeur » commencera, poursuit-il. D’après la DGOS, il y aurait déjà une trentaine de PTA fonctionnelles, car prenant la suite d’initiatives existantes. Et on envisage sereinement le second temps, assurant qu’un certain nombre de projets sont en cours.

À Chartres, la plate-forme informatique de l’AL2P attend sa labellisation


L’association libérale de proximité proustienne (AL2P), au sud de Chartres, pourrait ainsi faire partie de cette deuxième vague. Non seulement en tant que CPTS mais également comme PTA. Membre actif de l’AL2P, Hugues Deballon espère en effet que la plate-forme informatique qu’il développe avec d’autres professionnels de santé d’Illiers-Combray – où ce généraliste exerce – soit labellisée PTA dès sa mise en œuvre opérationnelle. Depuis près d’un an, le généraliste du SML participe à l'élaboration de ce réseau « destiné à échanger entre nous ». Une solution informatique à même d’attirer des jeunes et, pourquoi pas, de lutter contre la désertification médicale, espère-t-il.

Quant à ceux qui ne seraient pas encore investis dans un projet, pas de raison pour autant de les laisser tomber. À leur égard, Luc Duquesnel affirme que les syndicats ont un rôle majeur à jouer, pour expliquer les dispositifs et les inciter à s’organiser au niveau du territoire. Jean-Baptiste Thibert compte, lui, sur la concrétisation de son projet pour attirer de nouveaux généralistes, conscient que, malgré l’ouverture des portes de son association, peu l’ont rejointe jusqu’à présent. L’ensemble des démarches bientôt accomplies, il compte bien voir son équipe s’agrandir. Une équipe composée plus de gardes forestiers que de pompiers, note-t-il. La comparaison prend tout son sens dans une région sensible aux feux de forêts...

Luce Burnod