Une revue systématique des prescriptions ambulatoires prescription des différentes classes thérapeutiques reçues par 32 millions d’enfants des pays de l’OCDE, à partir de onze études réalisées de 2002 à 2019 (dont sept après 2015) a été réalisée par l’équipe du Dr Marion Taine et du Pr Martin Chalumeau, chercheurs à l’Inserm dans l’équipe Epopé (Équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique) du Cress (Centre de recherche en épidémiologie et statistiques) à l’Université Paris Cité (1). Elle rapporte de très fortes disparités entre ces pays qui ont pourtant des fréquences des maladies pédiatriques relativement similaires.
Si l’on ne tient compte que des médicaments obtenus sur prescription, il en ressort que les fréquences de prescription en France sont plus élevées : 86 % des enfants de moins de 18 ans ont reçu au moins un médicament dans l’année. C’est le niveau de prescription observé le plus élevé par rapport aux autres pays de l’OCDE.
Ce constat nécessite toutefois des nuances, car les études sur bases de données médico-administratives permettent de comptabiliser uniquement les médicaments remboursés. Or, les systèmes de remboursement diffèrent selon les pays. Le système français rembourse plus de médicaments qu’ailleurs, notamment ceux qui sont aussi accessibles directement à la pharmacie, comme le paracétamol. Cependant, d’autres aspects peuvent expliquer une fréquence de prescription plus élevée en France, tels qu’un accès plus facile aux médecins ou encore, un rapport moins conscient de la balance bénéfice-risque des médicaments, tant dans la population que parmi les médecins.
Une amélioration timide en infectiologie
Cette revue systématique met surtout en évidence que la fréquence de prescription des antibiotiques aux enfants est cinq fois supérieure en France à celle observée aux Pays Bas. Toutefois, même si elle reste trop élevée, une baisse de 12 % est notée par rapport à une première étude, qui comparait les prescriptions en pédiatrie ambulatoire en France, entre [2010-2011] et [2018-2019]. Et le type d’antibiotique prescrit a changé, avec une diminution de ceux à large spectre — qui favorisent l’antibiorésistance — en faveur d’une prescription plus importante de l’amoxicilline. Cette tendance témoigne, entre autres, de l’effet des recommandations sur les infections respiratoires hautes, parues en 2011.
Ces prescriptions restent toutefois à un niveau beaucoup trop élevé par rapport aux autres pays, eu égard à l’enjeu de l’antibiorésistance, considérée par l’OMS comme un défi mondial.
Une surprescription ambulatoire
Un autre constat alarmant concerne les corticoïdes oraux : cette revue systématique rapporte une fréquence de prescription des corticoïdes systémiques aux enfants 100 fois supérieure en France par rapport au Danemark, et toujours 30 fois plus qu’aux Pays Bas. Ainsi en France, un tiers des enfants de moins de six ans (et un cinquième des moins de 18 ans) reçoivent des corticoïdes oraux dans l’année.
Une autre étude, publiée en 2017, réalisée dans la population adulte française cette fois, avait souligné un niveau très élevé de prescription de corticoïdes oraux. Une optimisation de l’usage global des corticoïdes semble donc nécessaire dans notre pays.
Une limite de cette revue systématique est qu’elle ne permet pas de connaître les indications des traitements prescrits. Entre pays à économies avancées, des divergences de recommandations sont observées quant à la prescription de corticoïdes pour certaines pathologies. Par exemple, dans la prise en charge des otites séreuses, la prescription de corticoïdes oraux ou inhalés n’est pas indiquée aux États-Unis alors qu’en France, elle est recommandée.
Pour les auteurs, le niveau très élevé de prescription des corticoïdes oraux par rapport aux autres pays souligne une probable surprescription massive de cette classe thérapeutique en pédiatrie ambulatoire en France. Or, les corticoïdes oraux ne sont pas anodins, même en cas de prescription ponctuelle : ils peuvent avoir des effets secondaires métaboliques et infectieux. « Des recommandations sur ce point précis semblent donc nécessaires, étant donné que la France dénote vraiment par rapport aux autres pays. Ce qui se passe ailleurs apporte la preuve que l’on peut soigner les enfants sans prescrire autant de corticoïdes oraux », soulignent les Dr Marion Taine et le Pr Martin Chalumeau, qui plaident pour des campagnes de formation des prescripteurs sur ce point et une éducation de la population au rapport bénéfice/risque des médicaments chez l’enfant.
Exergue : « La France dénote vraiment par rapport aux autres pays »
Entretien avecEntretien avec les Dr Marion Taine et le Pr Martin Chalumeau, Epopé et Cress (Inserm), université Paris Cité (1) Taine M et al. Pediatric outpatient prescriptions in countries with advanced economies in the 21st century a systematic review. JAMA Network Open. 2022;5(4):e225964.doi:10.1001/jamanetworkopen.2022.5964 la Pr Christèle Gras Le Guen (Nantes)