Donald Trump rêve de se débarrasser de l’Obamacare. Il s’y attelle depuis ses premiers instants à la Maison Blanche. Un an après son élection, le Président américain n’y est pourtant pas encore parvenu. La faute aux médecins ? Nous avons posé la question à des généralistes américains.
La presse, Kim Jong-Un, Hillary Clinton… Donald Trump a quelques cibles favorites qu’il se plaît à tacler régulièrement sur son compte Twitter. Parmi elles, on retrouve aussi l’Obamacare. Le Président américain rêve de se débarrasser de cette loi, l’un des symboles de la présidence Obama, censée garantir l’accès aux soins à tous les Américains. Au lendemain de sa prise de fonction, la première décision de Donald Trump fut d’ailleurs de signer un décret afin de réduire les dépenses de l’Obamacare dans les limites de la législation.
En février, il tweetait encore : « Malgré le temps pris par les démocrates pour enfin approuver la nomination du Dr Tom Price (contraint de démissionner depuis), l’abrogation et le remplacement de l’Obamacare avancent vite ». Sauf que huit mois plus tard, le Président n’a toujours pas trouvé le moyen d’abroger et de remplacer l’Affordable Care Act (ACA), dénomination officielle de la loi de Barack Obama. Pire, il fait du surplace. Dans son propre camp, tout le monde n’est pas convaincu par la pertinence d’un « repeal and replace » (abrogation et remplacement).
Le corps médical serait-il pour quelque chose dans ce sur-place, comme on le dit souvent ? En janvier, 426 médecins de premiers recours avaient été sondés sur le sujet par des membres de l’université Johns Hopkins de Baltimore. Seuls 15 % étaient en faveur d’une abrogation de l’Obamacare. Même chez les praticiens ayant voté pour le multimillionnaire à la présidentielle, à peine plus du tiers (38 %) déclarait souhaiter l’abrogation de la loi. Les auteurs de cette enquête, publiée dans le NEJM, relevaient que « plus qu’une abrogation, la majorité des médecins étaient en fait favorable à des changements de la loi. Ils soutiennent largement de nombreuses dispositions, comme l’interdiction faite aux assureurs de refuser de couvrir un citoyen ou de lui faire payer plus en raison de son état de santé ».
L’Affordable Care Act, mode d’emploi
Promulgué le 30 mars 2010 par Barack Obama, l’Affordable Care Act a dû attendre le 1er janvier 2014 pour entrer en application, en raison des nombreux recours intentés par le parti républicain pour empêcher sa mise en œuvre. L’Obamacare a pour objectif de permettre au plus grand nombre d’Américains de bénéficier d’une couverture santé. Pour cela :
– La loi oblige tous les citoyens américains à souscrire à une couverture santé, avec un panier de soins minimum, auprès de l’une des assurances répertoriées sur un portail dédié. Pour les citoyens les plus pauvres, l’État fournit des aides fiscales pour qu’ils puissent se payer cette couverture. Pour les autres, ce sont très souvent les employeurs qui financent la couverture santé.
– Les entreprises de plus de 50 employés sont tenues de prendre en charge la couverture de ses employés, sous peine de payer des pénalités. Cependant, des millions d’indépendants ou de salariés sans assurance doivent s’assurer eux-mêmes, sous peine de pénalités.
– L’Obamacare permet également aux enfants de rester couverts par l’assurance de leurs parents jusqu’à leurs 26 ans.
– Les assureurs compatibles avec l’ACA ne peuvent pas refuser d’assurer un citoyen, même s’il a des antécédents médicaux ou une maladie chronique.
– L’Obamacare élargit les critères d’éligibilité à Medicaid, l’assurance publique destinée aux citoyens les plus pauvres.
Les généralistes en faveur de l’Obamacare…
Quelques coups de fils Outre-Atlantique confirment cet état d’esprit chez les généralistes américains. En novembre, l’un d’eux, Damon Raskin, installé dans la banlieue de Los Angeles, a voté Trump. « Pas pour son programme santé, car je voulais du changement », affirme-t-il. Le praticien reconnaît pourtant sans mal les mérites de l’Obamacare. « J’ai constaté dans mon exercice que de plus en plus de personnes ont eu accès aux soins grâce à l’ACA. Ces dernières années, j’ai vu des patients qui n’avaient pas consulté un médecin depuis longtemps, faute d’assurance », constate le Californien. « L’Obamacare est un pas dans la bonne direction », affirme de son côté William Robinson, généraliste de 37 ans installé à quelques kilomètres d’Atlanta. Exerçant depuis dix ans, il assure avoir toujours été en faveur de l’ACA. « Je pense que l’objectif d’un médecin est de fournir des soins et une meilleure couverture sociale au plus grand nombre, à des tarifs raisonnables. L’Obamacare a cette vocation », avance celui qui a voté pour Hillary Clinton.
À Beverly Hills (l’un des quartiers les plus huppés de Los Angeles), le Dr Richard Horowitz apporte un bémol : « J’étais favorable à la formule initiale de l’Obamacare mais pas à la version définitive. Beaucoup de points ont été abandonnés afin que le texte soit adopté », regrette ce praticien qui a également voté Clinton. Plus au sud, à San Diego, le Dr Joseph Moore ne souhaite pas révéler pour qui il a voté. Ce médecin de famille de 60 ans ne semble pas être un grand fan de l’ACA. Tout juste y voit-il un bon côté pour les patients : « Quand ils voient leur médecin, ils en sont généralement très heureux ».
… malgré ses faiblesses
Le Dr Moore pointe de nombreux défauts. Pour lui, les patients ont davantage accès aux soins, mais les règles de l’Obamacare sont telles qu’ils n’ont pas forcément le choix du médecin qu’ils consultent. « L’ACA est devenu si lourd et les remboursements sont si bas que de nombreux médecins ne travaillent pas avec les assurances de l’Obamacare. Les patients ne voient donc pas le praticien de leur choix ». Le médecin pointe aussi du doigt la charge administrative supplémentaire. Le Dr Raskin partage l’analyse de son confrère sur le coût de l’Obamacare, notamment celui des primes d’assurance, « qui continuent de grimper ».
S’ils sont moins pessimistes, les Drs Horowitz et Robinson s’accordent à dire que l’Obamacare est perfectible. « Est-ce que l’ACA est parfaite ? Certainement pas, mais c’est un pas dans la bonne direction », insiste le Dr William Robinson. « La loi a ses problèmes, mais je crois qu’elle peut être améliorée et que certains points peuvent être corrigés afin de la rendre encore meilleure. La mise en place de l’ACA a été le premier pas du gouvernement vers un système de couverture universelle », juge son confère californien Richard Horowitz. Là-dessus, les quatre généralistes américains se rejoignent. « J’aimerais bien sûr que tout le monde ait accès aux soins, comme vous en France. C’est ma philosophie, mais l’Obamacare est insoutenable », regrette Damon Raskin.
Pour Richard Horowitz, « le principal mérite de l’Obamacare est d’avoir donné accès aux soins à 35 millions de nos concitoyens, soit près de 10 % de notre population, qui n’y avaient pas accès avant ». Le généraliste de Beverley Hills poursuit : « Le mauvais côté de l’Affordable Care Act c’est le coût du produit pour les 90 % restants de la population.» En raison des primes d’assurances trop coûteuses, « la majeure partie de nos personnes jeunes et en bonne santé qui étaient censées s’assurer via l’ACA ne l’ont pas fait. Ils préfèrent payer la pénalité », estime-t-il.
Sur le sujet, le Dr Georges Benjamin, directeur exécutif de l’American Public Health Association (APHA, l’association américaine de santé publique) se montre plus positif. « L’essentiel de l’ACA fonctionne bien. Les solutions pour l’améliorer sont déjà là, elles ne requièrent pas beaucoup d’études. Il faut juste les instaurer. Aucune loi n’est parfaite mais des petits ajustements peuvent être faits », assure cet ancien généraliste, pensant notamment à certaines assurances qui ne jouent pas le jeu.
Président Inapte ?
« Personnellement, je pense que Donald Trump n’est pas en mesure d’être le Président des États-Unis. C’est un malade mental », diagnostique le Richard Horowitz depuis son cabinet de Beverley Hills. Le généraliste californien partage là-dessus l’avis de nombreux de ses confrères. Quelques jours après l’investiture de Donald Trump, John Gartner, un professeur en psychiatrie à l’université John Hopkins, avait lancé une pétition adressée aux professionnels de la santé mentale, réclamant la destitution du Président américain. Convaincu du caractère clinique de la folie de Donald Trump, le psychiatre invoque le 25e amendement de la Constitution américaine qui prévoit la destitution d’un président « inapte à exercer ses fonctions ». Si la pétition a récolté plus de 65 000 signatures, il est difficile d’établir la part des professionnels de santé parmi celles-ci. « Ce n’est pas une initiative partisane, assurait le John Gartner, c’est une évaluation professionnelle, partagée par des milliers de mes confrères ».
Mobilisés... mais pas forcément influents
Autant dire que dans l’ensemble, les médecins ne sont pas partisans d’une remise en cause totale. « L’abrogation de l’Obamacare est un non-sens, c’est juste de la politique. Cela n’a rien à voir avec la santé ou les assurances », s’offusque le Dr Richard Horowitz. « Ce serait un désastre pour le secteur de la santé aux états-Unis. L’Affordable Care Act peut être amélioré via le processus législatif et en négociant. C’est là que le gouvernement et le Congrès vont devoir tenter de s’entendre », poursuit le praticien californien. Damon Raskin abonde dans ce sens, bien qu’il ait voté pour Donald Trump. « Une abrogation pénaliserait de nombreux concitoyens ». Et selon Richard Horowitz, elle « représenterait un coût énorme pour les assurances qui, en vue de la mise en place de l’Obamacare, ont dû adapter leurs infrastructures et leurs logiciels à la nouvelle législation. Cela a coûté des centaines de millions de dollars. D’un point de vue financier et logistique, ce serait une dépense énorme pour l’industrie de la santé. À moins d’avoir une solution. Mais pour l’instant ils (les républicains) n’en ont pas ».
Alors que faire pour empêcher le repeal ? « Nous pouvons informer nos élus. Mais il faut que nous soyons très nombreux à le faire. C’est aussi aux lobbies comme l’American Medical Association (AMA) d’aller au Congrès et de négocier, avec le soutien de la communauté médicale, estime le Dr Horowitz. Il y a aussi les « medical associations » de chaque état. Toutefois, comme l’AMA, elles n’ont ni les moyens, ni le pouvoir de l’industrie des assurances. L’AMA œuvre beaucoup en faveur de l’Obamacare, mais elle n’est plus aussi influente que dans le passé. Le lobbying est un moyen de lutter contre l’abrogation, mais est-il efficace ? ».
À Atlanta, le Dr William Robinson le pratique à sa façon. Il dit contacter ses élus à chaque fois qu’un vote sur le sujet est au programme, afin d’éviter le repeal. C’est pour lui l’une des seules choses que puissent faire les généralistes américains. « Vous pouvez aussi essayer d’être un bon représentant de la communauté médicale auprès des autres cercles auxquels vous appartenez, afin de les convaincre eux aussi de contacter leurs élus », ajoute-t-il.
Reste que si toutes les tentatives d’abrogation ont échoué, le Dr Raskin attribue cela davantage au jeu politique. « Je ne pense pas que les médecins aient vraiment joué un rôle dans ces échecs, dit-il. Contrairement aux politiques, pour qui les concitoyens seraient mécontents d’un accès au soin réduit. Peut-être que des organisations comme l’AMA, qui demeure importante, peuvent parfois influer sur la politique… Mais c’est difficile de dire si cela a été le cas pour l’Obamacare. »
Si les généralistes interrogés doutent de l’influence de la communauté médicale, le directeur exécutif de l’APHA affirme que son association a joué un rôle prépondérant dans les échecs d’abrogation. « Nous sommes très fiers d’avoir tout fait pour empêcher l’administration et le Congrès d’abroger l’ACA, se réjouit le Dr Benjamin. Parmi nos 50 000 membres, certains sont très connus dans le monde de la santé. Ils sont nombreux à avoir écrit des courriers, passé des appels… ». Le responsable rejoint ainsi ses confrères sur la méthode à employer pour éviter le repeal. « Les gens ont la mémoire courte, et c’est notre devoir de le leur rappeler à chaque tentative d’abrogation. »
Vers une « réparation »
Résultat provisoire pour l’heure : le statu quo. Plutôt qu’une abrogation, l’administration Trump semble se diriger vers une réparation de l’Obamacare, même si les médecins interrogés ne croient pas à un abandon du Président américain. Richard Horowitz se veut confiant. Pour lui, le vote sera « toujours serré » en raison de la majorité des républicains au Sénat, mais il est « certain » du maintien de l’Obamacare. De son côté, le Dr Georges Benjamin reste méfiant, même si pour le moment le directeur exécutif de l’APHA a vu « plus de grands discours que d’actions concrètes. » Il est rejoint sur ce point par Damon Raskin. « Il n’a fait montre d’aucun leadership sur le sujet. Le Président veut juste abroger et remplacer l’Obamacare, mais il n’a pour l’instant fourni aucune proposition vraiment meilleure. Je ne vois rien de bon arriver de son côté », confie le médecin de la banlieue de Los Angeles.
Quant à Joseph Moore, il ne croit pas non plus à l’abrogation. « L’expression consacrée parle d’abrogation et de remplacement. Cela devrait plutôt ressembler à “modifions ce qui ne fonctionne pas et continuons à avancer” », estime le généraliste de San Diego. « Tant que cette administration est au pouvoir, ce n’est pas fini », avertit Georges Benjamin, rappelant toutefois que l’APHA a su travailler avec toutes les administrations, qu’elles soient républicaines ou démocrates. Mais Donald Trump n’est-il pas un cas unique ?
Un an entre coups de menton et atermoiements
> 13 novembre 2016 : cinq jours après son élection, Donald Trump semble hésiter dans une interview entre abroger et amender la loi santé d’Obama
> 30 novembre 2016 : Tom Price, un chirurgien orthopédique, anti-IVG et anti-Obamacare est pressenti pour être ministre de la Santé
> 20 janvier 2017 : prise de fonction de Donald Trump
> 23 janvier 2017 : un décret interdit le financement d’ONG qui soutiennent l’IVG
> 10 février 2017 : nomination de Tom Price au ministère de la Santé validée de justesse au Sénat après huit jours de tergiversations
> 24 mars 2017 : 1er échec au Congrès pour abroger l’Obamacare
> 10 avril 2017 : choisi par Trump, Neil Gorsuch, un « pro life » notoire, arrive à la Cour suprême
> 14 avril 2017 : coupes sombres dans les crédits des cliniques du planning familial
> 18 juin 2017 : six experts démissionnent du Presidential Advisory Council on HIV/AIDS
> 28 juillet 2017 : 2e échec au Congrès pour abroger l’Obamacare
> 14 août 2017 : le PDG du groupe pharmaceutique Merck démissionne de ses fonctions de conseiller économique de Trump
> 26 septembre 2017 : 3e échec à l’abrogation de l’Obamacare
> 27 septembre 2017 : démission du ministre de la Santé, épinglé pour ses voyages en jets privés
> 6 octobre 2017 : l'administration Trump réduit les possibilités de remboursement de la contraception