Passée de moins de 1 % des consultations à 22 % au printemps 2020, la téléconsultation plafonne aujourd’hui autour de 4 à 5 %. Alors que certains médecins généralistes l’utilisent régulièrement avec leurs patients, d’autres l’ont peu à peu délaissée. Quelles sont les pratiques aujourd’hui ? Et si une bonne téléconsultation était « assistée » ?
« Il semble que la téléconsultation est en train de trouver sa place dans le parcours de soins », s’est félicité Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d’Assurance maladie, lors d’une audition dans le cadre d’une commission d’enquête sénatoriale sur l’hôpital le 16 février. Rappelant que les téléconsultations représentent « aujourd’hui environ 5 % des consultations des généralistes » alors qu’« avant la crise sanitaire, on était à 0,5 % ». Les médecins généralistes sont en effet passés d’environ 20 000 téléconsultations par mois en février 2020 à entre 600 000 et 800 000 en moyenne en 2021, après le pic de plus de 3,5 millions en avril 2020.
Le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, tempère néanmoins ce chiffre en rappelant qu’au début de la crise, « la consultation téléphonique était considérée comme une téléconsultation ». Le Dr Pierre Simon, ancien président de la Société française de télémédecine, indique qu’elle a représenté jusqu’à 50 % de ces consultations à distance. Il rappelle par ailleurs les recommandations de la Haute Autorité de santé de mai 2019 qui précisent que « la téléconsultation doit se faire par vidéo ».
La prise en charge à 100 %, un élément clé ?
Depuis le début de la crise sanitaire, la pratique a en effet bénéficié de plusieurs dispositions afin d’en favoriser l’usage. Si la téléconsultation par téléphone a pris fin en juin 2021, la prise en charge à 100 % de ces consultations à distance est, elle, toujours d’actualité. Et ce, potentiellement jusqu’au 31 juillet prochain. Un élément important pour les médecins. Utilisateur avant la pandémie, le Dr Pierre-Marie Coquet témoigne : « Le fait que ce soit totalement pris en charge par la Sécurité sociale est un énorme plus. » Pour le Dr Duquesnel, « c’est un élément clé pour se faire régler ». Même son de cloche pour le Dr Isabelle Domenech-Bonet, spécialiste des questions numériques chez MG France : « Nous travaillons pour que le 100 % en AMO (assurance maladie obligatoire, ndlr) perdure. Sinon, ce sera un frein à la téléconsultation. Si le médecin doit aller chercher un système supplémentaire, c’est ingérable. »
Du côté de la Cnam, Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins, répond sur cette prise en charge à 100 % : « Il est toujours plus facile d’avoir un seul financeur. Mais beaucoup de médecins nous alertent sur le fait qu’il n’y a pas de raison de favoriser la téléconsultation plutôt que la consultation en présentiel. L’objectif n’est pas d’avoir un mode de consultation mieux remboursé que l’autre. La loi prolonge la prise en charge à 100 % jusqu’à une date fixée par décret et au plus tard jusqu’au 31 juillet 2022. L’avenant 9 est entré en vigueur le 26 septembre 2021 mais les mesures de l’avenant comportant une revalorisation tarifaire ne rentrent en vigueur que le 1er avril 2022. Si la situation sanitaire n’est pas dégradée, on entrerait dans le droit commun. »
Les conditions de l’avenant 9
Lors de son audition au Sénat, Thomas Fatôme a d’ailleurs détaillé la position de la Cnam dans la rédaction de l’avenant 9 : « La prise en charge dans les conditions définies par l’avenant vise à tirer les conclusions de la crise sanitaire. » Le texte prévoit un seuil maximal de 20 % du volume de l’activité globale annuelle du médecin réalisé via la téléconsultation. « Il est important qu’il n’y ait pas des médecins qui perdent leur pratique d’auscultation. La téléconsultation est extrêmement utile dans de nombreuses situations mais elle n’est pas adaptée à tous les types de prise en charge. La consultation doit rester l’exercice privilégié entre le médecin et son patient », observe Marguerite Cazeneuve. L’avenant en assouplit en revanche l’accès en supprimant l’obligation d’une consultation en présentiel dans les 12 mois précédant la téléconsultation et en actant la possibilité de déroger au principe de « territorialité » lorsqu’un patient n’a pas de médecin traitant désigné, qu’il se trouve dans un désert médical ou lorsqu’il a été orienté par le régulateur du SAS après un échec de prise de rendez-vous sur son territoire.
Privilégier l’ancrage territorial
Ce principe de territorialité est défendu par les médecins face au développement des cabines de téléconsultation. Le Dr Sylvaine Le Liboux, secrétaire générale des généralistes CSMF, qui en a fait son « cheval de bataille », l’observe : « Les cabines sont en train de mailler tout le territoire. Nous bataillons pour que la Sécurité sociale ne rembourse pas » ces consultations. De son côté, le Dr Isabelle Domenech-Bonet appelle ainsi à la vigilance de la Cnam : « Il est important que la téléconsultation prise en charge à 100 % AMO soit réservée aux médecins traitants du patient. » À la Cnam, Marguerite Cazeneuve se montre rassurante : « Nous considérons qu’il faut que la téléconsultation se fasse entre le médecin traitant et son patient. » Et les chiffres fournis par la Cnam en témoignent. Ainsi, à l’automne 2021, environ 71 % des téléconsultations facturées par des généralistes l’étaient par le médecin traitant. Cette proportion est de 73 % pour les consultations en présentiel.
Vers une charte de bonne pratique
Outre les équipements, le Dr Pierre Simon souligne l’importance de la formation. « Les médecins ne se sont pas approprié la téléconsultation pour le suivi des maladies chroniques. Elle est utilisée pour le renouvellement d’ordonnances, les phénomènes aigus. La téléconsultation sera vue comme complémentaire d’un parcours de soins de patients atteints de maladies chroniques lorsque les médecins accepteront de faire des formations dans le cadre du DPC. » Il ajoute : « La faible adhésion du corps médical français, mis à part ceux qui ont été formés, repose sur l’importance donnée à l’examen physique. Des données scientifiques montrent que le diagnostic médical repose dans 70 % des cas sur l’interrogatoire et dans 5 % des cas sur l’examen physique. Le reste repose sur les examens supplémentaires. » Pour l’accompagnement des professionnels de santé, l’Assurance maladie travaille par ailleurs « avec des médecins, des offreurs de solutions, etc. » sur une « charte de la téléconsultation », confie Marguerite Cazeneuve. Elle détaille : « Nous commençons à discuter autour de cette charte de bonne pratique et nous verrons si l’État souhaite l’inscrire dans la loi. De bonnes pratiques doivent être identifiées. Il faut aussi voir comment la téléconsultation peut favoriser l’alimentation de Mon espace santé. »
De l’importance de connaître les patients
Si de nombreuses études ont été réalisées suite au premier confinement, difficile aujourd’hui de savoir combien de généralistes utilisent la téléconsultation et si la pratique est régulière ou ponctuelle. Entre janvier et octobre 2021, 11,82 millions de téléconsultations ont été remboursées par l’Assurance maladie dont 83 % dans le cadre d’un exercice libéral. Et, parmi les professionnels de santé libéraux, les généralistes et les médecins à mode d’exercice particulier (MEP) comptent pour 76 %. Les psychiatres ont, eux, facturé 13 % des téléconsultations en libéral, ce mode de consultation à distance représentant d’ailleurs 8 % de leur activité. Néanmoins, chez les généralistes, plusieurs utilisations se distinguent.
Le Dr Sylvaine Le Liboux confie l’avoir « beaucoup utilisée pendant le confinement » mais préférer la consultation. Aujourd’hui, elle ne s’en sert pratiquement plus avec ses patients et réserve cette pratique à ceux « qui ne peuvent pas se déplacer ou qui ont le Covid ». Le Dr Isabelle Domenech-Bonet pratiquait déjà la téléconsultation avant la crise sanitaire. Elle l’utilise encore aujourd’hui : « Cela me rend énormément service pour les personnes positives au Covid, celles qui ont des difficultés à se déplacer, les étudiants qui se sont éloignés pour leurs études… » Des téléconsultations qui se font en fonction des besoins de ses patients, « généralement le soir après mes consultations ». Le Dr Pierre-Marie Coquet se présente, lui, comme un « adepte » de la téléconsultation, qu’il réserve à ses patients. « Il m’est arrivé de me connecter car j’avais une téléconsultation prévue et je n’avais pas décoché la case pour réserver à mes patients », explique le médecin, qui s’est retrouvé un jour à faire une téléconsultation dans le cadre d’un service de soins non programmés. « Cela prend un temps fou si on ne connaît pas le patient pour remplir le dossier », témoigne-t-il. Sa pratique de la téléconsultation est aujourd’hui « variable en fonction des jours, de la disponibilité ».
Tous s’accordent par ailleurs sur l’importance de la connaissance des patients. Une proximité qui permet également de basculer d’une téléconsultation vers une consultation en cabinet. « Un médecin connaît les limites du non-examen clinique. Il arrive souvent au cours d’une téléconsultation de dire stop et de prévoir une consultation », partage le Dr Pierre-Marie Coquet. Le Dr Isabelle Domenech-Bonet en témoigne aussi : « II y a des consultations que nous ne pouvons pas faire à distance, par exemple pour les patients qui nous disent “j’ai du mal à respirer, j’ai mal à la gorge”… Si je me rends compte que je n’arrive pas à voir les signes ou faire le diagnostic comme j’aurais voulu, je vais lui proposer de venir pour un rendez-vous. » La généraliste met par ailleurs en garde face à la facilité pour certains patients de multiplier les téléconsultations avec des médecins différents. « Il faut limiter le nombre de téléconsultations par personne car on peut arriver à des abus », prévient-elle après avoir été confrontée à « une patiente en grande anxiété » qui avait réalisé « dix téléconsultations avec des médecins différents » dans un délai restreint.
Faudrait-il « former » les patients à la téléconsultation ? Marguerite Cazeneuve indique des réflexions sur le sujet mais, pour le moment, essentiellement avec les plateformes de téléconsultation, pour par exemple mettre en place un questionnaire en amont de l’acte : « pour la téléconsultation, il y a des réflexes à acquérir », indique-t-elle.
Un équipement indispensable
Et pour faire des téléconsultations, l’équipement est indispensable. « Quand on fait de la téléconsultation, il n’est pas possible de partager son cabinet avec un autre médecin », souligne le Dr Pierre-Marie Coquet, qui travaille avec des médecins adjoints. Il ajoute : « Cela exige un gros cabinet informatisé, d’avoir les bons logiciels. Pour faire une téléconsultation, je pars de mon dossier patient, je peux imprimer l’ordonnance qui sort en pdf et est signée et validée avec mon tampon. Tout est tracé et sécurisé. » Les solutions de téléconsultation varient et plusieurs entreprises privées en proposent. Les Grades (groupements régionaux d’appui au développement de la e-santé, dépendants des ARS) en développent aussi. Au sein de MG France, l’objectif est d’avoir « pour tous les médecins généralistes un système de téléconsultation facile et gratuit », affirme le Dr Isabelle Domenech-Bonet. Dans sa région Auvergne-Rhône-Alpes, un système de téléconsultation d’abord géré par l’URPS médecins et maintenant par le Grades est disponible pour les médecins.
Les meilleures téléconsultations sont-elles assistées ?
Si les uns et les autres affichent une fréquence d’utilisation différente de la téléconsultation, les avis sont unanimes sur la téléconsultation assistée. Dans l’agenda du Dr Le Liboux, des rendez-vous de téléconsultation peuvent être pris avec les infirmiers de l’Ehpad les mardis et vendredis. « L’infirmière m’envoie, le matin, les noms des patients à voir. Puis elle se connecte avec une tablette et passe de chambre en chambre », raconte-t-elle. Elle signale également un projet en train d’être constitué dans le cadre du SAS pour que les infirmiers puissent aller au domicile des patients avec une valise de téléconsultation et ainsi permettre une consultation à distance avec le médecin régulateur. Ces téléconsultations assistées sont aussi plébiscitées par les Drs Domenech-Bonet et Coquet. Ce dernier témoigne : « Dans la MSP, nous avons commencé dans le cadre d’une expérimentation de l’agence régionale de santé environ un an avant le Covid. La première question a été : “que va-t-on faire de ce bazar ?” Puis les infirmières ont commencé à nous demander nos disponibilités en téléconsultation quand elles étaient à domicile. » Il utilise également la téléconsultation pour les patients en Ehpad. « Ils adhèrent totalement, même les patients âgés », ajoute-t-il. Finalement, il se félicite d’avoir « la chance d’être dans un territoire où nous travaillons énormément avec les infirmiers et les pharmaciens. Cette dynamique territoriale aide beaucoup. » Avant de citer le projet en réflexion de « mettre des valises de téléconsultation au niveau de mairies un peu éloignées, pour des gens qui ne peuvent plus faire la route ». Et le Dr Simon de conclure : « Aujourd’hui, on change d’époque sur le plan technologique. Nous sommes dans une période de transition. »