Le gène APOE4 est connu depuis de nombreuses années comme un facteur de risque génétique de la maladie d’Alzheimer (MA) sporadique et est également impliqué dans d’autres pathologies telles que l’athérosclérose, la sclérose en plaques ou encore l’apnée du sommeil. De précédentes publications avaient évalué le risque de développer une MA comme trois fois plus élevé pour les porteurs d’un seul allèle APOE4 et jusqu’à 14 fois plus élevé pour les homozygotes par rapport aux porteurs d’APOE3, le variant de référence du gène APOE.
Dans leur étude, parue dans Nature Medicine, les chercheurs ont évalué la présentation de la MA chez les patients homozygotes APOE4 en comparaison à ceux porteurs d’autres variants d’APOE. L’équipe a ainsi étudié plus en détail l’évolution clinique et pathologique, ainsi que celle des biomarqueurs, de patients homozygotes APOE4, afin de déterminer si cela pouvait constituer une forme distincte et génétiquement déterminée de la MA.
À partir de bases de données, les chercheurs ont calculé une pénétrance du gène jusqu’à 88 % pour les biomarqueurs amyloïdes et tau à l’âge de 80 ans pour les porteurs homozygotes APOE4. Sachant que la prévalence des porteurs homozygotes APOE4 en population générale se situe entre 2 et 3 %, les auteurs argumentent donc pour que cet haplotype soit considéré comme une forme génétique de la MA. À ce jour, trois formes génétiques de la MA sont reconnues : APP, PSEN1 et PSEN2 qui sont responsables de forme précoce avec une pénétrance à 100 % et une transmission autosomique dominante. Selon les auteurs, jusque-là, « aucune étude n'avait analysé de manière exhaustive l'effet de la dose de gène sur les catégories de biomarqueurs amyloïdes, tau et de neurodégénérescence en fonction de l'âge et du nombre d'années avant l'apparition des symptômes chez les homozygotes de l’APOE4 ».
Des signes cliniques et biologiques dès l’âge de 55 ans
Les auteurs se sont appuyés, pour l’étude anatomopathologique (analyse post-mortem), sur les données existantes d’une base totalisant 3 297 patients, dont 63 % avaient été diagnostiqués avec une MA et dont 273 étaient homozygotes APOE4 ; pour l’étude clinique, ils ont utilisé les données de 10 039 cas provenant de plusieurs cohortes multicentriques, dont 519 homozygotes APOE4.
L’analyse de ces données a montré que 95 % des plus de 65 ans homozygotes APOE4 présentaient des signes de MA (caractéristiques biologiques, biomarqueurs dans le liquide céphalorachidien [LCR] ou imagerie) et avaient des niveaux significativement plus élevés de biomarqueurs de la MA dès l'âge de 55 ans par rapport aux homozygotes APOE3. L’âge d’apparition des symptômes était plus précoce chez les homozygotes APOE4 (65,1 ans) que chez ceux porteurs d’autres variants APOE. Les taux de protéine amyloïde dans le LCR et la positivité des scanners pour l’amyloïde augmentaient avec l’âge, indiquant pour les auteurs « une pénétration quasi complète de la biologie de la MA chez les homozygotes APOE4 ».
Malgré les changements cliniques et de biomarqueurs plus précoces dans leur ensemble chez les APOE4/E4, il n'y avait pas, au stade de la démence, de différence entre les haplotypes en ce qui concerne les biomarqueurs d’imagerie. Pour les auteurs, ce variant présente un risque bien supérieur aux autres haplotypes d’APOE à risque, qui est semblable à celui des maladies mendéliennes. Ainsi, selon eux, ces arguments vont dans le sens d’une forme génétique de la MA et suggèrent, en conclusion, la nécessité « de stratégies de prévention, d'essais cliniques et de traitements individualisés ».
Un nouveau paradigme ?
Pour le Dr Juan Fortea, neurologue à l’institut de recherche Sant Pau et auteur senior, « ces données représentent une reconceptualisation de la maladie ou de ce que signifie être homozygote pour le gène APOE4 », car « la quasi-totalité des personnes porteuses homozygotes de ce variant APOE4 développent la biologie de la maladie d’Alzheimer ». En effet, les auteurs expliquent que la MA génétiquement déterminée se distingue de la MA sporadique par « la pénétrance quasi complète de la maladie, la présence d'un facteur de risque génétique, la prévisibilité de l'âge d'apparition des symptômes et une séquence prévisible de changements pathologiques et cliniques, et des biomarqueurs ». Des critères que rassembleraient les homozygotes APOE4 pour les auteurs.
Le Pr David Wallon, responsable du centre Mémoire de ressource et de recherche du CHU de Rouen, commente pour le Quotidien ces résultats : « Si APOE4 venait à être considéré comme une cause de la MA, à l’instar des formes monogéniques mendéliennes, cela impliquerait un accès au diagnostic génétique présymptomatique pour ce gène. » Or, en France, l’accès à l’information génétique se fait pour une pénétrance complète dans la maladie d’Alzheimer, et donc un risque de 100 % de développer la maladie, « ce qui n’est pas le cas pour APOE4, pour qui nous estimons plutôt le risque entre 50 et 60 % après 85 ans, avec la prise en compte d’autres facteurs génétiques et environnementaux ; et surtout pour une maladie pour laquelle nous n’avons pas de traitement curatif à proposer », tempère-t-il.
Selon le neurologue, s’il reste de nouvelles formes génétiques à découvrir, les variants seront « extrêmement rares, et vraisemblablement en association oligogénique ». En 2011, le Pr Wallon avait co-signé un article proposant de considérer APOE4 comme un gène autosomique semi-dominant et de l’intégrer seulement comme un facteur de risque fort, une position qu’il maintient aujourd’hui. Il regrette également que les données proviennent de séries de cas, et non « d’une cohorte à proprement dite », car la distribution des génotypes APOE et de maladie d’Alzheimer ne reflète pas ce qui pourrait être observé dans des cohortes en vie réelle.
Enfin, le Pr David Wallon ouvre la discussion, évoquant de possibles perspectives pour ces résultats : « ce papier arrive au moment même où arrivent les nouveaux traitements de la maladie d’Alzheimer, les immunothérapies anti-amyloïde, pour lesquelles il sera demandé un génotypage APOE, car les patients porteurs APOE4 ont des risques d’effets indésirables, et plus encore chez les homozygotes ».
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