Avec des pathologies chroniques comme l’asthme ou la BPCO, des maladies aiguës de type infectieux ou encore des affections graves et semi-chroniques comme le cancer du poumon, « la pneumologie est une spécialité qui reflète bien la complexité du système de santé », souligne le Pr Christos Chouaid (Créteil).
Avec globalement des performances reconnues pour la prise en charge des pathologies lourdes et l’accès à l’innovation mais des lacunes en matière de prévention primaire et secondaire.
Cocorico pour la muco
Parmi les cocorico de la pneumo, l’organisation de la prise en charge de la mucoviscidose avec le dépistage systématisé et le système de centres de référence et de compétences, « est un exemple d’organisation remarquable envié par beaucoup de nos collègues étrangers, poursuit le Pr Chouaid. Aujourd’hui, en France, un bébé qui est dépisté avec une mucoviscidose a l’assurance d’être pris en charge par les meilleurs spécialistes avec un accès aux soins et aux médicaments de très bonne qualité. Ce qui n’est pas le cas ailleurs. Au-delà des progrès thérapeutiques, c’est une des raisons qui a permis de transformer le pronostic de la mucoviscidose». Avec désormais une médiane de survie de 52 ans pour les enfants mucoviscidosiques nés en 2016.
Autre motif de satisfaction en France : la prise en charge du cancer du poumon. « Grâce à l’Inca et au plan cancer, l’accès au test de biologie moléculaire a été extrêmement rapide et ce pour tous les patients quel que soit leur statut socio-économique. De même l’accès aux anticancéreux est, quoi qu’on en dise, de très bonne qualité. L’immunothérapie par exemple a diffusé très rapidement en France grâce aux ATU », se félicite le Pr Chouaid.
Tout en reconnaissant que les problèmes de démographies médicales auxquels est confrontée la France actuellement pourraient bien venir lézarder le bel édifice.
Tabac : la France progresse mais pas assez vite
Pourquoi le France est mal notée au niveau du tabagisme ? Globalement le tabagisme régresse dans l’Hexagone : « les Français fument 2 fois moins de cigarettes qu’en 1991 au moment de la loi Evin », affirme le Pr Bertrand Dautzenberg, pneumologue à l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Si la France figure en bas de classement avec la Bulgarie, la Grèce ou la Croatie d'après l'Eurobaromètre 2012-2014, c’est parce que les autres pays européens progressent bien plus vite. En effet, on constate une consommation de tabac quasi constante dans le pays depuis plus de 10 ans.
L’une des raisons majeures serait que le lobby des cigarettiers resterait très prédominant en France. De même, la prise en charge actuelle des substituts nicotiniques n’est pas idéale pour motiver les fumeurs à arrêter car s’ils sont remboursés jusqu’à hauteur de 150 € par an, ils doivent auparavant avancer l’argent de leurs poches. « Le tabac creuse les inégalités sociales et moins on a de moyens plus il est difficile de se faire soigner », souligne le Pr Dautzenberg. Par ailleurs, une augmentation massive du prix du tabac serait probablement une bonne stratégie : « pas de 5 % par an mais au moins de 10 % de temps en temps ». Pour autant, l’optimisme est de rigueur. Les prochains résultats pourraient monter une amélioration au vu des dernières mesures prises. La campagne « Mois sans tabac » est un succès, bientôt la varénicline va être remboursée comme en Belgique. Enfin, l’apparition du paquet neutre pourrait décourager les « pre smokers », les jeunes fumeurs qui s’initient à la cigarette, pour qui le packaging est important.
Des inégalités territoriales qui émergent
« Même si cela est moins criant en pneumologie que dans d’autres spécialités comme l’ophtalmologie ou l’ORL, il y a des inégalités territoriales qui sont en train de s’installer avec des territoires où le recours au pneumologue devient plus compliqué. Ce qui impacte forcément l’accès à la technique et aux médicaments pour certaines pathologies.» Dans l'étude Territoire, le stade au diagnostic et le pronostic du cancer du poumon varient ainsi selon la zone d'habitation.
A côté de ce bémol conjoncturel, le Pr Chouaid pointe « un deuxième point de faiblesse plus structurel » avec « un système de santé très hospitalocentré, très axé sur le soin, la technique, le médicament et l’innovation au détriment de la prévention des soins primaires et de l’éducation à la santé, peu valorisés ».
« On a un retard incroyable en terme de santé publique, poursuit le spécialiste. Notamment dans les moyens accordés à la lutte contre le tabagisme » (lire p. 36).
De même, « alors que les pathologies respiratoires sont des maladie environnementales, on a encore beaucoup de progrès à faire sur cet aspect », souligne le Pr Chantal Raherison (Bordeaux). Par exemple, « alors que les conseillers en environnement intérieur ont un rôle très important pour aider les asthmatiques, leur nombre reste pour le moment très faible en France malgré les promesses du Grenelle de l’environnement.»
Dans ce contexte, la France pâtit-elle davantage que ses voisins de pathologies comme l’asthme ou la BPCO ? Selon un rapport de la Dress publié en 2015, les taux d’hospitalisation et de mortalité en rapport avec la BPCO observés en France sont « parmi les plus bas d’Europe.» Si ces données sont plutôt rassurantes, elles peuvent aussi refléter « une exposition moindre aux facteurs de risques et un sous-diagnostic plus important » (lire ici).
Pour l’asthme, « la maladie est toujours aussi prévalente en France, indique le Pr Raherison, mais le nombre de décès continue de baisser avec, selon les derniers chiffres de l’INVS, environ 900 décès annuels contre plus de 2000 il y a quelques années ». En termes de mortalité par asthme, tous âges confondus, « la France se situe en 2010 dans une situation moyenne par rapport aux autres pays européens » selon la Dress. Le nombre d’hospitalisations pour asthme en revanche ne baisse plus et a même augmenté au cours des cinq dernières années chez l'enfant. Cependant, « tous âges confondus, le taux d’hospitalisations pour asthme est légèrement inférieur au taux moyen dans l’OCDE ».
Plus que sur l’épidémiologie des maladies respiratoires, notre retard en matière de prévention primaire et secondaire se traduit donc peut-être davantage « sur les modalités de prise en charge avec une consommation probablement trop importante de médicaments », analyse le Dr Chouaid. La France est ainsi « championne d’Europe pour la prescription de corticostéroïdes inhalés que ce soit pour l’asthme ou la BPCO, alors qu’on pourrait des favoriser des mesures non médicamenteuses.» Dans la BPCO par exemple, au delà des médicaments et du sevrage tabagique, « une des mesures les plus intéressantes est la réhabilitation respiratoire. Or pour le moment en France c’est un acte qui n’est toujours pas reconnu à la nomenclature. D’où un un retard dans ce domaine par rapport à des pays comme l’Angleterre ou le Canada».
La BPCO toujours sous-diagnostiquée
Selon des estimatons récentes, environ 2 patients BPCO sur 3 ne seraient pas diagnostiqués. Un chiffre regrettable puisqu'on sait qu'un diagnostic précoce permet de ralentir le déclin de la fonction respiratoire par le sevrage tabagique, d’instaurer une protection vis-à-vis d'une exposition professionnelle, voire une prise en charge médicamenteuse précoce. Mais la maladie étant au début non ou pauci-symptomatique, le diagnostic ne se pose pas sur la clinique mais sur la spirométrie. Le dépistage est donc indispensable et repose entre les mains des médecins traitants. Divers questionnaires, comme celui promu par la HAS, permettent d'aller au devant des symptômes pour identifier les patients susceptibles de bénéficier d'une spirométrie.
« Diverses études ont montré que la spirométrie est tout à fait réalisable et fiable au cabinet du MG, sous réserve d'une formation adéquate » indique le Pr Bruno Housset, président de la Fondation du souffle. Un projet pilote est actuellement en cours dans trois territoires pilotes où la CNAM fournit aux MG qui le souhaitent des spiromètres électroniques. Si les résultats sont bons, ce programme pourrait être étendu à tout le territoire. Une expérience similaire en Hollande a donné de bons résultats.
Tous les experts européens s'accordent pour promouvoir le diagnostic précoce de la BPCO, mais le dépistage de masse étant irréalisable car trop lourd en charge de travail et en budget, la question centrale non résolue reste celle de la population cible. En France, la spirométrie doit être proposée, même chez les personnes asymptomatiques sur les terrains à risque (tabagisme > 10 PA, exposition professionnelle ou domestique). Au Danemark un dépistage est proposé chez les plus de 35 ans ayant au moins un facteur de risque et au moins un symptôme. En Allemagne, le diagnostic des pathologies respiratoires chroniques est majoritairement réalisé par les pneumologues, donc à un stade souvent tardif. Et et si le dépistage est préconisé chez tout fumeur ou ex-fumeur de plus de 40 ans ayant au moins une infection bactérienne par an, une toux ou une dyspnée, la spirométrie, mal remboursée, est sous-utilisée. Quant à l'Espagne, les difficultés organisationnelles retardent la mise en place de ce dépistage. La position des USA est quant à elle totalement différente, puisque des experts américains estiment que le dépistage des personnes asymptomatiques n'apporterait aucun bénéfice...
Dr Maia Bovard-Gouffrant
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