« Nous avons eu les pires difficultés lors du contrôle sur pièce et sur place que nous avons mené à Bercy pour recueillir des éléments précis sur l'utilisation du crédit d'impôt recherche par les entreprises pharmaceutiques », a expliqué la sénatrice Sonia de La Provôté (Union centriste, Calvados), présidente de la commission d'enquête du Sénat qui a rendu le 6 juillet un rapport sur la pénurie de médicaments, assorti de recommandations. Un audit réalisé au terme de cinq mois d'enquête et plus de cinquante auditions de professionnels de la santé, d'associations de malades et de représentants du secteur.
Les sénateurs ont ainsi tiré à boulets rouges sur l'exécutif, épinglant le défaut de pilotage de la politique du médicament en particulier sur les aides (710 millions) apportées à l'industrie pharmaceutique dans le cadre du crédit impôt recherche. Pour y remédier, la commission prône la création d'un secrétariat général du médicament placé sous l'autorité de Matignon, chargé de coordonner l'action des ministres et d'arbitrer, à rebours d'une action trop souvent « en silos ». Cet organisme pourrait centraliser la réponse aux pénuries les plus graves et mobiliser une force publique d'action avec l'aide de la pharmacie centrale de l'AP-HP, des PUI hospitalières et de Santé publique France.
3 700 déclarations de ruptures
De fait, la situation sur le terrain s'est particulièrement aggravée, avec un niveau inédit de 3 700 déclarations de ruptures ou de risques de ruptures en 2022 (versus 700 à l'été 2018). « Elles touchent toutes les classes thérapeutiques sans exception et tous les territoires français comme les autres pays. Il y a là un dysfonctionnement profond et grave de l'approvisionnement de nos systèmes sanitaires européens. Conséquence, en raison du contingentement, l'accès aux soins n'est plus une évidence pour les patients français », s'alarme la sénatrice Sonia de la Provôté. La commission d'enquête s'alarme de cette « nette aggravation » qu'elle compare à une « forme de scandale sanitaire ». Elle reproche au passage aux autorités françaises d'avoir « manqué de réactivité et d'anticipation » l'hiver dernier et aux industriels d'avoir fondé à tort leurs prévisions sur les hivers précédents.
Autre chiffre rappelé par le rapport, la part des médicaments produits sur le territoire français ne dépasse pas un tiers de notre consommation globale – la plupart des principes actifs étant produits hors Europe. Signe du déclin hexagonal sur ce terrain, la France était le premier producteur européen, elle est tombée à la cinquième place. Pire, de nombreuses étapes du circuit du médicament sont sous-traitées à l'étranger. Les chaînes de valeur du médicament sont donc plus vulnérables que jamais. Avec un secteur productif affaibli et une dépense de santé contrainte, la France n'est plus une grande puissance pharmaceutique.
Selon Laurence Cohen (groupe communiste, Val-de-Marne), rapporteure de la commission d'enquête, c'est même l'inverse qui se produit. « La capacité de notre pays à négocier ses prix et sécuriser ses approvisionnements s'étiole face à la montée de la demande des pays asiatiques, relève-t-elle. Le CEPS (comité économique des produits de santé, NDLR) chargé de fixer les prix peut aussi être pris en otage devant la menace d'arrêt de commercialisation de produits, de déremboursement (...) » Autre signal très inquiétant, l'industrie pharmaceutique envisagerait d'arrêter dans les mois ou années à venir la commercialisation de près de « 700 médicaments » incluant des produits d'intérêt thérapeutique majeur, relève la commission.
Stratégie de lente éviction
Toujours selon le rapport, les laboratoires qui restent implantés en France se tournent de plus en plus vers l'export qui représente la moitié de leur chiffre d'affaires (versus un cinquième en 1990). Avec une stratégie de « lente éviction » des produits dits matures et peu chers : 70 % des médicaments (d'usage quotidien) touchés par ces tensions sont anciens, avec une rentabilité qui a diminué au fil des ans. « En dépit de leur obligation d'assurer l'approvisionnement du marché, les labos se désintéressent de ces produits au profit des médicaments innovants dont les prix connaissent une augmentation effrayante », cingle Laurence Cohen.
Alors que s'élabore le futur budget de la Sécu, le rapport recommande de revoir les modalités de régulation des dépenses de médicaments. « Les baisses de prix sur les produits matures comme la fiscalité du secteur, y compris la clause de sauvegarde, ne doivent pas frapper les médicaments indifféremment de leur place dans l'arsenal thérapeutique, souligne Laurence Cohen. Il faut plus et mieux tenir compte de l'apport médical et des risques d'approvisionnement ».
Le levier de la commande hospitalière devrait également être actionné. « Il est urgent de placer le critère de la sécurité d'approvisionnement au cœur des pratiques d'achat hospitalier, soutient la sénatrice. Parce qu'elles engagent des volumes considérables, elles doivent être le bras armé d'une reconquête de la souveraineté sanitaire. »
Vers une réponse européenne ?
Enfin, sans surprise, la commission d'enquête sénatoriale donne la priorité à une « réponse sanitaire européenne ». Un des objectifs est la relocalisation durable en Europe de la production de médicaments essentiels et le renforcement des « obligations d'approvisionnement, de transparence et de gestion des pénuries au niveau européen ». Pour favoriser le redéploiement des stocks disponibles au sein de l'UE, le rapport incite à harmoniser des règles nationales de conditionnement et d'étiquetage et encourage « l'utilisation de notices dématérialisées pour les médicaments essentiels ».
Il conseille enfin de favoriser la coordination entre les différents régulateurs des prix des médicaments à l'échelle européenne « pour éviter les effets de compétition susceptibles d'aggraver les phénomènes de pénuries ».
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