« Pour mieux comprendre les effets de l'hypoxie et la façon dont l’organisme répond, de façon délétère ou protectrice, nous étudions les conditions naturelles de privation d’oxygène, comme la vie en haute altitude », détaille pour le Quotidien Samuel Vergès, directeur de recherche Inserm, au sein du laboratoire Inserm/Université Grenoble Alpes « Hypoxie et physiopathologies cardiovasculaires et respiratoires » (HP2).
C’est en s’intéressant aux habitants de la ville la plus haute du monde, La Rinconada au Pérou, que son équipe a pu rapporter de précieuses données sur la physiologie de ces populations vivant avec moitié moins d’oxygène qu’en plaine. Samuel Vergès s’est ainsi rendu, par sept fois depuis 2018, à 5 300 mètres d’altitude pour étudier les conditions de vie en très haute altitude dans le cadre du projet scientifique et humanitaire Expédition 5 300.
« Ces connaissances sont mises en regard des limitations à l’effort retrouvées dans des maladies respiratoires comme la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) ou le syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS) », indique le chercheur. Avec son équipe « Exercice-Hypoxie », il étudie les capacités et les limitations à l’effort d’un patient afin de mieux comprendre sa pathologie et mettre en œuvre des interventions fondées sur le réentraînement à l’effort. Les chercheurs s’intéressent de plus à l’activité physique comme puissant traitement des maladies chroniques et des affections cardiovasculaires et respiratoires, mais aussi comme facteur de risque, lorsqu’elle est insuffisante.
Les patients peuvent être réentraînés en pratiquant une activité physique en hypoxie régulière
Samuel Vergès
Directeur de recherche Inserm
Des adaptations métaboliques en hypoxie
Les travaux de l’équipe ont montré que les effets de l’hypoxie sont à double tranchant. Sévère, elle s’avère délétère, mais modérée, elle s’utilise comme un stimulus permettant de développer des adaptations, ainsi que des mécanismes protecteurs et bénéfiques dans certaines pathologies. « Nous faisons travailler nos patients dans des conditions simulées d’altitude afin d’optimiser et d’amplifier les effets de l’activité physique. L’hypoxie modérée peut améliorer la santé des vaisseaux et la santé cardiorespiratoire », explique Samuel Vergès.
Le directeur de recherche confie également que beaucoup d’athlètes participant aux Jeux olympiques 2024 se sont entraînés en hypoxie d’altitude afin d’augmenter leurs capacités, sous la supervision d’équipes scientifiques comme la sienne. En effet, combinée à l’activité physique, l’hypoxie modérée et prolongée stimule la production de globules rouges et améliore le transport de l’oxygène vers les organes ; et l'hypoxie modérée permet de développer des capacités métaboliques supplémentaires comparées à la normoxie. « Il est intéressant pour un sportif de haut niveau de travailler durant une heure trois à quatre fois par semaine pour obtenir ces effets », détaille-t-il.
Mais cette thérapie par l’hypoxie ne s’applique pas qu’aux sportifs. « Les patients présentant une limitation à l’effort dans leur quotidien, du fait de leur pathologie, peuvent être réentraînés en pratiquant une activité physique en hypoxie régulière et modérée. Toutes ces connaissances nous permettent ainsi de mieux comprendre à la fois les effets délétères de l’hypoxie et ses bienfaits potentiels », rajoute le scientifique.
Vivre à 5 300 mètres d’altitude
Dans le cadre de l’Expédition 5 300, l’équipe de Samuel Vergès a étudié les effets, l’adaptation et l’intolérance à l’hypoxie des adultes vivant dans la ville la plus haute du monde. « Les habitants de La Rinconada présentent des taux d’hématocrite pouvant dépasser les 75 %, ce sont des volumes d’hémoglobine jamais observés auparavant qui rendent leur sang visqueux », décrit le chercheur. Il s’avère que cette population présente des caractéristiques génétiques. « Cependant cette particularité, nécessaire pour vivre en très haute altitude, pèse également sur leur système cardiovasculaire et pourrait être mal tolérée au long cours », ajoute le chercheur.
En outre, les scientifiques estiment qu’environ 20 % de la population est intolérante à la très haute altitude. « Ils ont un mal des montagnes chronique, ainsi que des pathologies associées telles que des syndromes d’apnées centrales ou de l’hypertension artérielle pulmonaire », expose Samuel Vergès. Ces individus ayant un sang plus épais, leur intolérance à l’hypoxie pourrait être due à des facteurs génétiques.
D’un point de vue thérapeutique, l’équipe signe une étude dans la revue Pulmonology, montrant l’intérêt de l'acétazolamide pour améliorer les taux d’hématocrite. Mais les habitants de La Rinconada, particulièrement les hommes, sont également exposés à une contamination au mercure, du fait de l’activité minière de cette ville, ainsi qu’aux difficultés d’accès à la nourriture, le contexte géographique ne leur permettant pas de cultiver.
Depuis l’année dernière, l’équipe de l’Expédition 5 300 s’intéresse aux enfants qui naissent, grandissent et se développent avec 50 % d’oxygène en moins que ceux des plaines. « Ces enfants pourraient avoir des troubles spécifiques comme l’anémie et un métabolisme du fer modifié, qui n’existent pas ou plus chez l’adulte ; prévenir les carences est d’ailleurs une préoccupation majeure de santé publique du gouvernement péruvien, décrit Samuel Vergès. Il faut toutefois retenir que ce qui est normal en plaine ne l’est pas en altitude, et inversement, ce qui pose des problèmes importants de critères diagnostiques ».
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