L'année 2024 sera déterminante dans la lutte contre le VIH : des décisions prises par les responsables politiques dépendra la possibilité d’éliminer le sida comme menace de santé publique d’ici à 2030, alerte l’Onusida dans un rapport publié ce 22 juillet, alors que débute la 25e Conférence internationale (Aids 2024), à Munich. Malgré les progrès, en particulier en Afrique depuis 2010, « le monde n’est pas sur la bonne voie et les inégalités qui alimentent la pandémie de VIH ne sont pas suffisamment prises en compte, lit-on en préambule. La fin du sida est un choix politique et financier ».
Si les chiffres de 2023 sont encourageants, les objectifs fixés pour 2025 par l’Assemblée générale des Nations unies semblent encore lointains. Un peu moins de 40 millions de personnes vivent avec le VIH. Environ 1,3 million a été nouvellement infecté, soit 100 00 de moins qu’en 2022, un niveau qui n’a jamais été aussi bas depuis la fin des années 1980. C'est 60 % de moins que lors du pic de 1995. Mais l'objectif de seulement 330 000 infections en 2025 semble inatteignable. Si dans certains pays d’Afrique subsaharienne les nouvelles infections ont baissé de plus de moitié et les décès jusqu’à 60% depuis 2010, « nous avons également des régions comme l'Europe de l'Est et l'Asie centrale et l'Amérique latine, et le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord où les nouvelles infections évoluent dans la mauvaise direction et augmentent », déplore Winnie Byanyima, la directrice exécutive d’Onusida, auprès de l’AFP.
Encore un quart de personnes infectées sans traitement
Le VIH tue moins : 630 000 décès sont déplorés en 2023, contre 670 000 l'année précédente. Soit moins de 69 % qu'en 2004, l'année noire de la pandémie, qui au total est responsable de plus de 42 millions de décès. « Une personne meurt encore chaque minute de maladies liées au VIH », rappelle Winnie Byanyima.
L’accès aux thérapies antirétrovirales reste insuffisant : fin décembre 2023, 30,7 millions de personnes étaient sous traitement contre seulement 7,7 millions en 2010 ; un niveau bien en deçà de l'objectif de 34 millions de personnes fixé pour 2025. Surtout, presque un quart des personnes infectées par le virus ne sont pas traitées, voire la moitié en Europe de l’Est et Asie centrale, et en Afrique du Nord et Moyen-Orient.
Par ailleurs, les enfants (de 0 à 14 ans) restent toujours dans un angle mort (et font l’objet d’un rapport spécifique OMS/Unicef) : environ 43 % du 1,4 million d’enfants contaminés ne recevaient pas de traitement en 2023. Ils représentent 12 % de tous les décès liés au sida, alors qu’ils ne constituent que 3 % des personnes vivant avec le VIH. Plus d’un tiers (36 %) des adolescents (15-19 ans) ne recevait pas de thérapie antirétrovirale en 2023.
Plus largement, la riposte mondiale au sida, pointe le rapport, « évolue à deux vitesses : relativement rapidement en Afrique subsaharienne, mais de manière incertaine dans le reste du monde », notamment en Afrique orientale et australe où 20,8 millions de personnes vivent avec le VIH, 450 000 ont été nouvellement infectées en 2023 et 260 000 sont décédées.
Stigmatisation et manque de financement
« Il existe un important déficit de financement qui freine la riposte au VIH dans les pays à revenu faible ou intermédiaire », dénonce la directrice de l’Onusida, qui l’estime à 9,5 milliards de dollars par an. Sans compter le poids de la dette publique qui force de nombreux pays pauvres à choisir entre le remboursement et les dépenses de santé par exemple.
« On ne s’attaque pas assez aux inégalités », clame encore Winnie Byanyima, déterminée à lutter contre la stigmatisation et la discrimination, parfois la criminalisation, dont sont victimes certains groupes. Et de dénoncer auprès de l’AFP l’« action bien coordonnée et bien financée » contre les droits LGBT+, les droits reproductifs et l'égalité des sexes menée par des pays et des groupes socialement conservateurs.
Alors que la prévalence du VIH chez les adultes âgés de 15 à 49 ans dans le monde est de 0,8 %, elle s’élève à 2,3 % chez les jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans en Afrique orientale et australe, à 7,7 % chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, à 3 % chez les travailleurs et travailleuses du sexe, à 5 % chez les consommateurs et consommatrices de drogues injectables, à 9,2 % chez les personnes transgenres et à 1,3 % chez les personnes en prison. Selon le rapport, au moins la moitié des personnes appartenant à ces populations clés ne bénéficient pas de services de prévention. Dont la prophylaxie pré-exposition (Prep) orale : le nombre total de personnes l’utilisant est passé d’un peu plus de 200 000 en 2017 à environ 3,5 millions en 2023, encore loin de l’objectif mondial de 21,1 millions de personnes en 2025.
« La stigmatisation tue. La solidarité sauve des vies », écrivent dans un communiqué commun Winnie Byanyima et le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Volker Türk. « Ensemble, nous appelons tous les pays à supprimer toutes les lois punitives contre les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et queer ».
Plaidoyer pour le partage de licence du lénacapavir
Winnie Byanyima a exhorté Gilead à « entrer dans l’Histoire » en autorisant la fabrication générique du lénacapavir (Sunlenca), cet antirétroviral injectable à administrer une fois tous les six mois. Le mécanisme du Medecines Patent Pool, appuyé par l'ONU, permet de diffuser des versions génériques moins chères qui pourraient être vendues sous licence dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Le Sunlenca a obtenu son autorisation de mise sur le marché (AMM) en 2022 en Europe dans le VIH multirésistant. « Il est tellement efficace qu’il appartient à une catégorie différente de médicaments préventifs », note aujourd’hui la directrice de l’Onusida. L’antirétroviral est en effet testé comme médicament préventif pré-exposition (Prep) pour éviter l'infection avec une efficacité à 100 %, selon une étude publiée fin juin. Il permettrait d’atteindre en particulier les personnes éloignées des soins. « Ces gens qui sont forcés de contourner la loi - les homosexuels, les femmes trans – n'auraient à venir que deux fois par an pour avoir l’injection et être en sécurité », souligne Winnie Byanyima. Gilead – qui fait l'objet d'une campagne de pression de nombreuses personnalités et ONG – affirme discuter « régulièrement » avec tous les acteurs de la lutte contre le VIH, « y compris les gouvernements et les ONG, pour un accès du traitement au plus grand nombre de personnes possible ».
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