Alors que la vaccination est un pilier de la prévention, la réticence vaccinale persiste en France. Au sortir d’une pandémie où le vaccin a sauvé 20 millions de vies dans le monde, comment l’expliquer ? L’Académie nationale de médecine a tenté d’apporter des réponses lors d’une séance spéciale.
Pourquoi le traitement le plus prometteur en santé est-il toujours boudé par les Français ? Alors que la vaccination contre 14 maladies a sauvé 154 millions de vies en cinquante ans et 20 millions pendant la pandémie de Covid selon l’Organisation mondiale de la santé, seule la moitié des personnes éligibles à la double immunisation grippe-Covid envisagent de se protéger cet hiver en France. À l’heure où la vaccination ne cesse de s’élargir, en particulier dans les maladies respiratoires (VRS chez le sujet âgé et la femme enceinte, pneumocoque avec plusieurs valences, coqueluche lors de la grossesse, grippe chez l’enfant) et s’ouvre à d’autres champs que l’infectiologie (cancers mais aussi maladies auto-immunes, inflammatoires, allergiques), ce constat a de quoi désarçonner.
L’Académie nationale de médecine, qui a fait de la vaccination sa grande cause 2024, est revenue sur l’enjeu central de l’acceptation sociale lors de sa séance du 8 octobre. Désinformation, controverses pseudoscientifiques, scandales sanitaires mais aussi inégalités de santé et insuffisance systémique des politiques de santé publique, les forces contraires à la vaccination sont multiples et confluentes.
Les mouvements antivax ne datent pas d’aujourd’hui. « L’Académie nationale de médecine a pris position très tôt en faveur de la vaccination, dès la polémique en 1938 autour de l’obligation du vaccin antidiphtérique chez les nourrissons », met en avant le Pr Yvon Lebranchu, secrétaire de l’institution.
Les réseaux sociaux, une chambre d’écho aux antivax
Mais si les antivax sont consubstantiels à la vaccination, un phénomène majeur a changé la donne ces dernières années, estime le Pr Alain Fischer, célèbre immunopédiatre et président de l’Académie des sciences : l’explosion des réseaux sociaux depuis les années 2000. Le phénomène a donné « une chambre d’écho disproportionnée » aux controverses qui se sont succédé en France, notamment au sujet du vaccin contre l’hépatite B, de la supposée toxicité des sels d’aluminium puis du vaccin contre les HPV.
Les débats publics nourrissent la perception dans la population que les experts ne sont pas d’accord entre eux
Jérémy Ward, sociologue à l’Inserm
Pourquoi les polémiques, qui pourraient n’être que des feux de paille, déstabilisent-elles autant ? Les populations ont-elles si peu confiance en la science ? « Les débats publics mettent en scène des personnalités, médecins ou chercheurs, qui ont, au moins en apparence, le crédit de la science », expose le sociologue Jérémy Ward (Inserm), d’où « la large perception par la population que les experts ne sont pas d’accord entre eux ». Certaines controverses n’existent qu’en France, quand d’autres ne touchent pas l’Hexagone si personne n’est là pour s’en faire le porte-voix, comme la polémique autour du vaccin ROR pourtant vive dans les pays anglo-saxons. L’enjeu n’est pas tant la science et la vaccination en général que « tel ou tel vaccin particulier parce qu’il est entré dans le débat public » et « avec des voix dissonantes » (« je ne suis pas contre la vaccination mais celui-là, j’ai des doutes »), relève Jérémy Ward. Un constat partagé qui fait dire au Pr Fischer qu’« il nous faut réguler l’expression des confrères et consœurs qui ne portent pas la bonne parole ». Pour lui, « un système est à mettre en place ».
Une confiance mise à mal par la politisation des décisions
Plus qu’ « un déficit de connaissances » (certains antivax sont médecins), le sociologue met en avant l’érosion de la confiance dans l’interface entre science et politique, en particulier après la multiplication des scandales sanitaires tels que le sang contaminé ou l’affaire du Mediator. « Ce fut un tournant, qui a pu se transférer ensuite sur la confiance dans les agences sanitaires », estime-t-il.
La politisation des décisions de santé joue un rôle : « la vaccination doit être perçue non pas comme une politique gouvernementale mais comme une mesure de santé publique », estime le sociologue. Ce dans quoi abonde le Pr Jean-François Delfraissy, qui a été l’un des « M. vaccination » de la pandémie Covid avec le Pr Fischer : « les Français n’en peuvent plus du top-down ». Le président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) cite l’exemple de la Première ministre du Danemark qui, lors de la pandémie, a dit « proposer » une orientation au vu des données de la science plutôt que « j’ai décidé que ». Et, bien plus que de nombreux pays, la France souffre d’une forme de « fatigabilité vaccinale », comme l’illustre le Pr Fischer avec les résultats d’une récente étude de Nature Medicine (1) : seuls 48 % des répondants en France seraient prêts à se faire vacciner en cas de nouvelle pandémie, quand ils sont 67 % en moyenne dans 23 pays de différents statuts économiques.
L’école pour une routinisation de la vaccination
Il reste que le niveau de connaissances joue bel et bien un rôle. Un point sur lequel insiste le Pr Delfraissy, nuançant ainsi les propos de Jérémy Ward. Un gradient très net a été observé pour la vaccination chez les soignants lors de la pandémie Covid : « moins les gens sont formés, plus ils se posent des questions », résume le Pr Delfraissy. Un constat similaire est retrouvé pour la vaccination antigrippale, « les médecins étant mieux vaccinés que les autres », abonde le Dr Daniel Lévy-Bruhl, de Santé publique France. Et, au-delà des soignants, le médecin épidémiologiste met en avant l’association entre statut socio-économique et adhésion, par exemple pour la vaccination anti-HPV des adolescents mais aussi celle, antigrippale, des femmes enceintes, variant du simple au double entre le tertile le plus modeste et celui le plus aisé.
Les pays qui vaccinent le mieux sont ceux qui le font à l’école
Pr Alain Fischer, immunopédiatre
Mais le statut socio-économique ne suffit pas à tout expliquer. D’autres freins, « difficiles à distinguer et probablement intriqués », existent. Et l’épidémiologiste d’avancer : « le coût, qui ne peut être complètement exclu pour une certaine frange de la population », « l’accès géographique » mais aussi « de probables différences d’attitudes des professionnels de santé en fonction de la catégorie sociale, par exemple le vaccin antigrippal moins proposé aux femmes enceintes aux plus bas revenus malgré la prise en charge », et plus encore « les priorités compétitives dans le recours aux services de santé ». De nouveau, des déterminants socio-éducatifs défavorables sont mis en avant, « avec une plus forte exposition aux réseaux sociaux, une moindre littératie en santé, une moindre confiance dans l’expertise, une moindre perception du risque avec, à l’inverse, une plus grande sensibilité au risque vaccinal ».
Ce qui fait dire au Pr Delfraissy que « tout doit être fait pour essayer de convaincre en expliquant et en passant du temps ; avant, s’il le faut, de contraindre », comme cela a pu être fait lors de la pandémie.
Éducation et vaccination sont fortement liées. Si « construire la confiance n’est pas une affaire simple, surtout auprès des personnes défavorisées », « l’école est un gage de confiance et de routinisation de la vaccination », estime le Pr Fischer. Pour celui qui a participé à la concertation citoyenne sur l’obligation vaccinale pour les nourrissons en 2018, l’école reste le talon d’Achille en France. « Les pays qui vaccinent le mieux sont ceux qui le font à l’école ; il existe une corrélation directe, quel que soit le niveau socio-économique », met-il en avant, estimant que la vaccination est « un reflet de la qualité de la politique de santé publique, en crise et hors crise ».
(1) J. Lazarus et al., Nat Med, 2024. 30, 1559–1563
La vaccination, une mesure coût-efficace
« La vaccination est l’intervention de santé publique la plus coût-efficace », souligne l’économiste de la santé Frédéric Bizard, ajoutant que « c’est la seule dépense de santé qui augmente la richesse ». C’est particulièrement vrai dans les pays pauvres, où « chaque dollar investi dans la vaccination en rapporte 44 », illustre-t-il. Dans les pays développés, c'est aussi un retour sur investissement. Et Frédéric Bizard de citer l'exemple du Royaume-Uni, où chaque livre investie dans la vaccination en rapporte 34, versus 14 pour toute autre action de santé publique. La vaccination augmente les gains de productivité, avec une force de travail en meilleure santé, et baisse les coûts liés aux affections de longue durée.