D’après son rapport d’activité 2021, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a reçu 4 020 saisines. En un an, cela correspond à une hausse de 33,6 %, soit 1 012 dossiers supplémentaires par rapport à l’année 2020. Par rapport à 2015, l’augmentation des saisines est de 86,1 %.
« Contrairement à un certain nombre d’idées reçues, la vivacité du phénomène sectaire, son ampleur et sa dangerosité, attestent du franchissement d’un nouveau seuil, souligne la Miviludes (…) L’évolution du phénomène sectaire témoigne d’un accroissement et de mutations, accentués par la survenance de la crise sanitaire doublée d’une crise sociale instaurant un climat anxiogène empreint de défiance, propice à la déstabilisation des personnes vulnérables (…) La Covid-19 a déstabilisé de nombreuses personnes en perte de repères dans une société complexe, interconnectée où l’information côtoie la désinformation ».
La mission interministérielle remarque aussi une évolution du paysage sectaire qui est plus vaste, plus segmenté et plus mouvant avec un phénomène sectaire « à l’état gazeux ». Elle note également que les réseaux sociaux ont joué un rôle central dans « l’atomisation du phénomène sectaire ».
25 % des saisines en santé
Dans le détail, sur l’ensemble des saisines arrivées en 2021, 1 515 ont été attribuées au pôle Sécurité, 1 011 au pôle Santé, 670 au pôle Économique et Financier, 493 au pôle Éducation-Jeunesse. Au niveau de la typologie, 56 % des saisines sont des signalements, 16 % des demandes d’avis et 7 % des échanges institutionnels et 396 saisines concernent directement ou indirectement des mineurs.
La Santé représente donc 25 % des signalements et reste un sujet de préoccupation majeure avec 744 saisines traitées en 2021, « dont près de 70 % concernent les pratiques de soins non conventionnelles telles que la naturopathie, le reiki, la nouvelle médecine germanique… », précise la Miviludes.
En 2021, 1 011 saisines ont été attribuées aux deux conseillers du pôle Santé. « Dans une majorité de cas, les demandes émanent de particuliers qui s’intéressent à une méthode ou ont observé un changement de comportement d’un proche séduit par une technique de bien-être », précise la mission.
La Miviludes note une augmentation du risque sectaire dans ce domaine. Elle remarque notamment « une expansion de petites structures, diffuses, mouvantes et moins aisément identifiables qui s’appliquent très insidieusement au domaine de la santé, du bien-être et de l’alimentation ».
Elle cite notamment l’organisation de salons et de conférences sur des thèmes tels que « comment faire face au mal-être » qui permet de conquérir une audience de plus en plus large avec un public ciblé sur des critères tels que : la perte d’emploi, la perte de repères, les troubles du sommeil, la maladie d’un enfant, l’anxiété, les troubles alimentaires, le diagnostic d’une maladie. À titre d’exemple, la Miviludes cite notamment des propositions alternatives de plus en plus nombreuses pour la prise en charge d’enfants et d’adultes présentant des troubles autistiques.
La crise sanitaire a également entraîné un regain d’activité du pôle Santé, souligne le rapport d’activité. La remise en cause de la médecine conventionnelle peut ainsi prendre la forme de critiques violentes des vaccins et des médicaments allopathiques. « Dans une majorité de cas, ces critiques trouvent leur source dans des théories complotistes », détaille le rapport. La désertification médicale qui peut contribuer à créer une « insécurité sanitaire », ajoute aussi au phénomène. Le pôle Santé de la Miviludes doit aussi faire face à une recrudescence des demandes autour des « médecines prophétiques ».
Anthroposophie et nouvelle médecine germanique
Parmi les sujets d’inquiétude mis en avant par la Miviludes dans son rapport d’activité, plusieurs touchent d’ailleurs au domaine de la santé.
C’est le cas de la médecine anthroposophique.
« Cette médecine propre, développée par Rudolph Steiner, prône la conception selon laquelle la maladie découle d’une destinée karmique, indissociable des erreurs et des pêchés commis par le patient dans l’une de ses vies antérieures. Il serait alors impossible de se soigner sainement sans prendre en compte ce karma », explique la Miviludes.
Sans rejeter la médecine conventionnelle, les médecins anthroposophes la considèrent comme incomplète. La médecine anthroposophique peut mener à des traitements dangereux ou des refus de traitement, détaille le rapport.
« La connaissance des enjeux découlant de l’anthroposophie est d’autant plus importante et d’actualité que cette médecine alternative se livre à une véritable entreprise d’entrisme au sein des institutions », ajoute la Mission.
Elle évoque notamment l’université de Strasbourg qui a récemment intégré la médecine anthroposophique dans son offre de formation continue. Des cours de médecine anthroposophique appliquée à l’oncologie ou la rhumatologie peuvent ainsi être suivis.
« Opposés à toute campagne de vaccination, des médecins anthroposophes se sont effectivement illustrés pendant cette crise en expliquant que la Covid-19 était le résultat, non pas d’un virus, mais d’une « électrification de la Terre » causée par le déploiement de la 5G », cite également le rapport.
Autre phénomène en expansion pointé par la Miviludes : la médecine nouvelle germanique du Dr Hamer.
Cette dernière « explique le processus de formation des maladies à partir de lois biologiques d’apparence scientifique. Ces cinq pseudo-lois biologiques, non éprouvées scientifiquement, ont permis à leur auteur de proposer une méthode naturelle de traitement des maladies fondée sur de la psychothérapie et sur des capacités personnelles de guérison du malade », définit le rapport.
Le Dr Hamer propose donc de soigner le cancer à travers la psychothérapie, selon lui, « il n’existe pas de maladies incurables, seulement des malades qui ne sont pas capables d’accéder à leurs facultés personnelles de guérison », détaille la Miviludes.
Un de ses adeptes, l’ancien généraliste Claude Sabbah a notamment été condamné à deux ans de prison ferme pour publicité mensongère en 2015.
Des figures médiatisées par la crise sanitaire
Les praticiens de cette « médecine » peuvent apparaître comme exerçant la spécialité sous différentes terminologies : la biologie totale des êtres vivants, le décodage biologique, la psychogénéalogie, la psychobiologie, la psychosomatique clinique, la déprogrammation cellulaire, la mémoire cellulaire, etc.
Parmi les défenseurs de la médecine nouvelle germanique, on retrouve aussi un personnage mis en avant par la crise sanitaire, Jean-Jacques Crèvecoeur, conférencier formateur en développement personnel et polémiste belge. « Il est connu pour son conspirationniste et son militantisme antivaccins », détaille la mission.
En 2021, il a fait l’objet de huit saisines auprès de la Miviludes. Il se présente « comme un guérisseur dont les techniques réussiraient là où la médecine conventionnelle ne pourrait qu’échouer ». La Miviludes explique notamment qu’une adhésion complète à son programme « Je prends soin de ma vie » est facturée 1 386 euros.
La Miviludes pointe aussi les dangers qui se développent autour des pratiques du jeûne. « Les groupes ou individus à l’origine de dérives sectaires sont nombreux à y recourir. Ils organisent des stages de jeûne particulièrement onéreux, généralement d’une semaine et se déroulant en milieu rural ».
Elle cite notamment le respirianisme, promu en France par une Australienne surnommée Jasmuheen. Le respirianisme repose sur la pratique du « jeûne total ». « Ce type de jeûne constitue un « processus sacré » de 21 jours au-delà duquel il est envisageable de se nourrir uniquement d’air et de lumière », explique le rapport.
Autre figure très médiatique depuis la crise sanitaire et symbole de ce que la mission qualifie de « dérapeute », Thierry Casasnovas a également fait l’objet de 54 saisines auprès de la Miviludes en 2021.
Ce naturopathe se présente comme un adepte du jeûne et du régime alimentaire cru. Dans ses vidéos Youtube il use également d’un discours complotiste sur les médicaments et la vaccination notamment.
Concernant ses méthodes, la Miviludes souligne que : « il ressort que l’emprise mentale qu’exercerait cet individu sur des personnes fragiles, l’isolement induit par ses propos, la rupture avec l’environnement antérieur, le discours antisocial et le caractère exorbitant des exigences financières sont des critères observables dans cette situation et sont de nature à favoriser une dérive sectaire ».
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