L’impact des écrans sur les enfants préoccupe les autorités. Une commission d’experts va remettre à l’Élysée des recommandations sur le sujet. L’utilisation excessive des outils numériques et la sédentarité qu’elle induit ont aussi des conséquences sanitaires délétères sur les adultes. Des médecins tirent la sonnette d’alarme.
14 ans et 310 jours… C’est la durée estimée que les Français passent en moyenne au cours de leur vie devant les écrans. Qu’il s’agisse d’un ordinateur fixe ou portable, d’une tablette, d’un smartphone, d’une console de jeux ou d’une télévision, les Français demeurent 32 heures par semaine en moyenne (4 h 40 par jour) vissés à un écran, soit un tiers de leur temps éveillé. Ces résultats sont issus du dernier baromètre du numérique réalisé en 2022 par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc). Le temps d’exposition est supérieur dans certaines catégories professionnelles. 70 % des employés de bureau sont ainsi plus de 7 heures par jour devant des écrans, selon une étude réalisée aux États-Unis début 2024 par Deloitte. Avec pour conséquence des problèmes de santé qui coûteraient 73 milliards de dollars par an à l’Oncle Sam.
Alerte à la sédentarité
En France, les autorités sanitaires prennent petit à petit conscience de l’impact délétère pour la santé d’un temps d’écran qui va croissant. Si elles s’alarment plus particulièrement des dangers sur le développement cognitif des enfants et sur leur santé physique, elles commencent aussi à mesurer les ravages d’une hyperconnexion des adultes, qui s’est renforcée avec l’épidémie de Covid.
Dans une importante revue de littérature réalisée avec l’Inserm en 2023 consacrée aux effets du télétravail sur la santé, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) pointe plusieurs indicateurs sanitaires désastreux. Le télétravail a renforcé considérablement la sédentarité des Français. « Hors temps de travail, les adultes passent quotidiennement de 3 h 20 à 4 h 40 assis devant un écran », souligne l’Anses, avec 38 % des adultes qui ont un comportement sédentaire plus de 8 heures par jour. Un usage important des écrans entraîne également des lombalgies, une baisse d’acuité visuelle, un stress oculaire digital, des céphalées, relève l’Agence.
« L’usage intensif des outils numériques à toute heure perturbe le temps dévolu au sommeil et favorise les comportements addictifs tendant à nuire à la continuité et à la durée du sommeil », lit-on encore. Or, de nombreuses études épidémiologiques ont démontré que dormir moins de six heures par nuit est associé à un risque accru d’obésité, de diabète de type 2, d’hypertension artérielle, de pathologies cardiaques et d’accidents.
La menace d’un « tsunami sanitaire »
Les écrans attaquent les trois piliers de la prévention : bien manger, bien bouger et bien dormir
Dr Yannick Guillodo, médecin du sport à Brest
Des médecins sont très préoccupés par la dégradation de l’état de santé de leurs patients. C’est le cas du Dr Yannick Guillodo, médecin du sport au pôle locomoteur du CHU de Brest, qui vient de publier un livre au titre sans équivoque : Le smartphone tue, paru aux éditions Baudelaire. Selon lui, le smartphone est, après le tabac et l’alcool, le nouveau facteur de risque pour la santé du XXIe siècle, qui fait planer la menace d’un « tsunami sociétal et sanitaire ». « Les écrans, et plus particulièrement le smartphone, attaquent les trois piliers de la prévention : bien manger, bien bouger et bien dormir, et ils augmentent la sédentarité », estime-t-il.
Le Dr Guillodo appelle à un usage raisonné des smartphones, dont disposent aujourd’hui 87 % des Français. Il réclame des recommandations de bon usage calquées sur le modèle de la lutte contre l’alcool. « Le smartphone, c’est trois heures par jour et pas tous les jours », préconise le médecin.
Bientôt un sujet de routine en consultation ?
Si les écrans sont partie prenante de notre vie professionnelle et de loisirs, ils ne sont pas encore suffisamment un objet d’attention des médecins. « Il est important de demander aux patients comment ils gèrent les écrans et quelle est leur consommation. Cela doit faire partie des questions de routine en consultation comme la consommation d’alcool et de tabac », estime la Dr Coralie Bureau-Yniesta, médecin généraliste et addictologue à Limoges, qui a été jusqu’à l’an dernier responsable d’une unité d’addiction comportementale rattachée centre hospitalier d’Esquirol spécialisée dans la cyberdépendance.
Maître de conférences associée à la faculté de Limoges, la Dr Bureau-Yniesta tente d’initier ses confrères à cette problématique peu étudiée pendant leurs études. Elle est l’autrice d’une fiche pratique sur les écrans diffusée dans le kit Addictions du Collège de la médecine générale.
Ces dernières années, les addictologues sont devenus sensibles à ce sujet. « On voit en consultation d’addictologie des personnes adultes qui se plaignent de la place importante que prennent les écrans dans leur vie, qu’ils ne parviennent pas à réguler », indique le Pr Marc Auriacombe, psychiatre addictologue à l’Université de Bordeaux. « Mais seuls 1,7 à 4 % de patients ont réellement une addiction », affirme le psychiatre, citant deux études menées par le centre hospitalier Charles-Perrens, le CHU de Bordeaux, le laboratoire Sanpsy et l’Université de Bordeaux. Le Pr Auriacombe invite à rester mesuré. « L’exposition aux écrans est un phénomène nouveau, analyse-t-il. La vigilance est une bonne chose mais elle ne doit pas se faire au détriment des autres addictions plus fréquentes et plus dommageables à la société. »
Pas de consensus sur l’addiction aux écrans
Derrière l’écran, des gens ont des addictions au sexe, au jeu, ou font des achats compulsifs
Pr Laurent Karila, psychiatre (AP-HP)
Le concept d'addiction aux écrans ne fait pas consensus chez les scientifiques et ne figure pas dans la classification des maladies de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme les troubles liés aux jeux vidéo. « L’addiction aux écrans n’existe pas, estime le Pr Laurent Karila, psychiatre à l’hôpital Paul-Brousse (Villejuif), spécialisé en addictologie. On peut parler d’addictions à ce que génère l’écran. Derrière l’écran, des gens ont des addictions au sexe, au jeu, ou font des achats compulsifs. Certains n’arrivent pas à se déconnecter des réseaux sociaux mais cela masque d’autres problèmes. »
Dans Docteur, addict ou pas ?, tout juste paru aux éditions Harpers Collins, le Pr Karila invite le lecteur à faire le point sur ses comportements potentiellement excessifs en répondant à des questionnaires (sur l’alcool, le sucre, le sexe ou… les écrans). La thérapie consiste à essayer de savoir quel usage fait la personne de son smartphone ou des réseaux et de voir par exemple s’il y a des troubles associés (du sommeil ou une anxiété). « Une fois établie l’image clinique du patient, on peut traiter l’ensemble de ces éléments en équipe dans le cadre d’un programme qui peut prendre une année », lit-on. Mais pas question d’interdire le smartphone, le patient est invité à réduire sa consommation et son exposition au risque.
Si la santé des enfants exposés aux écrans est au cœur des priorités des autorités, la commission présidée par le Pr Amine Benyamina ne pourra pas faire l’économie de mesures de prévention à destination des adultes. « Des jeunes parents hyperconnectés peuvent exposer leurs enfants par méconnaissance, observe la Dr Marie-Claude Bossière, pédopsychiatre, praticien hospitalier émérite et membre du collectif Surexposition Écrans (Cose). Les écrans des adultes perturbent la relation entre parents et enfants, il faut réduire cette technoférence. »