LE QUOTIDIEN : Quelles sont les missions de l’Institut du cerveau de l’enfant ?
Pr GHISLAINE DEHAENE-LAMBERTZ : L’institut hospitalo-universitaire (IHU) Robert-Debré du cerveau de l’enfant est un projet qui avait été annoncé lors des Assises de la santé mentale en 2021 et qui met au centre de ses préoccupations la santé et l’éducation de l’enfant, en s’intéressant plus particulièrement à son développement cognitif et ses vulnérabilités.
Je dirige l’IHU avec Marianne Perreau-Saussine, directrice exécutive, et les Prs Richard Delorme, directeur médical, Thomas Bourgeron, directeur scientifique translationnel, et Stéphane Auvin, directeur scientifique préclinique. Il est porté par l’AP-HP, l’université Paris-Cité, l’Inserm, le CEA et l’Institut Pasteur, avec la participation du CNRS.
Nous nous intéressons plus spécifiquement aux enfants de 0 à 6 ans, en espérant élargir aux adolescents à l’avenir ; il s’agit de réfléchir aux trajectoires des enfants, c’est-à-dire aux adultes qu’ils vont devenir et à ce dont ils ont besoin pour se développer. Aujourd’hui, nous comprenons mieux le développement cérébral et comment, à chaque moment, les mécanismes cognitifs se mettent en place et peuvent basculer dans un sens ou dans l’autre. La période 0-6 ans est cruciale car c'est durant ces premières années que les enfants établissent les bases cognitives fondamentales – langage, compétences sociales, attention… – sur lesquelles ils s’appuieront tout au long de leur vie.
En quoi de tels travaux sont-ils nécessaires ?
Les enfants sont vulnérables, touchés par des difficultés scolaires, des troubles du neurodéveloppement, la pauvreté… Il y a beaucoup de souffrances, chez l’enfant et dans les familles, qui restent malheureusement dans le secret. Un enfant qui va mal, c’est encore souvent de la faute des parents. Nous avons besoin d’une prise en charge globale de ces difficultés et de mettre ensemble les familles, l’école, la santé… dans un lieu autour de l’enfant.
Nous voulons transformer notre façon de voir l’enfant et ses difficultés et ne plus l’enfermer dans un diagnostic
Tout est parti de notre rencontre avec le Pr Richard Delorme, lors du projet des 1 000 premiers jours et de notre constat commun qu’il manquait une structure pour réfléchir aux problématiques des troubles du neurodéveloppement. Ni assez pris en charge, ni assez connus, ces enfants souffrent encore de la dichotomie entre les problèmes du corps et de l’esprit, entre la psychanalyse et l’approche neurologique. Pourtant, c’est bien dans la manière dont un organe, le cerveau, élabore la pensée que résident les troubles du neurodéveloppement.
Il existe déjà une recherche active et de grands progrès réalisés, notamment en sciences cognitives et en imagerie, pour comprendre les mécanismes de l’apprentissage ; nous souhaitons les mettre au service de la santé, de l’éducation de l’enfant et de son bien-être. Nous voulons transformer notre façon de voir l’enfant et ses difficultés, ne plus l’enfermer dans un diagnostic. Je ne dis pas que « tout est dans tout et réciproquement », traiter globalement n'exclut pas de définir au mieux la difficulté.
Comment allez-vous mettre cela en œuvre ?
Nous avons déjà commencé, mais nos travaux vont s’accélérer avec la construction d’un nouveau bâtiment sur le site de Robert-Debré qui devrait s’achever en 2027, grâce à un financement de 40 millions d’euros de l’État. Nous avons vraiment la volonté d’accueillir les enfants dans ce lieu. Ce ne sera pas que de la recherche et de la prise en charge mais aussi un lieu d’échanges. Nous souhaitons que les enfants et les associations de parents nous disent comment ils voient les choses et comment ils seraient le plus à l’aise.
Des mécènes et donateurs se sont déjà positionnés pour l’achat de matériel, en imagerie, et nous recevrons 20 millions d’euros sur dix ans de la part de l’État.
Nos thématiques sont centrées plutôt sur le petit enfant : identification des mécanismes de vulnérabilité du neurodéveloppement, compréhension de la diversité du développement cognitif et des mécanismes d’apprentissage, action sur les trajectoires et les processus développementaux… Forts des experts en génétique, imagerie et neurosciences, et des unités qui composent notre IHU, nous poursuivons nos travaux sur des sujets tels que l’autisme, la prématurité, l’épilepsie…
Un enfant est par définition curieux, un trouble ne doit pas l’empêcher d’étancher sa soif de comprendre
Côté recherche, nous souhaitons pousser les limites de l’imagerie, notamment avec l’utilisation de l’IRM 7 Tesla chez l’enfant, et investiguer précisément sur les séquences fonctionnelles qui serviront à la clinique pour le phénotypage anatomo-fonctionnel plus précis des difficultés neurodéveloppementales. Ceci permettra, nous l’espérons, de développer de nouvelles pistes thérapeutiques, médicamenteuses ou non. Concernant d’autres projets qui prendront place à l’Institut du cerveau de l’enfant, nous créerons une plateforme numérique d’informations, de conseils, de tests et questionnaires, qui servira à des projets de recherche participative et permettra aux parents d’aider leur enfant. Nous voulons travailler plus directement avec les patients devenus adultes et, nous l’espérons, avec des enfants. Nous sommes d’ailleurs en contact avec Unicef pour apprendre à faire parler les enfants de leurs troubles et avoir une parole valide. Enfin, nous proposerons des outils pour aider les apprentissages à l’école.
Que pensez-vous de la prise en charge actuelle de l’enfant ?
En tant que chercheuse, j’observe une vraie révolution en sciences cognitives, dans notre compréhension de l’apprentissage et des difficultés, mais tout cela reste dans les laboratoires. Des méthodes aussi banales que l’EEG sont très informatives pour détecter précocement des difficultés, comme une mauvaise synchronie avec la parole ou certains troubles du spectre de l’autisme, mais ne sont pas assez exploitées pour le diagnostic ou la surveillance de l’efficacité d’une prise en charge.
La solution semble toujours se tourner vers le pédago-éducatif alors que la science cognitive peut nous montrer d’autres façons d’enseigner plus fructueuses pour le cerveau ; nous savons par exemple décrire physiologiquement la dyslexie, qui aurait d’ailleurs jusqu’à sept formes anatomo-physiologiques distinctes. Nous sommes tellement grossiers pour décrire le cerveau de l’enfant, alors qu’il est si complexe à organiser ! Sans cette description affinée, nous ne pourrons pas proposer des thérapies efficaces.
Il est temps que nous étudiions de façon plus efficace la façon dont ce cerveau apprend. Nous souhaitons ne plus voir en un enfant autiste, ou dys, un enfant « malade » et mis dans une case. Il faut certes lui faire comprendre ce qu’il ne peut faire comme les autres, mais surtout ce que cela ne l’empêche pas de faire. L’objectif est de pouvoir l’aider en agissant très en amont pour éviter des cascades de déficits. Par exemple, une mauvaise perception des syllabes chez le nourrisson peut entraver l’acquisition du langage, ce qui affectera les interactions avec les autres.
La période Covid nous a appris que les téléconsultations peuvent participer à améliorer la prise en charge
Il est vraisemblable que dans beaucoup de cas, nous ne pourrons pas soigner la cause initiale, mais nous pouvons aider les enfants à être fonctionnels pour qu’ils n’aient pas à souffrir de ce qu’ils sont ; au contraire, ils participent à la diversité de la société. Un enfant est par définition curieux, il veut apprendre et comprendre, et cette soif de comprendre peut même se voir à l’imagerie. Il ne faut pas tuer cette envie et je trouve qu’il est trop souvent dit qu’ils ne sont pas capables s’ils ont un trouble, au lieu de favoriser les compétences.
Où en est la pédopsychiatrie ?
La pédopsychiatrie, et même la psychiatrie, sont désertées. Mais je pense qu’il ne faut pas rester sur un constat négatif, car nous avons vu avec le Covid que les téléconsultations étaient possibles et qu’elles peuvent participer à améliorer la prise en charge de tous. À mon sens, pour un certain nombre de cas, au vu de la difficulté à trouver un professionnel de santé, le numérique pourrait aider à mieux repérer les enfants qui requièrent vraiment d’être accompagnés.
Nous avons besoin de mieux répartir les moyens et les ressources. Durant le Covid, nous avons eu la chance que l’école ait pu continuer et avons moins perdu que d'autres pays, cependant il n'y a pas eu assez de soutien auprès des tout-petits et de leurs parents. Je pense que c’est parce que l’enfant n’est pas au centre de la société française. Nous gagnerions à changer de regard sur ce qu’est son développement. Beaucoup d’équipes en France font un travail remarquable sur ces sujets et nous pourrions mieux en profiter.
Quelques repères sur Pr Ghislaine Dehaene-Lambertz et l’ICE
2016
Médaille d’argent du CNRS
2021
Annonce de la création de l’Institut Robert-Debré du cerveau de l’enfant par le président de la République lors des Assises de la santé mentale
2022
Élue membre étranger de l’Académie nationale des sciences aux États-Unis
2023
L’Institut du cerveau de l’enfant est reconnu institut hospitalo-universitaire (IHU)
2024
Lancement officiel de l’IHU avec 20 millions d’euros pour les projets médico-scientifiques dans le cadre de France 2030
2025-2027
Construction du bâtiment sur le site de l’hôpital Robert-Debré, à Paris
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