Les victimes de violences sexuelles dans l'enfance doivent avoir droit à un parcours de soins spécialisés et structurés, demande la Commission indépendante sur l'inceste (Ciivise). Ce deuxième avis rendu ce 12 juin chiffre par ailleurs à 9,7 milliards d'euros le coût économique annuel du phénomène. Une façon d'alerter sur le déni qui perdure et l'impunité dont jouissent encore les agresseurs.
« 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année. 5,5 millions de femmes et d’hommes adultes ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance, le plus souvent au sein de leur famille. Les conséquences sur leur santé et toutes les sphères de leur existence sont d’une extrême gravité et durent toute leur vie », rappelle la Ciivise en introduction. Et d'insister sur l'idée que ces violences ne se limitent pas à la sphère privée, c'est aussi un problème politique.
Des soins aujourd'hui inadaptés
Alors que la nécessité et l'existence même de soins spécialisés font consensus dans la littérature scientifique, l'offre est actuellement inadaptée en France. Les victimes mettent en moyenne entre 10 et 13 ans pour trouver un suivi médical spécialisé ; 79 % des professionnels de santé ne font pas le lien entre l’état de santé de leurs patients et les violences qu’ils ont subies, lit-on. Y compris les psys, pas toujours formés à la psychotraumatologie. Les centres régionaux du psychotraumatisme (CRP) sont encore trop peu nombreux (un par région, voire deux antennes régionales), même si le réseau continue à s'étendre. Quant au suivi qu'il soit en centre-médico-pschologique (CMP), en centre médico-psycho-pédagogique (CMPP), ou à l'hôpital, il bute sur des délais de trois à 18 mois et se heurte à l'inégalité des expertises, et plus largement aux difficultés récurrentes de la psychiatrie.
La Ciivise préconise donc la mise en place et le financement d’un parcours de soins spécialisés du psychotraumatisme de 20 à 33 séances réparties sur une année et renouvelables selon les besoins des victimes. « Une telle modélisation est nécessaire à l'engagement d'une politique publique », argumente-t-elle.
Un parcours en quatre étapes
Ce parcours se décline en quatre étapes, à commencer par l'évaluation clinique (une à trois séances), à l'aide de questionnaires ou échelles validé.e.s, et proposé.e.s en lieu sûr. La Commission insiste sur l'importance que la victime soit protégée, notamment par des décisions judiciaires et sociales, pour que le soin fasse sens.
Ensuite, vient la phase de stabilisation (10 à 12 séances), pour identifier les outils et ressources internes et externes auxquelles la victime peut avoir recours, mais aussi pour traiter les symptômes les plus envahissants. Une préparation essentielle pour minimiser le risque d’une dissociation provoquée par l’angoisse que peut générer l’évocation des souvenirs traumatiques dans la suite de la prise en charge.
La troisième étape consiste en 10 à 15 séances centrées sur le trauma grâce à des thérapies « utilisant des techniques cognitives, émotionnelles ou comportementales pour faciliter le traitement d’une expérience traumatisante, et dans laquelle la focalisation sur le traumatisme est un élément central du processus thérapeutique », comme les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), l'EMDR, les thérapies intégratives, ou encore la thérapie narrative. « Pour être bénéfiques, ces protocoles doivent être maniés par des thérapeutes formés à la victimologie ainsi qu’aux mécanismes des violences et à la stratégie des agresseurs », lit-on.
Enfin, la consolidation consiste en une à trois séances de soutien plus classique. La Ciivise préconise en outre la psychoéducation de façon transversale pour comprendre les mécanismes du psychotraumatisme et apprendre à identifier ses propres réactions.
L'intégralité de ce parcours doit être pris en charge, plaide-t-elle. Comment ? Aucun dispositif n'est pour l'heure satisfaisant. La commission suggère d'étudier la création d'une 31e affection longue durée spécifique au psychotraumatisme, qui permettrait aux professionnels de santé de bénéficier de la tarification prévue pour les consultations complexes et très complexes, en incluant des séances dispensées par des psychologues libéraux. « Seule la délivrance de soins spécialisés du psychotraumatisme permettra de réduire le coût extrêmement élevé des conséquences à long terme sur la santé des victimes ».
Des coûts de santé estimés à 7 milliards d'euros par an
Le coût des conséquences des violences sexuelles dans l'enfance s'élève, pour la santé, à 6,7 milliards, sur un total de 9,7 milliards d'euros au moins, calcule la Ciivise, soit 70 %. Des chiffres destinés à « faire prendre conscience de l'ampleur et de la gravité » du sujet. Ces répercussions tout au long de la vie coûtent à la société plus de deux fois plus que les dépenses immédiates et ponctuelles de police, de justice et d'hospitalisations d'urgence.
Sur les 9,7 milliards, la majorité correspond à des dépenses publiques pour prendre en charge les victimes, le reste, à la perte de richesse engendrée par l’impact des violences sexuelles sur la vie des victimes. Dans le détail, 2 milliards sont liés à la prise en charge des troubles mentaux, 1 milliard aux consultations médicales, 2,6 milliards d'euros aux dommages liés à des conduites à risque.
En conclusion de son avis, la Ciivise, créée en 2021 après l'onde de choc de la « Familia Grande » de Camille Kouchner, demande son maintien, afin de recueillir les témoignages des victimes, d'évaluer les politiques publiques et de former et soutenir les professionnels. La plateforme téléphonique de témoignage « Violences sexuelles dans l’enfance » confiée au Collectif féministe contre le viol (CFCV) et à SOS Kriz a recueilli 25 000 témoignages.
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