Pédiatrie

L’Académie de médecine alerte sur des chirurgies sublinguales abusives chez les tout-petits

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Publié le 27/04/2022
L’Académie s’alarme devant une multiplication, chez le nouveau-né ou le nourrisson, des frénotomies ou frénectomies sublinguales. Un acte chirurgical pourtant rarement recommandé du fait notamment d’un manque de recul scientifique et médical.

Dès les premiers jours ou les premières semaines de leur vie, de plus en plus de nouveau-nés et de nourrissons subiraient des chirurgies abusives du frein de la langue. Ce 26 avril, l’Académie nationale de médecine appelle à la vigilance et surtout à la retenue vis-à-vis de ce type d’actes.

« La section (frénotomie) ou l’exérèse (frénectomie) du frein de la langue chez le nouveau-né ou le nourrisson consiste à couper chirurgicalement (aux ciseaux ou au laser) un frein de langue court et/ou épais pour restaurer l’amplitude du mouvement de la langue mobile, en particulier sa protraction », rappelle l’Académie de médecine par communiqué. Jusqu’à présent, le recours à ce genre de chirurgie restait rare. De fait, le geste est théoriquement réservé aux enfants souffrant d’ankyloglossie – limitation des mouvements de la langue liée à une anomalie congénitale du frein lingual, alors restrictif, c’est-à-dire trop antérieur ou épais. Et encore, la frénotomie n’est indiquée qu’en cas « retentissement fonctionnel conséquent ».

Une augmentation de la frénotomie linguale à l'échelle mondiale

Cependant, l’Académie de médecine fait part d’une « augmentation spectaculaire (…) dans le monde, de la frénotomie linguale ». En effet, un bond de « plus de 420 % » du nombre de frénotomies aurait par exemple été enregistré au cours des dix dernières années en Australie. La France serait également concernée. Si la société savante ne quantifie pas aussi précisément le phénomène dans le pays, elle note un « accroissement sur tout le territoire de réseaux proposant (la frénotomie) à des tarifs excessifs ».

À l’origine de cet engouement : la promesse de faciliter l’allaitement. « La frénotomie linguale (…), effectuée très tôt après le séjour en maternité, permettrait (soi-disant) un allaitement à la fois efficace pour le nouveau-né et le nourrisson, et indolore pour la mère. ». Comme le suggère l’Académie, la frénotomie serait ainsi souvent proposée pour « traiter les douleurs mamelonnaires » et ainsi éviter « l’arrêt précoce de l’allaitement », mais serait également réalisée « à titre préventif ».

Aucune donnée pour une recommandation large de la pratique

Or, aucune donnée ne permettrait à l’heure actuelle de recommander largement la frénotomie. « Trois recommandations nationales et internationales récentes ainsi qu’une revue Cochrane ont conclu au manque d’études scientifiques de qualité concernant cette pratique », souligne l’Académie. La société savante rapporte en particulier des données insuffisantes quant à la technique opératoire à choisir (laser ou ciseaux), l’âge optimal pour pratiquer la frénotomie, l’intérêt d’un traitement local post-opératoire, et surtout l’efficacité du geste lui-même. Et ce, que ce soit pour améliorer le transfert de lait ou pour réduire des douleurs mamelonnaires (ou encore pour lutter contre des troubles comme le RGO, l’apnée du sommeil, ou certaines difficultés de langage ou d’alimentation parfois présentées, sans preuve, comme liées à l’ankyloglossie).

Au-delà de l’utilité de la frénotomie elle-même, la société savante pointe la nécessité de préciser les critères non seulement de repérage mais aussi de prise en charge des ankyloglossies. De fait, il persisterait une « absence de définition anatomique claire et consensuelle des freins de langue restrictifs et de l’ankyloglossie », déplore l’Académie, selon qui un frein de langue restrictif doit cependant relever « d’un diagnostic plus fonctionnel qu’anatomique ».

Le tout, alors que, comme toute chirurgie, ce geste – pourtant simple – présente des risques potentiels, l’Académie citant de possibles « hémorragies, lésion collatérale tissulaire, obstruction des voies respiratoires, refus de tétée, aversion orale, infection, augmentation de la durée de l’allaitement en post-chirurgie ».

Ainsi, la société savante appelle à préciser tous ces points : « des études méthodologiquement rigoureuses, ciblant les indications, l’efficacité et la tolérance de la frénotomie, sont à mener sans délai. »

Nécessité d'une démarche diagnostique rigoureuse

Mais surtout, l’Académie, accompagnée de « plusieurs sociétés savantes, médicales, chirurgicales, paramédicales, à des collèges professionnels et des associations », incite à la parcimonie. Pour elle, un frein de langue court ou épais ne doit pas constituer une indication à la frénotomie en l’absence de difficultés d’allaitement. « L’existence d’un frein de langue très antérieur fixé à la pointe de la langue ou épais ne constitue pas une indication chirurgicale s’il ne gêne pas la succion. »

Même en présence de difficultés d’allaitement, la frénotomie n’est pas à proposer systématiquement. La société savante précise qu’une démarche diagnostique rigoureuse doit être conduite « par des professionnels de formation universitaire, ou ayant une formation agréée officiellement en allaitement, respectant une médecine basée sur des preuves » avant d’évoquer la chirurgie de la langue. D’autant qu’un frein de langue restrictif est « loin d’être la cause la plus fréquente (de douleurs mamelonnaires et d’arrêt précoce de l’allaitement) ».

De plus, des mesures conservatrices non chirurgicales classiques doivent être essayées en première intention. « La préparation à l’allaitement et la formation des professionnels doivent (toutefois) être améliorées afin d’accentuer la prise en charge conservatrice et non chirurgicale en cas de difficultés », reconnaît l’Académie.

Si la frénotomie s’avère finalement bien indiquée – en cas de frein restrictif avec retentissement fonctionnel et après échec des mesures conservatrices –, l’Académie juge qu’elle peut être réalisée « aux ciseaux, (…), avec ou sans anesthésie de contact, remise au sein immédiate et prescription d’un antalgique (mais d’aucun geste intrabuccal particulier dans les jours suivants) ». À condition toutefois d’informer les parents sur la possible survenue de complications, « même si elles restent (probablement) rares ».


Source : lequotidiendumedecin.fr