« C’est un travail colossal qui donne la parole aux chercheurs et s’appuie sur l’Evidence Based Medicine pour établir les recommandations », salue Laurent Fleury, responsable du pôle Expertises collectives de l'Inserm. L’institution publie un rapport d’expertise émettant de nouvelles orientations pour améliorer la « prise en soins » des personnes polyhandicapées. Un travail qui se fonde sur l’analyse poussée de plus de 3 000 études scientifiques par 10 spécialistes du domaine durant trois ans.
Le polyhandicap est défini par l’association d’une déficience mentale sévère à profonde et d’une déficience motrice sévère, qui engendre des restrictions extrêmes de communication, d’autonomie et de mobilité. L’approche holistique, nécessaire, se complexifie du fait de l’altération des capacités de communication des patients.
Le polyhandicap : une entité clinique spécifique
Pluricausal, le polyhandicap se caractérise par la singularité des expériences et la personnalité des patients. C’est une entité clinique complexe avec de nombreux troubles imbriqués et associés (on parlera de multimorbidités). Aussi le rapport insiste-t-il sur la pluridisciplinarité qui doit guider le parcours de soins. Une attention particulière doit être portée à la neurologie, la pneumologie et les aspects fonctionnels et nutritionnels. L’évaluation médicale dans ces disciplines doit être réalisée tout au long de la vie des patients et est détaillée dans la synthèse des experts pour chaque spécialité.
La coordination des médecines de spécialité est indispensable. Et ceci, y compris lors de la transition de l’enfance (où elle est garantie par la vision holistique des neuropédiatres) à l’âge adulte. Or il n’existe pas d’équivalence stricte entre les médecins de l’enfance et de l’adulte et les spécialistes adultes tendent à se focaliser sur l’organe, sans prendre en compte les aspects de santé globaux. Il est alors nécessaire de créer un nouveau parcours de soins. « C’est un problème qui doit être anticipé par les équipes pédiatriques, suffisamment tôt pour éviter la perte de vue du patient », alerte la Dr Marie Hully qui exerce au service de neurologie pédiatrique et rééducation de l’hôpital Necker-Enfants Malades.
On sait le rôle absolument majeur du médecin traitant qui pourrait aussi être le relais auprès des enfants
Pr Mickaël Dinomais, spécialiste en médecine physique et rééducation fonctionnelle, CHU d’Angers
De plus, l’adolescence est une période charnière pour ces enfants : puberté précoce, croissance qui fragilise les os et prise de poids sont autant de facteurs qui jouent sur la qualité de vie. La transition médicale doit être l’occasion de faire le bilan des nouveaux besoins et de revoir la coordination entre les différentes disciplines. Le médecin MPR prend souvent le rôle de chef d’orchestre mais il ne faut pas négliger la place du généraliste. « On sait le rôle absolument majeur du médecin traitant qui pourrait aussi être le relais auprès des enfants », déclare le Pr Mickaël Dinomais, chef du service de médecine physique et rééducation fonctionnelle au CHU d’Angers. Et la Dr Hully de renchérir : « Le suivi médical des patients polyhandicapés n’est pas qu’une affaire de spécialistes de CHU, bien au contraire. »
On notera les particularités de l’évaluation de la douleur chez les personnes polyhandicapées à tous les âges. Elle doit être faite à travers un examen clinique détaillé et des outils diagnostics ad hoc pour compenser les difficultés de communication et s’orienter vers les étiologies du polyhandicap (digestives, musculosquelettiques, neuropathies, cutanées, etc.) sans oublier celles retrouvées en population générale comme les poussées dentaires, les menstruations ou l’appendicite.
Une pratique clinique tissée d’enjeux éthiques
La prise en charge des personnes polyhandicapées pose des questions éthiques et méthodologiques. Si elle vise fondamentalement l’amélioration de leur qualité de vie, celle-ci passe souvent par la perception de personnes extérieures. « Dans l’analyse des symptômes, le partenariat avec les aidants est indispensable », explique la Dr Hully. La médecin experte explique que ce sont eux qui repèrent les subtilités de comportement pouvant traduire un problème de santé et insiste sur la nécessité de nouer une relation de confiance avec ces proches.
Dans l’analyse des symptômes, le partenariat avec les aidants est indispensable
Dr Marie Hully, neuropédiatre, l’hôpital Necker-Enfants Malades
Un autre enjeu est ce que le rapport d’experts qualifie de « violence évaluative » : enfermer la personne dans ses capacités présentes, sans envisager de progression. La réévaluation des compétences doit donc être régulière chez l’adulte comme chez l’enfant. Les nouveaux outils et technologies tels que la communication alternative et améliorée (CAA) sont particulièrement utiles pour dévoiler la présence de compétences non décelables auparavant. « La communication est intrinsèquement liée à la notion de participation sociale et constitue un droit humain fondamental » rappelle le Pr Mickaël Dinomais, en insistant sur l’importance de s’adresser directement à la personne polyhandicapée. Autant que possible, les prises de décision nécessitent une collégialité non seulement avec les parents mais aussi avec le patient lorsqu’il est en mesure de s’exprimer.
Par exemple, dans le cadre de la fin de vie et des soins palliatifs, le rapport préconise de parler de la mort avec le patient. « Trop peu d’établissements inscrivent l’accompagnement de fin de vie dans leur projet » alerte le Pr Dinomais, en appelant à mieux sensibiliser les équipes en soins palliatifs aux spécificités du polyhandicap, particulièrement chez l’enfant.
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