Octobre 2014, Facebook et Apple annoncent leur intention de proposer, dans la couverture médicale qu’ils réservent à leurs employés, la congélation d’ovocyte « par convenance », dans l’espoir de féminiser leurs équipes. Dans l’hexagone, l’information ne laisse pas indifférent. La ministre de la Santé Marisol Touraine se dit « préoccupée par un projet porté par des entreprises » alors que « le débat devrait être médical, éthique ». À l’inverse, Michèle Delaunay, médecin et ex-ministre déléguée à l’autonomie, défend la gestation pour soi au nom de l’égalité entre les sexes.
Remède à l’infertilité
Le débat n’est pas récent. Dès 2012, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) prend position en faveur de l’autoconservation ovocytaire. « Nous y sommes toujours totalement favorables, pour la santé des femmes, par rapport à l’évolution actuelle de la société », maintient le Pr Bernard Hédon.
« Les progrès de la contraception, les études prolongées, le désir de faire carrière, l’instabilité du marché du travail, la rencontre tardive d’un partenaire...Tout se conjugue pour que les femmes programment de plus en plus tard leur grossesse, dans l’ignorance voire le déni de la chute de la fertilité avec l’âge », détaille le Dr Joëlle Belaisch-Allart.
L’autoconservation ovocytaire serait donc un remède à l’infertilité, « en permettant aux femmes de 40 ans d’utiliser leurs propres ovocytes congelés avec un taux de succès proche de celui observé à l’âge de la conservation », selon la gynécologue-obstétricienne. Elle prémunirait contre les problèmes d’immuno-intolérance des grossesses après don d’ovocyte (hypertension artérielle, pré-éclampsie, éclampsie). Indirectement, l’autoconservation contribuerait d’ici 5 ans à résorber la pénurie d’ovocytes, selon le Dr Belaisch-Allart. « Les femmes qui auraient congelé leurs ovocytes n’auraient plus besoin d’un don (qui irait plus facilement aux femmes ayant une indication médicale) ; en outre, comme le prévoit la loi de bioéthique de 2011, elles pourraient donner une partie de leurs ovocytes congelés ».
Le CNGOF demande néanmoins un encadrement, eu égard aux risques que présentent les grossesses tardives (HTA, prématurité, diabète gestationnel, mortalité maternelle et fœtale). L’autoconservation, optimale entre 30 et 35 ans, devrait être possible jusqu’à 39 ans, tandis que l’âge limite de reprise des ovocytes devrait être fixé à 50 ans selon l’état de santé de la femme.
Faux espoirs
D’autres médecins sont plus réservés quant à l’extension de l’autoconservation ovocytaire qui, selon eux, risque d’encourager les grossesses tardives. « L’autoconservation permettrait de retarder un projet parental ? Non ! C’est donner un faux espoir que de laisser penser que la congélation de ses ovocytes garantit une reproduction future », affirme le Pr Rachel Lévy, vice-présidente de la fédération nationale des biologistes des laboratoires d’études de la fécondation et de la conservation de l’œuf (BLEFCO). « Tous les ovocytes ne survivent pas à la décongélation. Dans les meilleurs services, on constate 10 % de lyse. Puis il faut réaliser une fécondation in vitro, dont le taux de réussite est de 60 %. Enfin, il faut transférer les embryons, avec des chances d’implantation de 20 à 30 % à 42 ans. L’autoconservation peut donc être une sécurité, mais ne doit en aucun cas retarder un projet parental », développe le Pr Lévy.
Avec d’autres chiffres, le Pr Louis Buzan, président de la Fédération des CECOS, ne dit pas autre chose. « Il faut au moins 8 ovocytes congelés pour un taux de naissances de 46 %. Il ne faudrait pas que le message créé trop d’enthousiasme. La technique ne peut pas tout ». « Il faudrait entre 15 et 20 ovocytes pour obtenir une grossesse. Or une ponction permet de prélever environ 12 ovocytes, et l’on ponctionne rarement deux fois » reprend le Pr Lévy.
D’autres défis
Plutôt que de la proposer à toutes les femmes, ces médecins militent pour un plus grand développement une autoconservation pour des indications médicales. « Encore trop de personnes confrontées au cancer n’ont pas réalisé de préservation de la fertilité : Il faut une meilleure coordination entre les équipes de la reproduction et les oncologues, sans oublier les généralistes pour apporter l’information à tous », dit le Pr Dominique Royère, directeur du Pôle Embryologie-génétique humaine à l’Agence de la biomédecine (ABM) « Si dans une famille la mère ou la sœur ont des problèmes d’infertilité ou d’insuffisance ovarienne, il faut mener des évaluations le plus tôt possible et éventuellement proposer à la patiente une autoconservation », explique le Pr Lévy. « La prescription d’une pilule pourrait être l’occasion de faire un bilan de la réserve ovarienne », poursuit-elle, évoquant l’endométriose et les ménopauses précoces.
Reste que le bilan d’infertilité (dosage de l’hormone antimüllérienne - AMH - et échographie avec compte des follicules antraux) n’est pas fiable à 100 %. « Si les résultats sont mauvais c’est trop tard et s’ils sont bons, nul ne peut dire combien de temps ils le resteront », commente le Dr Belaisch-Allart. « L’AMH peut être perturbée, ce n’est pas un marqueur assez précis. Avec les - Omics, on pourrait définir des critères précoces prédictifs de l’insuffisance ovarienne », espère le Pr Bujan, en appelant à développer la recherche en reproduction humaine, peu encouragée.
Questions éthiques
L’autoconservation ovocytaire pose enfin des questions d’ordre éthique, qui n’appartiennent plus seulement aux médecins. Est-ce une libération de la femme ou au contraire, une instrumentalisation de son corps, voire un asservissement aux lois du marché ?
Financièrement, qui - l’assurance-maladie, le couple - pourrait payer les quelque 3 000 euros que nécessite une autoconservation ovocytaire (sans compter la FIV, ni le transfert d’embryon) ? « Même si cela peut sembler choquant au nom de l’égalité, force est de constater que l’assurance-maladie ne peut pas tout prendre en charge. Pourquoi ne pas autoriser l’AMP non médicale mais au frais du couple ? » suggère le Dr Belaisch-Allart.
Enfin, que demande-t-on à la médecine ? De satisfaire un droit à l’enfant ? Selon l’éthicien Emmanuel Hirsch, l’autoconservation ovocytaire serait plutôt à penser dans la droite ligne de la loi Veil, et du renforcement de l’autonomie de la personne. « La loi de 1975 a permis la maîtrise de sa contraception. Maintenant l’autoconservation ovocytaire non médicale serait la maîtrise de sa procréation. C’est une évolution de la société, qui devrait être anticipée, pas forcément par un encadrement judiciaire, mais par la responsabilisation des citoyens et la communication », explique-t-il. Et d’appeler à un débat citoyen. Le comité consultatif national d’éthique devrait rendre prochainement un avis sur les indications non médicales de l’AMP.
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