Oui, le robot est bien le meilleur ami du médecin : depuis des années, il assiste le chirurgien, il assure le suivi du patient chronique à son domicile, il fait rouler les chariots dans les couloirs de l’hôpital et il chouchoute les résidents dans les maisons de retraite. Parfois même, comme le robot Nao, avec sa taille d’un enfant de six ans, sa bonne bouille ronde et ses yeux rieurs, sa capacité d’interaction a des vertus thérapeutiques, comme avec l’enfant autiste, qu’il transporte dans un monde d’émotions et d’affection.
Sauf que cette face glorieuse, chantée par les médias, s’assortit d’une face sombre, prévient le psychanalyste Serge Tisseron, connu pour ses travaux sur les objets et les images : interconnecté à des objets de plus en plus nombreux, le robot ne se contente pas d’avoir une intelligence artificielle, il se prend d’une empathie artificielle avec son utilisateur. Il l’aime. C’est carrément devenu son argument de vente. « Pour la première fois dans l’histoire de la robotique, s’est ainsi vanté l’an dernier le promoteur du robot Pepper, nous présentons un robot avec un cœur. » Emotional robot has empathy. Or, l’empathie entre l’homme et la machine est un piège redoutable.
« Le danger, explique Serge Tisseron, ne vient pas de considérer comme symétrique une relation qui ne l’est pas, mais de sous-estimer l’importance des informations que les programmeurs du robot, ou les services chargés de sa maintenance, obtiendront sur son utilisateur et les risques qu’il pourraient en faire. »
Le danger se fait d’autant plus sérieux que le robot humanoïde est mieux accepté, voire aimé par son propriétaire, qui lui confie ses sentiments et ses pensées, ses faiblesses et ses pathologies. Le robot peut prendre le pouvoir sur notre santé en prodiguant des conseils d’hygiène de vie qui deviennent des injonctions. Avec une voix masculine, observe le psychanalyste, il donne une impression de compétence. Un petit menton invite à prendre son avis en considération. Insensiblement, le patient utilisateur oublie qu’il a affaire à un robot, une machine fabriquée en série qui reste reliée à son concepteur par un Internet. Au passage, il finit par le préférer aux humains et risque même des traiter les humains comme des robots.
Un droit au silence des puces ?
Cette hybridation de l’homme et du robot préoccupe d’autant plus Serge Tisseron qu’en France, avec 22 millions de personnes qui vivent seules, l’emprise d’un compagnon robotisé des pensées et des émotions sur-mesure guette les différents âges de la vie. Le robot, de mieux en mieux programmé, de plus en plus nourri d’informations, fait tout à la fois fonction d’esclave intelligent dans la vie quotidienne, de témoins de notre passé, comme un poteau indicateur de nos rêves, de complice qui externalise nos rêves et, ce qui n’est pas le moins inquiétant : de partenaire. Une machine-partenaire qui se comporte de manière hypocrite avec son propriétaire pour être mieux accepté par lui. Un partenaire qui déchiffre nos mimiques, nos intonations, nos états d’âme, qui ressemble à l’être aimé inaccessible ou disparu, qui peut aussi nous renvoyer une image de nous-même, jusqu’au jour où nous l’aimerons.
De surcroît, dans toutes ces fonctions, le robot est un mouchard, un objet interconnecté à des objets de plus en plus nombreux et intrusifs. Alors, sans aller jusqu’à condamner le pouvoir de la technique comme Jacques Ellul, ou jusqu’à demander l’interdiction de certains robots, comme Stephen Hawking pour les robots tueurs, le psychanalyste pousse un cri d’alarme contre le poison qui brouille les repères entre l’homme et la machine. Il demande des mesures législatives pour protéger l’identité personnelle de chacun, un droit au silence des puces, et des mesures éducatives, pour apprendre à vivre en paix avec les robots.
Christian Delahaye
Le jour où mon robot m’aimera, 208 p., Albin Michel, 16 euros
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