Lancé en grande pompe au début de l’année, « Mon Espace Santé » promettait de dépoussiérer le Dossier médical partagé (DMP). Mais après quelques mois d’amorçage, le dispositif subit déjà les critiques d’une frange des médecins et des spécialistes informatiques. Après 15 ans d’échec du DMP, le ministère de la Santé avait décidé de changer de braquet, en mettant en place une procédure d’ouverture du dossier médical numérique inédite aux 68 millions de Français : l’« opt-out ». En d’autres termes, faute de réponse du patient, l'espace est ouvert automatiquement, six semaines après réception d’un mail ou d’un courrier d’information. Une méthode déjà utilisée en Australie.
Ce silence qui vaut consentement inquiète le Syndicat de la médecine générale (SMG), organisation non représentative, à gauche de la profession. « Que penser d'une société où quand on ne dit pas non, c'est que c'est oui ? », reproche le syndicat. Pour la Dr Camille Gendry, généraliste et membre de la commission exécutive du SMG, « c’est un passage en force, une rupture avec la notion de consentement libre et éclairé développé dans les années 2000 avec le droit des patients, pour sortir du paternalisme médical ». D’autant plus que, pour adhérer – ou non – à la création de son espace, le patient doit être correctement informé des enjeux auxquels il s’expose. « Beaucoup de patients ne pourront pas prendre une décision éclairée par manque d’information, comme les patients âgés, en ALD, les plus éloignés du numérique… », craint la Dr Gendry.
Tour de passe-passe
À défaut d’offrir un coffre-fort sécurisé à chaque assuré, « les modalités de la création de « Mon espace santé » sont loin d’être respectueuses des personnes auxquelles il est censé simplifier la vie », tacle aussi la Quadrature du Net, une association de défense des droits et liberté sur internet, qui a émis un long réquisitoire contre la plateforme publique. Pour Arroway, membre de la Quadrature et experte en sécurité informatique, l’Assurance-maladie « passe outre le consentement des patients sous prétexte de les aider », simplement car « il est impossible de savoir s’ils ont bien reçu, et compris, le mail ou le courrier qui leur était adressé ».
La Quadrature va plus loin, et repère même des similitudes entre l’ergonomie de MES et certains « tours de passe-passe que nous critiquons chez les Gafam ». Cases et options précochées, paramètres compliqués à atteindre… « Nous avons retrouvé sur MES l’utilisation de dark pattern », ou « interface truquée », poursuit Arroway. Par exemple, à la première connexion, l’attestation de vaccination Covid est intégrée automatiquement, par la Cnam, sans qu'il soit possible de s'y opposer. Or selon la Quadrature, l’Assurance maladie n’a pas été « techniquement autorisée » à déposer des documents.
D’entrée de jeu encore, les paramètres par défaut autorisent les professionnels de santé à accéder à l’intégralité des documents « en cas d’urgence ». « Que se passera-t-il si quelqu’un de malveillant déverrouille le bris de glace, sans pour autant qu’il y ait d’urgence ? », s’interroge encore Arroway. Ces accès sont néanmoins tracés.
Clic fragile
Côté cabinet, le recueil du consentement interroge également. Une simple case à cocher par le médecin doit servir de preuve que le patient a donné son accord pour qu’il accède à l’espace. « Il n’y a aucun moyen de savoir si le patient a réellement donné son accord, et puis les médecins ont déjà de longues journées, vont-ils penser à poser la question à chaque fois ? », doute encore l’informaticienne. Car, une fois l’espace créé, seuls des « motifs légitimes » peuvent être invoqués pour refuser qu’un professionnel verse des documents en ligne. Le patient peut ensuite choisir de les supprimer automatiquement au bout de trois mois (en cochant à nouveau une case), sinon ces données seront conservées dix ans.
Plus globalement, ce qui inquiète le SMG et la Quadrature du net c’est la centralisation des données médicales de tous les Français, dans un lieu unique. « Si un attaquant cible « Mon espace santé », c’est open bar », résume Arroway. « Plus les données sont concentrées, plus on met en péril le secret médical », abonde la Dr Gendry, alors que les documents de santé sont ceux qui s’échangent le plus cher au marché noir. La représentante du SMG regrette surtout qu’aucune expérimentation « n’a jamais évalué l’apport du dossier médical numérique sur la santé des patients, on ne connaît pas le bénéfice-risque ».
Au vu des éléments, le SMG invite à ne pas activer « Mon espace santé ». « Nous appelons à la prudence, même si ce refus peut ne pas être définitif », poursuit la Dr Gendry. Même conclusion du côté de la Quadrature du Net. Mais si une petite partie de la profession est inquiète, l’autre semble, pour l'instant, plutôt indifférente à cet outil. « Je ne l’utilise pas du tout et aucun de mes patients ne m’en a jamais parlé », confirme le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML, qui anticipe « la chronique d’un échec annoncé ».
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