Entretien avec le Directeur général de PariSanté Campus

Pr Antoine Tesnière : « Au niveau des professionnels de santé, le numérique est devenu incontournable »

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Publié le 15/04/2022
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Annoncé il y a plus d’un an par Emmanuel Macron, PariSanté Campus est sorti de terre fin 2021 afin de réunir les acteurs scientifiques et industriels autour du numérique en santé. Le site a bénéficié de 45 millions d’euros du plan de relance pour un budget de 90 millions. À sa tête, le Pr Antoine Tesnière, anesthésiste réanimateur, plaide pour la construction d’un modèle de santé numérique « à la française », souverain et soutenu par la société.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Concentré de matière grise dédiée à la e-santé, PariSanté Campus a ouvert ses portes en décembre dernier dans le 15e arrondissement de Paris. Comment se passe l’installation ?

PR ANTOINE TESNIERE : L’installation se passe très bien. C’est très enthousiasmant de voir tous les acteurs de la santé numérique - étudiants, chercheurs, entrepreneurs - échanger et créer des synergies autour du numérique en santé. Sur le site, nous avons 150 étudiants qui viennent suivre des cours de e-santé, deux laboratoires de recherche académique, liés à nos membres fondateurs : l’Inserm, l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) et l’Université Paris Sciences&Lettres. Jusqu'à 1 000 personnes pourront être accueillies.

Vous vous présentez aussi comme une pépinière de start-up. Combien sont déjà présentes sur site ?

90 % des start-up ont emménagé et travaillent maintenant à développer leurs activités au sein de PariSanté Campus. En mars, une soixantaine avait été sélectionnée pour la première promotion de PariSanté Campus. Parmi les plus emblématiques, il y a Cibiltech, qui utilise l’intelligence artificielle pour faire de la médecine prédictive pour la transplantation, le dispositif médical Quantiq qui permet de détecter des constantes vitales à partir d’une camera d’un smartphone ou encore Aqemia qui utilise le machine learning pour découvrir de nouveaux médicaments.

De quel constat est parti la création de PariSanté Campus ?

Il est né avant tout d'une volonté d’accompagner la transformation numérique du système de santé. En effet, les acteurs qui portent cette transformation sont souvent très variés et assez segmentés. Entre les industriels et les académiques, les ingénieurs, les mathématiciens et les médecins, les uns et les autres ont parfois du mal à se connaître, se comprendre et travailler ensemble.

L’idée est donc de les rassembler tous dans un même lieu pour faciliter les connexions et casser les silos. C’est un concept qui a été totalement validé pendant la crise du Covid, où on a vu qu’autour d’un objectif commun et urgent, de nombreux acteurs peuvent s’associer et mettre en place un réseau de collaboration numérique pour les patients et le système de santé.

PariSanté Campus est carrément présenté par ses fondateurs comme un « lieu unique au monde ». Pour quelles raisons ?

C’est tout à fait unique de rassembler l’ensemble des expertises en santé numérique dans un seul lieu. Les grands clusters technologiques, comme celui de Boston par exemple, sont souvent à l’échelle d’une ville, mais là nous avons vocation à rendre visible toute la stratégie française.

Au-delà des institutions fondatrices, le campus va regrouper le Health Data Hub et l’Agence du numérique en Santé. Quatre nouveaux instituts de recherche thématiques vont aussi être créés : sur l’intelligence artificielle, l’imagerie innovante, la biologie quantitative et le dernier sur les enjeux sociétaux des données de santé. En 2028, ce site provisoire a vocation à s’élargir pour s’installer sur son emplacement final, dans l'ancien Hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce, sur une surface de 70 000 m2.

En réunissant tout l'écosystème numérique dans un seul lieu, le président de la République entend faire de la France le leader mondial dans le domaine. Est-ce que ça vous semble vraiment possible ?

Ça me semble parfaitement faisable ! On sait que la France est un tissu d’innovation très riche, mais l’enjeu sera de systématiser la rampe de lancement qui a, par exemple, permis à Doctolib de devenir la start-up la mieux valorisée en France. Pour cela, un guichet est mis en place pour aider les porteurs de projets. Devenir le leader mondial est une ambition très dense mais partagée. Je pense que c'est tout à fait possible à l'horizon de quatre à cinq ans.

Comment se positionne la France par rapport aux autres pays, selon vous ?

En fonction des pays, les modèles de développement du numérique sont très différents. Aux États-Unis – comme sur d’autres sujets – la stratégie reste très libérale notamment en termes de données de santé, avec toutes les problématiques d'accès au soin qui en découlent. En Chine, si le gouvernement chinois a une antériorité sur les données moins importante que dans d’autres pays, la stratégie de développement numérique est extrêmement rapide et permet de constituer des bases de données très importantes, avec toutes les limites éthiques et humaines qui s'en suivent…

En France, il est urgent que l'on se positionne sur ces questions, pour définir par exemple comment seront partagées, stockées et valorisées les données. Ce sont des choix sociétaux. Cela peut être une marque de fabrique de la souveraineté française sur ces sujets, un modèle « à la française » de la santé numérique, afin de porter un choix souverain et ne pas être obligé d’appliquer les choix que d’autres ont faits.

Comment imaginez-vous ce modèle français ?

Ce n’est pas à moi de me positionner mais à la société de décider, aux patients et aux professionnels de santé. Je trouve par exemple que les débats parlementaires, même s’ils ont été rapides, sur « TousAntiCovid » ont été très importants. On a vu derrière toute la défiance qu’a générée ce dispositif numérique, les critiques de fichage et d’exploitation des données. Ce sont des éléments qu’il faut entendre et auxquels il faut répondre pour que la société comprenne bien l’apport des stratégies basées sur les données de santé. Il ne faut pas éluder ces questions.

En pleine pandémie, vous étiez le conseiller chargé du Covid-19 auprès d’Olivier Véran. Quelle leçon tirez-vous de la crise quant aux usages numériques ?

Qu’au niveau des professionnels de santé, le numérique est devenu obligatoire et incontournable. Mais aussi que des projets auparavant imaginés sur plusieurs années ont été réalisés en quelques semaines, avec des résultats exceptionnels. C’est le cas du système d’analyse des résultats des tests Covid en laboratoire, Sidep. Je crois que peu de personnes ont vu les prouesses techniques qu’il a fallu pour connecter en moins de trois semaines tous les laboratoires de biologie médicale de France, à un système de centralisation des données. C’est un exemple extrêmement puissant qui montre que la France est dotée de forces très importantes.

Entre la téléconsultation, les dispositifs médicaux connectés et l’intelligence artificielle, la e-santé explose. Quelles sont les applications qui ont le plus d’avenir selon vous ?

À mon avis, ce qu’on va voir à l’avenir, c’est une évolution globale et transversale de toutes ces approches. Il y a une vingtaine d’années, nous avons connu le développement de la génétique, il y a quelques années des heath tech et aujourd’hui celle du numérique. Le plus intéressant sera de combiner les trois : des outils d’édition du génome haut débit, des biotechnologies et toutes les données générées qui pourront être traitées grâce à une intelligence artificielle par exemple. Cette combinaison possède un potentiel d’innovation absolument extraordinaire !

En tant que médecin, que répondez-vous à vos confrères qui craignent une déshumanisation de la médecine à travers le développement du numérique, ?

Justement, l’enjeu de ces outils, c’est de prendre une partie du travail répétitif ou automatisé des médecins et de fiabiliser certains aspects du diagnostic ou du parcours de soins. Le numérique permet de redonner du temps médical, de gagner du temps avec le patient. Certains sont dépassés par l’utilisation des nouvelles technologies et vont se concentrer sur l’outil et non sur son intégration dans une vision globale du soin. Il faut absolument faire en sorte qu’in fine, ces outils aient – en permanence – un impact positif. Et qu'ils ne soient pas un écran entre le patient et son médecin.

Propos recueillis par Léa Galanopoulo

Source : Le Quotidien du médecin