La France a pris cinq à dix ans de retard en termes de e-prescription par rapport à ses voisins européens. « Un retard important à combler », déplore la Cour des comptes dans son rapport annuel sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale, rendu public mardi. Médicament, dispositifs médicaux, arrêts maladie : la rédaction d’ordonnances dématérialisées serait pourtant une source « efficience du système de santé », selon la Cour. Elle rappelle qu’un milliard de prescriptions sont effectuées chaque année, dont la moitié en ville, pour un coût de 57,2 milliards d’euros en 2019.
Pour la Cour, les ordonnances numériques permettraient d'abord de réduire les erreurs médicales liées au format papier. Et d'en finir avec les « difficultés d’écriture inhérentes », sources « d’erreurs de médication ». Autre avantage avancé : booster la prescription de génériques, les logiciels d’aide à la prescription étant calibrés pour une rédaction en dénomination commune. Une recommandation « souvent inappliquée » par les médecins, « alors que l’usage des génériques en France est moindre (une boîte délivrée sur trois contre quatre sur cinq au Royaume-Uni) et qu’il repose principalement sur la substitution par le pharmacien ».
Scruter le prescripteur ?
La Cour des comptes ne cache pas l’autre intérêt économique de la prescription électronique : la possibilité pour l’Assurance-maladie de suivre, dans le détail, l’activité du prescripteur, dans l’optique « d’affiner les actions de maîtrise médicalisée des dépenses ». « Jusqu’à récemment, les représentants des médecins se sont cependant opposés à ce que l’Assurance-maladie acquière, à travers la dématérialisation, des données détaillées sur les prescriptions », tacle la Cour.
Elle prend l’exemple des arrêts maladie. Leur numérisation permet à la CNAM de pointer chaque motif d’arrêt et de vérifier rapidement si leur durée est conforme – ou non – avec les référentiels. La Cour des comptes va plus loin et préconise que « lorsque les pratiques de prescription s’écartent de manière significative de ces durées indicatives, les médecins concernés soient contraints de motiver ces dépassements. Lorsque cette justification s’avère insuffisante, il est également prévu que la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) qui leur est versée soit réduite ».
Si la e-prescription est présentée comme une source « d’efficience », elle reste difficilement chiffrable. La Cour précise qu’à sa connaissance, « l’Assurance-maladie et le ministère de la santé n’ont pas effectué d’études d’ensemble permettant d’apprécier les gains possibles sur ces différents champs. À ce stade, ces gains restent, au demeurant, pour l’essentiel à réaliser ».
54 % des arrêts dématérialisés
Ces dernières années, des mesures plus directives ont été prises pour favoriser les prescriptions électroniques. D’ici au 31 décembre 2021, il sera demandé à tous les médecins de dématérialiser l’intégralité de leurs prescriptions d'arrêts de travail, en application de la loi Buzyn de 2019. En 2014 déjà, des objectifs chiffrés de dématérialisation des avis d’arrêts de travail pour maladie ou maternité avaient été fixés. Faute d’atteinte des cibles, les objectifs avaient été abaissés à 40 % pour 2018, 60 % pour 2020 et 75 % pour 2022. Actuellement, seuls 54 % des arrêts sont dématérialisés.
Autre horizon encore improbable, selon la Cour des comptes : fin 2024, ce sont (presque) toutes les ordonnances qui sont censées être numérisées. « L'objectif affiché semble peu réaliste car les travaux sur la codification des syntaxes des prescriptions, nécessaires pour permettre l'intégration des données de prescription dans les logiciels des professionnels de santé, sont peu ou pas engagés », objecte Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes.
D'autres pays vont plus vite
Des décrets sont attendus pour préciser les contours de cette obligation et accélérer. Depuis les années 2000, la Suède a commencé à déployer à grande échelle les ordonnances digitales, suivie en 2010 par le Royaume-Uni ou encore la Belgique. Elles seront obligatoires, dès l’année prochaine en Allemagne.
En Angleterre, plus de 60 millions de patients étaient enregistrés au registre des prescriptions électronique, selon le NHS. Et « la quasi-totalité des centres de médecine générale (soit 97 %) et des pharmacies (99,8 %) dématérialisent leurs prescriptions », soulève la Cour. Autre exemple en Belgique où, si la prescription dématérialisée est obligatoire, elle fait l’objet d'exceptions. Ainsi, chez les Belges, cette obligation ne s’applique pas aux médecins de plus de 64 ans…
Mode dégradé
La coercition ne fait pas tout. Il faut continuer à inciter les médecins à « e-prescrire », affirme la Cour. L’avenant 9 prévoit qu’en 2023 une valorisation de 40 points du forfait structure sera accordée aux médecins ayant atteint un taux de 50 % de prescription dématérialisée de produits de santé. Encore faudra-t-il ajouter des modules de e-prescription à tous les logiciels métiers…
Aussi, l’échéance de fin 2024 « pourrait encore être atteinte, mais sur un mode dégradé », regrette la Cour. Car l’obligation laissera encore de côté certaines prescriptions : arrêts de travail prescrits en établissements de santé, bons de transport par taxis conventionnés… Pour l’heure, les prescriptions d’arrêts de travail à la fin d’un séjour hospitalier ne sont pas soumises à l’obligation de e-prescription.
Et l'hôpital ?
Sur ces bases, la Cour des comptes recommande d’aller plus loin. En commençant par le fait d'étendre l’obligation de dématérialisation à toutes les prescriptions, avis et courriers. Seconde préconisation : formaliser les références « non commerciales » lors de la e-prescription, pour unifier l’accès aux génériques.
Enfin, la Cour invite à garantir le raccordement des systèmes d’information hospitaliers aux services de prescription électronique de la Sécu, et à permettre le raccordement effectif des professionnels prescripteurs de l’hôpital, souvent mal identifiés.
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