Installé à Angerville-la-Martel (Seine-Maritime), le Dr Jean Méheut-Ferron, généraliste de 65 ans, a été mis en examen en novembre 2019 pour administration de substance nuisible ayant entraîné la mort de personnes vulnérables, sans intention de la donner. Cinq personnes âgées suivies à domicile sont décédées après l'utilisation de l'Hypnovel (midazolam), une molécule réservée à l'usage hospitalier. Cette affaire a provoqué un émoi immense dans la profession et le soutien de nombreux confrères.
Frappé d'interdiction d'exercice depuis fin novembre, le médecin pourrait potentiellement reprendre son activité le 6 mars, c'est-à-dire vendredi, si la chambre d'instruction de Rouen – qui examine l'affaire aujourd'hui même – l'y autorise. En attendant le verdict, il se confie au « Quotidien ».
« LE QUOTIDIEN » : Allez-vous finalement reprendre votre activité à compter du vendredi 6 mars ?
Dr JEAN MEHEUT-FERRON : C'est l'incertitude totale, je retiens mon souffle. Le 10 février, j'ai été entendu pendant neuf heures par le juge d'instruction ! Le 20 février, il m'a envoyé un courrier m'autorisant à reprendre mon activité le 6 mars. Mais dans son courrier, il a aussi indiqué que le parquet n'était pas d'accord et le procureur a en effet fait appel le 21 février...
Je dois donc me présenter le 4 mars [ce mercredi] à la chambre d'instruction de Rouen devant trois juges et l'avocat général. Ce dernier devrait demander le maintien de mon interdiction d'exercice avec probablement le même réquisitoire. Leur avis sera rendu jeudi 5 mars.
Comment vivez-vous cette situation compliquée ?
Même si je me suis préparé depuis un moment, je reste tétanisé. Il y a comme une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Je suis dans un flottement : j'ai l'impression qu'ils vont couper un fil et que je vais tomber. Je passe par des étapes invraisemblables. C'est une souffrance totalement inappropriée.
Je suis arrêté depuis déjà trois mois, c'est long. Si je ne dois pas reprendre, c'est très grave car j’ai déjà puisé un mois dans ma trésorerie. Mais ce serait surtout grave pour les patients qui n'ont plus de médecin traitant.
Dans l'hypothèse où je reprends mon exercice, c’est aussi grave car je vais travailler seul, sans l’infirmière salariée et la secrétaire que j'ai dû licencier. Bref, il y a un ensemble de choses qui m'inquiètent. Il faut retrouver les réflexes, retrouver les patients avec probablement des consultations complexes… Pour moi, ce sera un nouveau challenge.
Comment avez-vous vécu le soutien des patients et de la profession ?
J'ai ressenti une immense joie ! Dès ma garde à vue, le soutien rapide des patients m'a tout de suite enlevé un poids. Puis, j'ai été soutenu par des confrères et par les quatre syndicats. J’aime nous voir unis sur un tel sujet.
En tout cas, ma situation a mis la profession au cœur de la question sur la fin de vie à domicile et j'en suis heureux. Par contre, je trouve injuste les critiques de certains confrères contre l'Ordre des médecins dans cette affaire. Il n'y est pour rien, il doit attendre que la justice se prononce. L’Ordre départemental s’est démené pour me trouver un remplaçant et pour m'aider à remplir le dossier d'entraide confraternelle.
Le 10 février, la HAS a publié des recommandations sur l'antalgie des douleurs rebelles et les pratiques sédatives en situations palliatives. Agnès Buzyn, qui était alors ministre de la Santé, a annoncé que le midazolam serait accessible d'ici à 4 mois en ville. Qu'en pensez-vous ?
La Haute Autorité de santé a sorti un texte très intéressant qui présente l’état de l’art sur la sédation et les douleurs rebelles. On sait que le midazolam est le premier médicament conseillé en première intention pour la sédation chez les personnes en fin de vie. Simple d'utilisation, facile à titrer et ne s'accumulant pas, ce produit est excellent pour les sédations légères et proportionnées. À partir de cela, les médecins généralistes pourront-ils prescrire du midazolam à leurs patients en fin de vie à domicile, hors sédations profondes et continues ? La question reste entière.
Jusqu'à présent, pour les sédations légères et proportionnées, il n'a jamais été dit qu'il fallait une démarche collégiale (prévue pour la sédation profonde et continue). Il n'est pas concevable – ne serait-ce que pour des raisons pratiques – de mettre en œuvre cette démarche collégiale en ville. Comment pourrait-on l'instaurer dans un contexte où on manque de médecins libéraux ? Je précise qu'en 30 ans, je n'ai jamais eu à faire à de sédation profonde et continue.
Quels conseils donner à de jeunes médecins confrontés aux demandes de fin de vie à domicile ?
Un jeune médecin, en remplacement par exemple, peut se sentir très vite dépassé. Pour moi, il doit d'abord prendre connaissance des recommandations de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) et celles de la Haute Autorité de santé (HAS). Je lui dirai aussi d'aller chercher des conseils auprès d'un médecin proche qui a de l'expérience, ou encore auprès d'un service de soins palliatifs.
Pour ma part, je pense que j’ai une façon « hypocratique » de m’occuper de mes patients et donc je me suis toujours opposé à un parcours « fléché » de la mort. Je me suis certainement opposé à une certaine médicalisation de la mort.
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