Dans le cadre de la réflexion sur la fin de vie ouverte par Emmanuel Macron, « Le Quotidien » a souhaité recueillir les avis de son lectorat médical. Vous avez été 596 à participer à notre enquête lancée en novembre. Si la majorité des répondants est opposée à l'euthanasie et dans une moindre mesure au suicide assisté, les médecins restent ouverts au débat.
« Il est urgent de prendre le temps de discuter avec les soignants, on ne pourra avancer qu'ensemble », déclarait le président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), le Pr Jean-François Delfraissy, le 13 septembre dernier, à l'occasion de la publication de l'avis 139, qui esquisse les contours éthiques d'une aide active à mourir. « Certains médecins ont évolué sur la question », estimait-il.
Loin de prétendre à une parfaite représentativité, l'enquête lecteurs du « Quotidien » nuance l'opposition frontale (voire caricaturale) entre un corps médical totalement réfractaire au changement et une société qui aspirerait à l'euthanasie, comme ultime liberté individuelle.
Certes, les lecteurs du « Quotidien » s'avèrent le plus souvent réticents à une évolution radicale de l'encadrement de la fin de vie. La majorité (83 %) estime plutôt que le rôle du médecin est de soulager en ayant recours à la sédation profonde et continue jusqu'au décès, que d'ailleurs 54 % ont déjà pratiquée. Beaucoup disent leur adhésion à la loi actuelle, tout en regrettant qu'elle ne puisse pas être toujours appliquée, faute de moyens.
Euthanasie, 14 % pour ; suicide assisté, 23 %
Seulement une minorité (14 %) considère que le médecin peut réaliser une injection létale. L'euthanasie est perçue comme une contradiction avec le serment d'Hippocrate, une rupture du principe de fraternité, propre à briser la confiance des patients dans le système de soins, une solution cynique et économique aux problématiques soulevées par le vieillissement de la population, ou encore la conséquence d'une médicalisation à outrance de la société, voire d'une idéologie de toute-puissance.
Un quart (23 %) des répondants toutefois accepterait le suicide assisté (via la prescription de la substance létale). Notamment parce qu'il « ne convoque pas les médecins et se met en place ailleurs qu'à l'hôpital », argumente un cancérologue hospitalier spécialisé dans les soins palliatifs. « Il faut distinguer ce qui est de l'ordre du soin (tuer n'est pas soigner) et ce qui est de l'ordre d'une revendication sociétale nouvelle du droit de choisir sa mort dans laquelle le corps médical ne devrait pas avoir à intervenir », écrit une gériatre salariée.
Un point fait consensus (autour de 84 %) : la revendication d'une clause de conscience spécifique, en cas d'évolution vers un droit à une assistance médicale pour mourir. « Face à la forte attente de la population, il faut que la loi protège le médecin dans l'accompagnement qu'il serait amené à faire. Cela doit passer par une clause de conscience spécifique », défendait déjà le président de l'Ordre François Arnault dans nos pages en septembre.
Un corps médical divisé face au changement
Pour autant, les médecins ne sont pas hostiles au débat, ni même fermés à toute évolution. Interrogés sur la pertinence de relancer la réflexion sur les droits des patients en fin de vie, 37 % s'inquiètent, certes, d'une dérive éthique, mais 32 % des lecteurs soutiennent l'initiative du président de la République et 31 % attendent de juger sur pièces, à l'issue des concertations.
Plus de 40 % des lecteurs estiment que le cadre actuel ne permet pas de répondre à toutes les situations en fin de vie et devrait évoluer ; 34 % pensent qu'aucune loi ne peut toutes les apaiser ; et 26 % le plébiscitent.
Être ou non dans les soins palliatifs
Dans le détail, des différences émergent entre spécialités et modes d'exercice. Les professionnels engagés dans des réseaux ou unités de soins palliatifs sont les plus attachés au statu quo : les deux tiers (67 %) jugent le cadre équilibré, contre seulement 49 % des médecins hors soins palliatifs. Seulement 27 % des premiers pensent qu'il doit évoluer, contre 43 % des seconds.
Ces réticences exprimées par les acteurs des soins palliatifs auprès du « Quotidien » résonnent avec un précédent sondage de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap). Selon cette enquête réalisée en septembre auprès de 1 300 personnes (soignants et bénévoles), 90 % saluent le cadre actuel ; seulement 12 % des médecins accepteraient de prescrire un produit létal (soit 11 points de moins que notre enquête), et 6 % envisagent la possibilité de l'administrer (- 8 points). « Plus les médecins sont impliqués dans la fin de vie, plus ils y sont réticents », analyse la présidente de la Sfap Claire Fourcade.
En termes de spécialités, les généralistes et les psychiatres se distinguent par leur ouverture au changement. Ils sont respectivement 37 % et 32 % à estimer que la France est en retard sur les droits individuels, alors que ces proportions tombent à 25 % chez les cancérologues et anesthésistes-réanimateurs, voire à 16 % chez les gériatres. Les généralistes et psychiatres sont aussi les spécialités qui se disent moins réticentes au suicide assisté (autour de 7-8 %). Quant au mode d'exercice, les libéraux semblent plus en demande d'une évolution que les hospitaliers. La moitié des premiers juge la loi actuelle insuffisante ; constat partagé par seulement 37 % des hospitaliers. Eux sont 44 % à craindre des dérives éthiques, contre 31 % des libéraux et 39 % des salariés.
Manque de moyens et de formation
Les lecteurs du « Quotidien » témoignent, pour 58 % d'entre eux, de l'insuffisance des moyens pour accompagner les patients en fin de vie, et citent, en particulier, le manque de temps (65 %), le manque de formation (56 %), le manque d'équipes de référence (46 %) et le manque de rémunération spécifique (28 %). L'insuffisance des recommandations ou de médicaments n'est citée que par 20 % d'entre eux.
Ils sont aussi 60 % à regretter que l'offre en soins palliatifs soit défaillante sur leur territoire, tandis que plus de 55 % rencontrent toujours ou souvent des obstacles lorsqu'il faut hospitaliser (y compris en hospitalisation à domicile) un patient en soins palliatifs - notamment les cancérologues (60 %), les généralistes (58 %) ou les anesthésistes-réanimateurs (68 %).
Seule éclaircie au tableau : plus de la moitié (53 %) des médecins des réseaux ou des unités de soins palliatifs (USP) considère qu'ils disposent de moyens au moins satisfaisants dans leur exercice (versus 40 % hors réseau). Y domine la concertation (à 90 %, versus 56 %), même informelle. « Ayant dû accompagner des enfants en fin de vie à une époque où rien n'était prévu pour eux, je me suis réjouie de la création d'équipe de soins palliatifs pour accompagner les malades et leur famille et surtout pour que le médecin ne soit plus jamais seul à gérer une telle situation », témoigne une pédiatre salariée. Une consœur hospitalière, qui travaille auprès d'enfants polyhandicapés enchérit : « Le réseau de soins palliatifs prépare avec les parents des fiches où est notée la conduite à tenir en cas d'aggravation, ce qui facilite l'adhésion. »
Enfin, selon les médecins, leurs patients connaissent encore mal les nouveaux droits de la loi Leonetti-Claeys ; les directives anticipées et la personne de confiance seraient au mieux connues partiellement par à peine la moitié d'entre eux, ce qui rejoint un sondage BVA pour le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, selon lequel les Français tiennent les problématiques de la fin de vie à distance, repoussant le moment de réfléchir à ses préférences ou encore d'en parler avec son médecin.