LE QUOTIDIEN : Selon notre enquête, une minorité des répondants se dit favorable à l’euthanasie (14 %) et au suicide assisté (23 %). D'un autre côté, 32 % des lecteurs soutiennent l'initiative du président de la République et 31 % attendent de juger sur pièces. Comment comprendre cette ambivalence ?
AGNÈS FIRMIN LE BODO : Ces résultats justifient et légitiment l’ouverture d'une réflexion sur la fin de vie par le président de la République. Ils soulignent la pertinence de réfléchir à plusieurs niveaux en prenant en compte la vision des citoyens mais aussi celle des professionnels. C’est la raison pour laquelle, parallèlement à la convention citoyenne, nous travaillons avec des parlementaires et des soignants (médecins, infirmiers, mais aussi aides-soignants…) ainsi qu’avec les responsables associatifs.
Simultanément à nos travaux, l'Assemblée nationale évalue la loi Claeys-Leonetti et la Cour des comptes mène une évaluation relative aux soins palliatifs.
Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de travail, la volonté du président de la République et de la Première ministre étant que ce débat soit le plus ouvert et éclairé possible et qu’il permette à toutes les situations actuelles d’être envisagées, à la lumière notamment des enjeux identifiés par le Comité consultatif national d’éthique dans son récent avis 139. La Convention citoyenne ainsi qu’Olivier Véran et moi-même fournirons des éléments de restitution de nos réflexions, des propositions, mais c'est bien au Parlement que reviendra in fine le soin de décider des éventuelles évolutions qui mériteraient d’être apportées à la fin de vie.
Avez-vous le sentiment que les médecins ont une position spécifique sur ce sujet ?
Certains médecins sont inquiets de se voir imposer par la loi un acte qu'ils n'auraient pas envie d'accomplir. Cette crainte peut influer sur leur engagement dans la réflexion.
Mais les soignants sont d’abord des citoyens, aux positions diverses, et on ne peut pas dire qu'une grande tendance se dégage. J'ai rencontré des médecins favorables à ce qu'une personne qui souffre ait accès à une aide à mourir si elle en fait la demande. Des médecins généralistes avec lesquels j'ai échangé semblent plus enclins à une ouverture sur le sujet que les médecins qui travaillent dans les soins palliatifs, ou ont, du moins, une position moins tranchée que certains spécialistes.
Un point me paraît toutefois essentiel : celui de ne pas opposer les soins palliatifs et l'aide active à mourir. Le président de la République et la Première ministre souhaitent, à l'occasion de ce débat, accélérer le déploiement des soins palliatifs sur tout le territoire et soutenir les professionnels qui y exercent. L'un ne retire rien à l'autre. Ces travaux sont aussi l'occasion de réfléchir à l'accompagnement des aidants et du deuil, de dialoguer avec les cultes et avec de nombreux acteurs de la société civile… Dans ce débat de société, qu'il faut aborder avec humilité et humanité, toute position doit être entendue, écoutée et respectée. Personne n'a tort ou raison, c’est un exercice essentiel pour notre démocratie.
Les lecteurs du « Quotidien » se plaignent du manque de temps, de moyens et de formation pour accompagner leurs patients. Selon vous, quelles sont les priorités ?
Nous en sommes au cinquième plan de développement des soins palliatifs. Les enjeux de formation des professionnels sont majeurs, comme ceux de l'égalité d'accès à ces soins. Encore une vingtaine de départements n'ont pas d’unité de soins palliatifs dédiée, et certains hôpitaux doivent être accompagnés pour renforcer en leur sein les soins palliatifs. Nous devons aussi réfléchir à l'organisation : faut-il des unités de soins palliatifs partout sur le même modèle, ou doit-on développer davantage d'équipes mobiles, selon les territoires ? Quelle est la place des lits identifiés soins palliatifs (Lisp) ?
J'ai pu me rendre dans 12 centres de soins palliatifs, je sors d'une rencontre avec un patient pris en charge à domicile… J'observe à chaque fois un véritable esprit d'équipe, de l'aide-soignante au chef de service. Et beaucoup d'humanité.
Un autre enjeu consiste à développer la culture palliative. La définition même des soins palliatifs reste méconnue, y compris parfois du monde médical.
Comment diffuser cette culture ?
Au-delà des campagnes régulières du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), cette réflexion nationale, inédite, est l'occasion de parler de ces sujets et de notre rapport à la mort. Dans ce cadre, nous avons constitué un groupe d'experts autour d'Erik Orsenna pour rendre accessible et partager le vocabulaire de la fin de vie et mettre des mots sur ce qui est source de maux. Notre société peine à voir la mort en face ; mais la crise sanitaire durant laquelle le sujet a été évoqué chaque jour a pu faire évoluer notre regard.
« Il ne faut pas opposer les soins palliatifs et l'aide active à mourir »
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