LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Dans le cadre de l’affaire Vincent Lambert, le Dr Kariger a respecté au cordeau la loi de 2005 qui porte votre nom. Pourtant le feuilleton judiciaire n’en finit pas.
Dr JEAN LEONETTI : La procédure adoptée par l’équipe médicale n’a jamais été contestée. On peut même dire qu’en terme de collégialité, le Dr Kariger est allé au-delà de ce qu’on lui demandait.
Deux questions se posaient : est-ce que Vincent Lambert a des lésions cérébrales graves et irréversibles ? A-t-on exploré toutes ses volontés ?
Le Conseil d’État a commandé une nouvelle expertise médicale - qui montre que les lésions cérébrales se sont aggravées - et plusieurs avis, dont le mien, qui se sont accordés sur ce qu’est l’obstination déraisonnable : des traitements inutiles, disproportionnés, ou qui n’ont d’autres effets que le maintien artificiel de la vie. Vincent Lambert s’inscrit dans le cadre de la loi de 2005, qui dit que le traitement peut être suspendu - non « doit être ». Entre en jeu ensuite le respect de sa volonté, grâce au recueil de l’avis des proches, sans hiérarchie : on ne leur demande pas leur avis personnel, mais de témoigner de ce que Vincent aurait voulu. La décision du Conseil d’État est étayée et argumentée mais ne fait pas jurisprudence.
Vous avez témoigné au procès de l’urgentiste Nicolas Bonnemaison en dénonçant des pratiques illégales, sans pour autant requérir la prison ou estimer qu’il est un assassin. Pourquoi ?
Le Dr Bonnemaison a enfreint la loi pénale française, et la loi du monde. D’aucuns ont voulu faire de ce procès celui de l’euthanasie. Celle-ci, légalisée en Hollande ou en Belgique, suppose que le patient réclame la mort. Or nul pays n’a légiféré sur la mort de quelqu’un qui ne le demande pas.
L’acquittement du Dr Bonnemaison ne vaut pas validation de son acte. C’est l’acquittement d’une personne qui dans des circonstances très particulières, a commis ces actes. Ce qui a pesé dans le verdict des jurés est l’absence d’intentionnalité mauvaise, sa sincérité, sa personnalité fragile et attachante, et l’imminence de la mort de ses patients.
Cela ne dédouane pas le corps médical de ses obligations déontologiques ; il ne faudrait pas en conclure qu’un soignant peut donner la mort clandestinement, solitairement. C’était la médecine d’il y a 40 ans, où les médecins vivaient avec la toute puissance des cocktails lytiques. Rien n’était permis : l’illégalité était la règle.
Le Premier ministre Manuel Valls vous a chargé de préparer un nouveau texte sur la fin de vie d’ici le 1er décembre 2014. Quels sont vos axes de travail ?
Le premier concerne la formation des médecins. Les soins palliatifs ne se résument pas à la compassion : il faut de la technicité, faire un travail pédagogique sur soi-même et sur les moyens techniques dont on dispose, pour ne plus assister à des dérives comme l’acharnement thérapeutique ou l’euthanasie, surtout dans un contexte où la population ne tolère pas les longues agonies permises par les progrès de la médecine. Dans tous les services où l’on meurt, des lits identifiés soins palliatifs sont identifiés : une compétence doit venir s’y adosser, qui ne relève pas de la seule conscience d’un médecin. Sinon, quelle serait l’égalité des citoyens devant la loi !
Le deuxième axe vise à rendre les directives anticipées plus opposables, sans être contraignantes. En Allemagne existe une distinction entre les directives anticipées générales, pour les bien portants, et des directives spécifiques en cas de pathologies, qui demandent un engagement solidaire de la part du corps médical sur des points précis. Celles-ci pourraient avoir un degré d’opposabilité plus fort.
Enfin le dernier sujet est celui de la sédation terminale. Nous avons déjà répondu en 2005 oui à la question : est-ce que je peux pour soulager le malade raccourcir sa vie. Ce double effet est facile à mettre en œuvre quand le patient est conscient.
Une deuxième question est : dans quelles circonstances puis-je abréger la vie ? L’article 37.3 du code de déontologie précise que lorsqu’un arrêt de traitement a été décidé, le médecin met en place un traitement approprié (antalgiques et sédatifs) « même si la souffrance du patient ne peut pas être évaluée du fait de son état cérébral ». Mais à quelles doses met-on la morphine et Hypnovel ? Quand le malade est inconscient et cérébrolésé, considère-t-on qu’il ne souffre pas, ou garantit-on qu’il ne souffre pas en poussant les doses ? Je penche pour cette deuxième option. Mais immanquablement, vous accélérez le processus de mort ; c’est une façon de la donner. On n’est pas seulement dans le double effet, mais dans une double intentionnalité. Est-elle acceptable ? Il faut affronter ce problème borderline. Je ne suis pas bloqué sur ce sujet. Il n’est pas anormal de privilégier le confort sur la durée de la vie.
Vous ouvrez donc la porte au « faire mourir » ?
Quand vous arrêtez un respirateur ou l’AHA, vous respectez le faire mourir mais vous êtes dans l’ambiguïté, car vous ne pouvez pas ignorer que cela aboutit à la mort. Même si éthiquement, c’est différent, les gens comprennent mal que 3 semaines après l’arrêt des traitements de survie, on ne sache pas quand la mort va survenir. Il faut explorer cette zone grise et répondre aux attentes des citoyens.
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