Dégradation des conditions d'accueil, pénurie de moyens, pressions sécuritaires

La santé des exilés en danger

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Publié le 11/09/2017
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Des pathologies infectieuses et des épidémies qui minent les anciens camps de Calais et de Grande-Synthe ; des violences et traumatismes ; des troubles psychiques graves ; un risque accru de décès maternels ; l'insécurité alimentaire… Le « BEH » de Santé publique France sur la santé des migrants révèle une situation sanitaire « préoccupante » ; « un enjeu de société », écrit le Pr François Bourdillon dans son éditorial

Sur le terrain, les associations humanitaires dénoncent la dégradation des conditions d'accueil des exilés, avec des répercussions directes sur leur santé. Depuis le démantèlement des camps de Calais et Grande-Synthe, « les gens se terrent dans les bois comme des bêtes. C'est indigne », déplore le Dr Richard Matis, vice-président de Gynécologie sans frontières (GSF), une ONG qui repose essentiellement sur des financements privés. Loin d'avoir réduit leurs interventions, la disparition des campements les a compliquées. « Nous n'avons plus de point fixe. Nos camionnettes doivent se coupler avec les maraudes alimentaires. Moins confortable pour tout le monde. Mais nous continuons à faire du suivi gynécologique et à amener les femmes à l'hôpital, et faisons de la bobologie sur place pour les hommes », explique le gynécologue. Pas possible, en revanche, de conduire ces derniers dans les permanences d'accès aux soins de santé (PASS) de Calais ou Dunkerque. 

Le manque des moyens, du droit commun (PASS, CMP, hébergements) et des associations, rend difficile l'hospitalité de l'accueil. « Je me souviens d'un migrant qui a souffert d'une fracture à la rotule pendant 3 semaines, car personne n'a pu l'emmener à l'hôpital. Les bénévoles sont démunis, les PASS sont surchargées », rapporte Corinne Torre, chef de mission France de Médecins sans frontières (MSF). Calais, Briançon, la Roya : « Trop souvent, les pouvoirs publics sont absents. Les soins dépendent alors des ONG, qui ne sont plus seulement un relais vers le droit commun », observe Nathalie Godard, de Médecins du monde (MDM). « Nous sommes toujours sur le fil : il faut réagir à l'absence de l'État, sans prendre les devants », poursuit-elle. 

Mise en danger, pression sécuritaire

Ces dernières semaines, les ONG ont multiplié les alertes concernant la hausse de la pression sécuritaire, qui entrave leur action. Selon MDM, fin août, peu après la 35e opération de « mise à l'abri » (i.e. dispersion du camp, cette fois autour du centre de premier accueil de la Chapelle) les forces de l'ordre ont demandé aux équipes soignantes du camion médicalisé de se déplacer, « pour éviter les points de fixation ».

Surtout, cette « chasse à l'homme » (les mots sont de MDM) et la volonté de remiser les exilés dans l'invisibilité, se révèlent dangereuses pour les migrants, assurent les associations. « Les migrants ont des blessures liées à leurs conditions de vie et d'hygiène. Ils dorment habillés, leurs pieds sont couverts de plaies ; en outre, ils se blessent lorsqu'ils fuient en courant les forces de sécurité » à Calais, et dans tout l'hexagone décrit à son tour Corinne Torre. Mi-août, deux migrants ont chuté d'une falaise près de Briançon, en fuyant les forces de l'Ordre. 

Elles s'alarment aussi du sort réservé aux mineurs isolés, qui continuent à subir des tests osseux lorsqu'ils font appel d'une non-reconnaissance de leur minorité, un recours qui prend d'un à plusieurs mois, délai au court duquel ils ne sont pas protégés.  

Les ONG interpellent l'État sur la nécessité d'une politique migratoire pérenne avec davantage de centres. « La multiplication des dispositifs comme les centres d'accueil et d'orientation (CAO) n'est pas une réponse globale. Il faut que les exilés soient pris en charge dans le droit commun, dans des dispositifs pérennes », plaide Nathalie Godard (MDM). Et MSF de fustiger la complicité de l'Union européenne, dans le renvoi des migrants en Libye.

Des soins malgré tout

En attendant, malgré les contraintes, malgré l'insuffisance des moyens, des soignants de tous bords (associations, service public, etc.) bataillent pour prodiguer du soin de qualité. Comme dans le centre humanitaire qui a ouvert en janvier dernier à Ivry-sur-Seine, pour les femmes et familles, où travaillent des associations (notamment GSF), mais aussi les psychiatres et pédopsys du pôle précarité du GHT Paris-Psychiatrie, ou encore le Samusocial de Paris (un groupement d'intérêt public – GIP). « Nous travaillons en réseau. Depuis plusieurs années nous avons noué des conventions avec les PASS de Paris et de ses petites et grandes couronnes. Nous y orientons seulement les cas graves pour ne pas les surcharger », dit le Dr Abdon Goudjo, directeur du pôle médical et soins du Samusocial ; Il cite également les partenariats avec la PMI du Val-de-Marne, la maternité de la Pitié-Salpétrière, le CHIC de Créteil… « On a pu suivre depuis janvier, 103 grossesses, 21 naissances. On peut orienter vers l'hôpital public pour permettre à ces femmes d'accoucher dans les meilleures conditions », note-t-il.

« Comme les personnes restent plusieurs mois, nous pouvons mettre en place un suivi, des psychothérapies, des groupes de parole, on peut prescrire et orienter. Un lien de confiance peut se tisser, qui contrebalance l'horreur des parcours des exilés », salue aussi le Dr Alain Mercuel, chef du pôle précarité, tout en rappelant l'importance des interprètes. Ses équipes sont aussi présentes dans le CPA de La Chapelle. Le bilan y est plus mitigé : « Les migrants ne restant que 10 à 12 jours, on ne peut faire que du repérage et du dépistage précoce, hospitaliser le cas échéant, et écrire des lettres pour l'aval », décrit-il. 

Mais revient alors implacablement la question de l'aval. Où le manque de moyens humains et financiers reste lancinant. « Le plan du gouvernement pour les migrants ne résout rien. Il aurait fallu proposer la mise en place de cinq à dix centres de premier accueil un peu partout en France pour éviter aux migrants de dormir dehors, les nourrir et apporter une réponse à leurs problèmes de santé », a réagi le Défenseur des droits Jacques Toubon à l'annonce, fin juillet, du plan d'Emmanuel Macron sur les migrants. 

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9600