Reportage au centre cardiopédiatrique Cuomo de Dakar

L'humanitaire soucieux de ce qui reste après lui

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Publié le 08/06/2017
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Crédit photo : Coline Garré

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« On déclampe… et on réchauffe ». Les gants blancs du Dr Virginie Fouilloux malaxent le cœur pour qu'il reparte tout seul. Le petit muscle plongé dans la cavité reçoit une vague de sang, rougit, reprend vie.

« On ventile ! » lance Amina, chirurgienne en fin de formation. À la tête du malade, le Dr Sophie Arnaud, l'œil aiguisé par des années d’expérience, scrute l'appareil d'échographie, aux côtés de Marie-Victoire, son homologue anesthésiste réanimateur sénégalaise. « Il y a trois bulles d'air », compte-t-elle. Les doigts replongent. « Parfait, elles sont aspirées. Belle récupération », félicite chaudement le Dr Arnaud. « On pose la CEC », disent en chœur les chirurgiennes, tandis que Sophie et Marie-Victoire discutent de la dose de protamine nécessaire à normaliser la coagulation.

« On va te faire une cicatrice, on va réparer le cœur. Ça va bien se passer et tu seras guéri », avait glissé Virginie Fouilloux, sourire tendre et complice, à Oumar, 9 ans, atteint d'un canal atrioventriculaire partiel, avant de rentrer dans le bloc et revêtir son visage impassible, professionnel. Le lendemain, rectangle blanc du haut de l'abdomen jusqu'à la base du cou, Oumar ouvre les yeux. Et sourit.

Presque une opération de routine. À ceci près qu'elle s'est déroulée au centre CUOMO. Ce carré blanc posé sur la terre rouge du CHU de Fann, troué d'un patio où courent les plantes grasses, est, avec ses 2 blocs ultramodernes, 10 lits de réanimation, tout autant d'hospitalisation, 2 salles d'échographie et 4 box de consultation, l'unique structure de cardiopédiatrie de toute l'Afrique de l'Ouest. Les besoins sont immenses. Près de 1 000 enfants auraient besoin d'être opérés chaque année selon le Pr Mouhamadou N'Diaye, à l'origine du projet avec le Pr Deloche (voir encadré). La première opération a eu lieu le 16 janvier. Quelque 120 dossiers complets attendent. Les spécialistes sénégalais sont peu nombreux, et débordés par la chir cardiaque adulte.

Alors depuis cinq mois, les missionnaires de la Chaîne de l'espoir viennent opérer et former leurs homologues africains. C'est d'ailleurs Amina qui a cousu le patch fermant la CIA (communication interauriculaire) du cœur d'Oumar. D'origine Marocaine, la jeune femme a fait toutes ses études de médecine au Sénégal, à l'exception d'une année… à la Timone de Marseille. 

Précision, rigueur, anticipation

« Nous ne sommes pas des cowboys ». L'équipe de la Timone incarne une médecine humanitaire rigoureuse et réfléchie. « Avec un fil et un porte-aiguille, on peut réparer beaucoup de cœurs. Mais comment va évoluer l'enfant ? Devra-t-il être repris ? Quelle sera sa qualité de vie ? » s'interroge le Dr Fouilloux. La volonté d'opérer le plus d'enfants possible est mise en balance avec la sécurité. Un principe : laisser des enfants guéris, surtout que la mission marseillaise est la dernière avant l'automne.

De la sélection des dossiers à la réanimation post-opératoire, puis la sortie en hospitalisation, chaque décision, chaque geste, chaque phrase est pesée. En réunion de staff, après avoir revu les petits patients avec le cardiopédiatre, les Dr Fouilloux et Arnaud évaluent les bénéfices risques d'une intervention, s'assurent des bilans, de la disponibilité des poches de sang, du matériel à disposition, anticipent les éventuelles complications. Un retour veineux pulmonaire anormal demande une diminution de la température du patient plus importante que d'ordinaire ? Réanimateurs, anesthésistes et perfusionniste locaux ont droit à un cours particulier, schéma à l'appui. « C'est rare, mais pas extraordinaire », encourage le Dr Fouilloux. Pour une autre opération plus délicate sur un très petit poids, l'évacuation sanitaire est proposée.

Au bloc, les Marseillaises distillent leurs conseils, en impressionnistes. « La canule, pas trop verticale, c'est un piège », souffle la chirurgienne à Amina. Elle suggère un instrument plus fin pour coudre : « Il vaut mieux faire davantage de points, doucement, et avoir un enfant qui récupère bien », souligne-t-elle. « La chirurgie cardiaque pédiatrique, ce sont 1 000 petits détails à assurer, car les conséquences de ce qu'on fait peuvent être terribles, surtout quand on descend dans les petits poids », explique-t-elle. « Comment faîtes vous pour ça ? », demande de l'autre côté du champ le Dr Arnaud à Marie-Victoire. « Je propose, elle dispose », commente-t-elle.

En réanimation, les infirmières sont mues par la même volonté de transmettre, sans brusquer. Suggérer sans imposer. Partager leurs fiches de transmission, calculs de doses et échelles de la douleur, sans vexer. « Je suis impressionnée par l'écoute qu'ils ont, par leur désir d'apprendre », témoigne Sylvie Gonzalez, infirmière anesthésiste. « Ça doit être difficile de voir passer des équipes et façons de faire différentes chaque semaine », avance le Dr Arnaud.

Elles n'éludent aucune question. « On peut se demander quel est le sens de faire de la chirurgie de pointe dans un pays où la majorité de la population peine à accéder aux soins. Pourquoi nous, missionnaires, allons opérer à l'étranger des cardiopathies auxquelles nous sommes moins habitués (rhumatismales ou vieillies) ? Et en miroir pourquoi l'on forme des internes sur des cas moins fréquents dans les pays où ils exerceront ? », égraine le Dr Fouilloux. Les Marseillaises évoquent la métaphore de la goutte d'eau dans le désert…

« C'est bien de travailler avec des missionnaires qui nous laissent faire, tout en nous expliquant leurs trucs et astuces », assure Marie-Victoire. Et ses cheveux tressés de danser au rythme de son rire. « C'est une chance d'avoir pu opérer avec Virginie à mes côtés », dit Amina, admirative. Plus sobre, les traits tirés, le Dr Étienne Sene, réanimateur, salue lui aussi la présence des missionnaires, grâce à laquelle il a pu élargir la palette de ses compétences. Ses espérances se portent ailleurs désormais : sur la capacité du CHNU Fann à faire tourner ce centre. 

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9587