Dr Loris De Filippi, président de MSF Italie

Médecins sans frontières doit conserver son indépendance

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Publié le 21/09/2017
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FILIPPI

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LE QUOTIDIEN : Pour Bernard Kouchner, MSF n’aurait jamais du se retirer de la mer Méditerranée et négocier le contenu du code de conduite imposé aux ONG par les Italiens. Que répondez-vous ?

LORIS DE FILIPPI : MSF a toujours revendiqué son indépendance, son impartialité et sa cohérence. Le code de conduite prévoit la présence à bord de policiers armés ce qui est contraire à notre vision de l’humanitaire. Le signer aurait voulu dire renoncer à nos principes. Nous sommes présents dans 65 pays et nous n’avons jamais accepté une présence armée. Autre fait important : nos opérateurs en mer ont été menacés par les gardes-côtes libyens qui bloquent les départs de migrants depuis le mois d’août. Il est évident qu’au premier signal et il ne saurait tarder, je pense par exemple à un exode important, nous positionnerons à nouveau nos navires en mer Méditerranée pour sauver le plus de personnes possible.

Mais quitter la mer Méditerranée ne veut pas dire enfreindre votre principe le plus important qui est de sauver des vies humaines ?

Pour MSF, participer à la mise en place d’un système gouvernemental chargé d’organiser des secours en mer est véritable difficile. Cela veut dire faire partie d’un projet politique. Nous pouvons collaborer mais en toute indépendance. C’est le prix que nous devons payer pour être crédible. En l’état actuel, l’Italie soutient le système mis en place en Libye dans les centres et l’Europe soutient cette politique qui permet de réduire le nombre de débarquements de migrants. Ceci est inacceptable car tout le monde sait ce qu’il se passe en Libye. Aujourd’hui, les viols, les tortures, les abus, le racket, sont cautionnés par le gouvernement italien et l’Europe qui approuve la politique de la fermeté. Comment pouvons-nous accepter et entériner cela ?

Quelles solutions proposez-vous ?

Tout le monde savait que la mort du colonel Kadhafi aurait provoqué une situation de chaos et donc un exode important d’autant que la Libye est un lieu de passage. Il aurait d’abord fallu stabiliser la situation en utilisant les caques bleues par exemple puis sécuriser le pays et relancer les moteurs et après penser aux politiques d’accueil. Nous ne sommes pas contre le fait que les gens restent en Libye mais il faut gérer la situation. Il y a officiellement une quarantaine de centres de détention sur le terrain, probablement beaucoup plus. Le gouvernement italien veut débloquer 6 millions d'euros pour aider les ONG à entrer dans les centres en Libye et améliorer la situation. Une goutte d’eau lorsqu’on sait que MSF a signé un chèque de 10 millions d'euros l’an dernier pour ces centres.

Vous affirmez que les ONG ont été criminalisées. Quelle est le but de cette opération ?

Depuis plusieurs mois, MSF et les autres ONG ont été accusées de collusion avec les trafiquants. Il se pourrait que des personnes appartenant aux ONG aient eu une vision plus excessive et qu’elles aient estimé que le sauvetage de vies humaines pouvait passer par un contact ou une prise de contact. Mais si c’est le cas, les ONG en tant qu’organisation n’ont rien à voir avec cela. Cette campagne dénigrante nous a porté préjudice sur le plan financier, les dons ont baissé. C’est dramatique car cela remet en question l’existence des ONG et leur force d’intervention. Les sauvetages en Méditerranée représentent 1 % de nos activités à l’échelle mondiale. C’est beaucoup mais c’est peu. Notre action dans le monde est essentielle sur le plan humain en Afrique comme partout ailleurs. Nous affaiblir, c’est affaiblir notre force d’intervention auprès des populations qui ont besoin d’aide.

Propos recueillis par notre correspondante Ariel F. Dumont

Source : Le Quotidien du médecin: 9603