• Les conditions actuelles de la recherche
Actuellement, la recherche sur l’embryon ne peut s’effectuer en France qu’à titre dérogatoire, dans des conditions très strictes définies par la loi de 2004. C’est l’Agence de la biomédecine qui est chargée de délivrer les autorisations de recherche et d’en contrôler leur mise en uvre.
Les chercheurs doivent montrer, d’une part, que leurs travaux sont « susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs » etqu’aucune « méthode alternative d’efficacité comparable » n’existe. Aujourd’hui, un consensus s’est dégagé sur la complémentarité des recherches concernant les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes. Les chercheurs doivent, d’autre part, mener leurs travaux sur des embryons surnuméraires conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation (AMP), ne faisant plus l’objet d’un projet parental, ou sur des embryons porteurs d’une anomalie détectée après un diagnostic préimplantatoire (DPI). Et la loi indique que les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation.
Ces conditions étant posées, quelle est la réalité de la recherche sur l’embryon ? Il a été beaucoup question, ces dernières années, de la recherche sur les cellules souches embryonnaires et des futures perspectives de la thérapie cellulaire. Étonnamment, la recherche concernant l’embryon lui-même n’a pas fait l’objet du même engouement médiatique. Selon le bilan d’application de la loi de bioéthique effectué par l’Agence de la biomédecine à la fin de 2008, sur les 28 laboratoires français engagés dans les 43 projets de recherche en cours, seulement trois travaillent sur l’embryon.
« Le principe même de la recherche sur l’embryon s’appuie sur deux concepts différents, résume le Pr Dominique Royère, membre du conseil d'orientation de l'Agence et chef du service de biologie de la reproduction au CHU de Tours. Le premier concept est celui qui permet, dans une approche cognitive, d’investiguer, à partir de cellules souches embryonnaires, l’évolution de lignages tissulaires et d’appréhender de cette manière les modalités des différenciations cellulaires. » Dans ce cadre, les chercheurs observent le démontage de certains mécanismes de maladies spécifiques à l’homme comme, par exemple, l’amyotrophie spinale. « Si on arrive à démonter correctement certaines maladies, on peut trouver des facteurs susceptibles de modifier la fonction affectée par la maladie et, à ce moment-là, à l’aide de peptides, on peut imaginer avoir une influence le plus tôt possible. Il s’agit d’une véritable approche médicamenteuse. »
Le deuxième concept s’intéresse à l’embryon pour lui-même. « Ce volet est loin d’être négligeable, non pas dans la perspective de savoir quels vont être les éléments clés du développement futur de l’organogenèse, non pas pour essayer de trouver les déterminants de telle pathologie, mais pour s’intéresser à l’embryon et à son devenir ».
• L’embryon et l’AMP
Pourquoi intégrer l’embryon dans le champ médical et scientifique comme aujourd’hui tout individu dans le cadre d’une recherche biomédicale, du ftus au vieillard ? Principalement pour répondre à la demande des couples, de plus en plus nombreux, qui font appel à la procréation médicalement assistée. Bien que les techniques d’AMP se soient améliorées depuis trente ans, elles restent encore trop peu performantes, comme l’explique le Dr Patrice Clément, président de la Fédération des biologistes des laboratoires d’études de la fécondation et de la conservation de l’uf (BLEFCO). « Si vous reprenez le déroulement des FIV, sur 100 ovocytes prélevés, à peu près 60 % sont fécondés. On perd déjà 40 % d’ovocytes, pourtant matures sur un plan nucléaire. Sur les 60 embryons obtenus, on en a environ 20 à 30 qui sont de bonne qualité. Ce résultat, on peut sûrement l’imputer en partie aux gamètes que l’on utilise pour former ces embryons, aux milieux de culture, aux techniques de FIV, aux problématiques de température... Et sur ces 30 embryons formés, entre 10 et 15 vont s’implanter. Si nous voulons améliorer nos résultats en FIV, il est nécessaire d’étudier toutes ces étapes. »
À l’heure actuelle, indique le Pr Royère, « la recherche sur l’embryon est abordée selon la méthode qui consiste à définir et disposer d’outils d’évaluation non invasifs afin de prédire, dans une certaine mesure, la capacité de l’embryon à se développer ». Les chercheurs ont pu appréhender ainsi la morphologie, le métabolisme et un certain nombre de mécanismes comme la maturation de l’ovocyte. « Ce sont tout un ensemble de techniques qui ont pour particularité d’avoir ce substantif en -omique : la protéomique, la transcriptomique, la métabolomique... Ces approches sont contributives mais il reste le fait que l’embryon lui-même ne fournit pas, par ce moyen-là, toutes les informations qui permettent de préjuger sa capacité de développement. Globalement, les approches qui sont nécessaires par rapport aux problèmes qui sont posés nécessitent d’être invasives », assure-t-il. L’objectif de cette approche cognitive et thérapeutique est de mieux maîtriser l’AMP.
Au-delà, le Pr Royère pose le problème en terme d’économie de santé. « Si on peut arriver à définir des conditions qui puissent rendre possible de prédire - faisons une hypothèse - à 80 % les chances d’implantation d’un embryon, les conséquences sont très importantes car elles conduiront à obtenir de meilleurs résultats que les 20 % de grossesses obtenus aujourd’hui. Cela engendrera forcément des économies en ce qui concerne le nombre de tentatives et le coût global que représente l’arrivée d’un enfant. Par ailleurs, il nous sera plus facile de convaincre les couples de ne transférer qu’un embryon, avec pour conséquence la réduction des grossesses multiples à risque et des séjours en néonatalogie pour les prématurés. »
• Les projets autorisés et les autres
L’Agence de la biomédecine a autorisé trois projets portant sur l’ovocyte et l’embryon préimplantatoire. L’un explore les mécanismes de régulation de la ségrégation chromosomique dans l’ovocyte et l’embryon préimplantatoire, dont les anomalies sont en cause dans les échecs de FIV et s’accroissent avec l’âge des femmes. Le deuxième analyse les changements épigénétiques au cours du développement préimplantatoire et le troisième étudie l’impact des mutations de l’ADN mitochondrial dans certaines pathologies de l’embryon.
Pourquoi si peu de projets ? « Le faible nombre de demandes d’autorisation de recherches sur l’embryon pour son développement propre est sans doute lié à l’impossibilité de faire le lien entre la capacité de l’embryon de se développer in vitro et celui de s’implanter in vivo », répond l’Agence. En France, explique le Pr Royère, la technique de l’ICSI (fécondation avec micro-injection) n’aurait pas pu être développée. C’est un biologiste belge, qui, accidentellement, a percé la membrane de l’ovule en faisant pénétrer un unique spermatozoïde dans le cytoplasme. Cette manipulation involontaire a conduit à une fécondation, puis à la naissance d’un enfant en 1992. S’il avait été français, Gianpiero Palermo n’aurait pas pu transférer l’embryon. « Il aurait dû valider cette technique d’abord sur un modèle animal, précise le Pr Royère. Or, le développement de l’ICSI a été plus compliqué chez l’animal », voire inopérant, comme dans l’espèce équine. « Ce qui est sûr, ajoute-t-il, c’est que toute méthode qui aboutit au transfert de l’embryon doit avoir pour règle d’or l’évaluation. »
Dominique Royère donne un autre exemple plus actuel, celui d’une équipe australienne, qui, grâce à une approche expérimentale sur des embryons, a pu évaluer le profil d’expression des embryons selon qu’ils allaient ou non s’implanter. « Cette équipe a prélevé quelques cellules du trophectoderme qui constituera le placenta, sans que ce soit dommageable pour l’embryon, de façon à examiner, sur ces cellules, la transcriptomique (l’essentiel des gènes qui s’expriment). En comparant le blastocyste qui va s’implanter à celui qui va échouer, on peut alors faire le lien entre la grossesse obtenue et l’embryon implanté. On va pouvoir identifier un certain nombre de gènes qui se trouveraient préférentiellement sur ou sous-exprimés dans l’une ou l’autre des situations. Cette recherche offre donc un certain nombre de pistes pour dire qu’il semble bien que tel ou tel gène, ou famille de gènes, ou mécanismes, soient impliqués et conditionnent pour une part les chances d’implantation d’un embryon. En France, conclut-il, une telle recherche est actuellement impossible. »
• Les pistes de travail
Pour l’Agence de la biomédecine, la révision de la loi pourrait être l’occasion de « s’interroger sur l’interdiction de réimplanter tous les embryons soumis à une quelconque recherche quel que soit le traitement auquel il aura été exposé. Cette interdiction fait que l’embryon apparaît comme exclu de la recherche pour lui-même et de la recherche clinique en particulier ». Un dispositif transitoire, dans l’attente de la révision de la loi, est en cours de définition entre l’Agence française des produits de santé (AFSSAPS) pour permettre l’autorisation des essais cliniques sur l’embryon. « Cependant, si ce type de recherche est permis, le transfert à des fins de gestation est nécessaire pour apprécier l’apport de la recherche, et la loi doit alors être révisée », conseille l’Agence. « Ce n’est pas de l’eugénisme, mais au contraire, on veut donner les meilleures chances à l’embryon de s’implanter et de se développer, sans sélection », affirme le Dr Patrice Clément. « Il ne s’agit pas de modifier la structure de l’embryon ni de lui porter atteinte. Songez qu’il suffirait peut-être, par exemple, de modifier les milieux de culture pour améliorer le taux de succès des FIV ». Alors que le recours à l’AMP s’accroît, le sujet mérite à tout le moins réflexion : c’est une question de qualité de soins.
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