Le laboratoire Novartis n'aura finalement pas attendu l'audience publique. Face à l'opposition lancée en juillet dernier par Médecins du Monde et l'association suisse Public Eye à l'encontre de l'un des brevets protégeant ses CAR-T cells Kymriah, le laboratoire helvétique prend les devants et renonce de lui-même à son brevet.
Kymriah reste protégé par d'autres brevets et son exploitation commerciale n'est donc pas en péril. Mais Médecins du Monde veut voir dans cette décision une confirmation de ce que l'ONG affirme depuis l'arrivée du sofosbuvir contre l'hépatite C : beaucoup de brevets déposés par les laboratoires reposent sur des dossiers fragiles qui ne justifient pas les prix des médicaments.
Kymriah est une thérapie génique par CAR-T cells : un produit à prise unique à partir des lymphocytes T du patient, extraits par leucaphérèse puis modifiés génétiquement pour exprimer un récepteur antigénique chimérique (CAR) ciblant le complexe protéine CD19 présent à la surface des cellules tumorales. Il est indiqué dans le traitement de la leucémie aiguë lymphoblastique chez les patients âgés de moins de 25 ans et dans les lymphomes diffus à grandes cellules B.
Le brevet contesté par Médecins du Monde est le EP3214091, qui protège plusieurs composantes du récepteur antigénique chimérique : le domaine capable de se lier à la cible CD19, la région de signalisation co-stimulatrice 4-1BB, et le domaine zeta du complexe protéique CD3.
En l'espèce, les plaignants estiment que le brevet revendique des caractéristiques qui ne figuraient pas dans la demande initiale : le domaine de liaison au CD19 et la région 4-1BB, l'efficacité sur un cancer résistant à au moins un agent chimiothérapeutique et la génération d'une population de cellules T génétiquement modifiées et persistantes. En outre, aucune des données cliniques fournies à l'Office européen des brevets ne démontre que Kymriah est efficace dans le cancer en général, comme cela est indiqué dans le texte final.
Débat d'antériorité
Mais l'argument le plus saillant est celui du manque d'inventivité. La demande de brevet a été déposée en décembre 2011, alors que des publications de l'équipe du Dr David Porter (université de Pennsylvanie) datant du mois d'août de la même année suggéraient déjà l'efficacité des CAR-T cells dans l'indication de la leucémie lymphoblastique. D'autres publications plus anciennes figurent dans le mémoire d'opposition, en particulier une étude chez la souris publiée en 2009 dans le « Journal of the American Society of Gene Therapy ».
Pour Théo Brigand, coordinateur du plaidoyer « prix des médicaments et systèmes de santé » chez Médecins du Monde : « Selon notre avocat, Novartis a tenté d'ajouter des activités inventives non présentes dans les articles pour le brevet européen, notamment la caractéristique “dans lequel l’humain est résistant à au moins un agent thérapeutique chimique” et une autre concernant des séquences sur le CAR. Nous opposons que cela découle de manière évidente de l'état des connaissances et des articles préalablement publiés. »
Des brevets parfois fragiles
Lors de précédentes tentatives de Médecins du Monde pour contester les brevets protégeant le sofosbuvir du laboratoire Gilead (le premier date de février 2015), ce dernier s'était défendu devant le bureau européen des brevets. Novartis n'a pas fait ce choix et s'en explique auprès du « Quotidien » : « Novartis et l’Université de Pennsylvanie sont convaincus de l’importance des droits de propriété intellectuelle en faveur d’innovations de rupture telles que Kymriah. Néanmoins, les deux parties ont considéré que le brevet concerné n’est pas essentiel au développement et à la mise sur le marché de Kymriah et ont par conséquent décidé de le retirer. »
Le responsable de la campagne prix du médicament de Médecins du monde, Olivier Maguet, analyse la situation différemment : « Le laboratoire ne voulait pas courir le risque de voir son brevet révoqué en séance publique, et ainsi révéler la fragilité des brevets qui protègent Kymriah, explique-t-il. Ils ne voulaient pas non plus qu'une telle séance puisse nous servir de tribune politique. »
« Notre métier n'est pas de faire contentieux sur contentieux, poursuit Olivier Maguet. Nous souhaitons, par ces actions, convaincre les 38 pays signataires de la convention européenne des brevets d'exiger un contrôle plus rigoureux des critères de brevetabilité de ces nouveaux médicaments dont l'impact sur les dépenses publiques est majeur. »
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