Pour lutter contre les trafics, la nouvelle convention pharmaceutique signée en mars dernier entre les syndicats d'officinaux et l’Assurance-maladie, prévoit que le pharmacien vérifie, à chaque délivrance, la validité des prescriptions des spécialités les plus onéreuses. Des dizaines de médicaments - dont le prix unitaire dépasse les 300 euros - des antiviraux d’action directe contre l’hépatite C, aux antirétroviraux pour le VIH, en passant par les anticancéreux ou les traitements de la DMLA.
À chaque passage au comptoir, il reviendra donc au pharmacien de vérifier l’authenticité de l’ordonnance, soit en consultant l’espace numérique de santé, soit en appelant directement le prescripteur. Faute réponse, le traitement ne sera délivré qu’à l’unité, dans un « conditionnement minimal ».
Un « non-sens » en termes de santé publique, selon le collectif de patients TRT-5 CHV, qui réunit des associations de lutte contre le VIH et les hépatites. Dans un courrier adressé le 3 mai au directeur de l’Assurance-maladie, le collectif dénonce ainsi « un dispositif dangereux, mettant en jeu la santé de personnes malades, guidé par des raisons économiques ».
Rupture d'accès au soin
Parce qu’elle touche particulièrement les patients vivant avec le VIH ou une hépatite virale, cette mesure de lutte contre la fraude risquerait « d’éloigner durablement du système de santé les personnes les plus vulnérables et de compromettre le lien de confiance établi entre le pharmacien et l’usager », craint TRT-5 CHV.
« Quand on parle de patients avec le VIH ou une hépatite C, ce sont parfois des patients nomades, qui ne vont pas chez les pharmaciens en bas de chez eux car ils craignent la stigmatisation, le médicament n’a pas forcément d’historique dans le dossier pharmaceutique », détaille Mélanie Jaudon, coordinatrice du collectif TRT-5 CHV.
Quant à contacter le prescripteur ? « C’est quasiment impossible, ce sont souvent des hospitaliers, qui ne sont pas disponibles, ne prennent pas les appels », ajoute-t-elle. Sans parler des patients étrangers, « qui ne comprendront pas ce refus de dispensation et ne seront pas en mesure d’argumenter », regrette encore Mélanie Jaudon, qui craint de « réels freins d’accès au soin » en limitant l'accès à ces traitements vitaux.
« Carton rouge »
Les inquiétudes des associations de patients sont partagées par l’Union syndicale des pharmaciens d’officine (Uspo), signataire de la convention pharmaceutique, mais qui avait déjà adressé un « carton rouge » à la mesure en mars dernier. Le syndicat d’officinaux dénonçait alors un dispositif « pas adapté », qui « entraînerait des difficultés d’accès aux soins pour certains patients ». « Neuf de ces médicaments sur dix sont hospitaliers, nous n’arriverons pas à avoir le médecin, on va prendre des patients en otage atteints de VIH, d’hépatite ou de cancer en otage », s'indigne Pierre-Olivier Variot, président de l'Uspo.
« Je suis pour la lutte contre la fraude, mais cette mesure va retarder de plusieurs jours la prise de traitement, c’est une hérésie », avance encore le pharmacien dijonnais. Depuis 2019, certains traitements onéreux de l’hépatite C ne sont plus réservés à la prescription hospitalière, facilitant le trafic via, par exemple, le vol d’ordonnance de généraliste. Une situation semblable pour les anticancéreux.
Tagrisso, Lynparza, Imbruvica : en décembre dernier, le Conseil de l’Ordre des pharmaciens alertait notamment sur la recrudescence « de circulation de fausses ordonnances hospitalières, à l'entête de différents hôpitaux implantés en Île-de-France, à Lyon, Marseille ou Toulouse ». « Mais ce n’est pas au patient de payer le prix de la lutte contre la fraude, ce sont aux autorités sanitaires de trouver des solutions pour lutter contre », pense Mélanie Jaudon.
Concertation
Ce jeudi 5 mai, la Cnam semble avoir entendu l’appel des patients et contacté par téléphone le collectif TRT-5 CHV pour mettre en place une concertation sur le sujet d’ici fin mai, aux côtés de France Assos santé, la fédération des associations de patients. Concertation déjà inscrite dans la convention pharmaceutique qui prévoyait de réunir les syndicats signataires, « les représentants des associations de patients et les syndicats de médecins » afin de définir les contours de cette mesure sensible.
« Lors de cette concertation, nous allons soit proposer qu’il y ait une entente préalable par l’Assurance-maladie avant la prescription de ces médicaments chers, soit que le médecin nous envoie un message via la messagerie sécurisée », illustre Pierre-Olivier Variot. Après ces plusieurs mois de dialogue, la mesure devrait entrer en vigueur dans les officines en septembre 2022. Mais le collectif de patient demande déjà un retrait « en urgence » de ce dispositif anti-fraude.
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