LE QUOTIDIEN : En première ligne, le métier de directeur d’hôpital est paradoxalement méconnu…
CLARA DE BORT : Médecin, policier, juge, prof ou artisan ont une consistance dans l’imaginaire collectif. Il y a même des livres, des séries qui les mettent en scène, de façon souvent positive…. Rien de tel pour un métier comme le nôtre, au contraire. Quand on voit le film Hippocrate, avec un directeur qui vient d’une multinationale, on se demande si on a rencontré les mêmes !
Cette méconnaissance existe-t-elle aussi chez les médecins ?
Oui, je le crois. Les stéréotypes et la défense de territoires ont la vie dure. Cela m’ennuie car je suis convaincue que cela nuit à la rencontre des compétences, des logiques, et des légitimités. Sur les réseaux sociaux, certains médecins me dénient tout droit à m’exprimer sur l’éthique du soin ou sur le fonctionnement d’une équipe, comme si le directeur d’hôpital devait se borner à faire de « l’administratif » dans son bureau et se taire sur le reste. Les mêmes râlent d’être incompris par les directeurs qui, disent-ils, ne descendent pas assez aux urgences et ne comprendront jamais la nature du soin…
Mais, de plan de retour à l’équilibre en réductions d’effectifs, n’est-il pas naturel que les médecins voient dans le directeur celui qui leur ôte les moyens de soigner correctement ?
Oui bien sûr, et en même temps, des décisions difficiles sont parfois nécessaires. Elles sont douloureuses pour le directeur, à moins qu’il ne soit sadique – il y en a sûrement, comme chez les médecins ! Le problème, c’est que l’hôpital, son financement, son territoire sont des sujets hyper complexes, difficiles à appréhender. Les décisions prises peuvent sembler ne pas avoir de sens. Mais les valeurs professionnelles de mes collègues directeurs ne sont pas moins dignes que celles de mes amis soignants. Dire non à une demande de moyens qui risque de mettre en péril l’hôpital, c’est préserver la capacité de soigner les patients de demain.
Beaucoup de médecins pensent que tout irait mieux sans directeurs…
C’est du poujadisme, ni plus ni moins. Loin de moi l’idée de dire que les directeurs sont tout le temps pertinents, ni d’ailleurs que les effectifs soignants sont suffisants. Les besoins sont infinis et les moyens sont finis. Il faut alors répartir les moyens de façon la plus juste et efficace. On peut se tromper, nous ne sommes pas une profession meilleure que les autres. Mais quand je prends un avion, je sais que le pilote qui a ma vie entre ses mains travaille d’autant mieux qu’il a un DRH qui s’occupe bien de lui et que le responsable de la maintenance a bien fait son boulot… De manière générale, à l’hôpital, on a tendance à sous-évaluer l’importance du système.
Votre blog est-il une tentative de réévaluation ?
En quelque sorte. Je pense que si les directeurs d’hôpitaux sont mal compris, c’est parce qu’ils ne parlent pas, en tout cas pas d’eux-mêmes. Ce blog me permet d’inciter mes collègues à se dévoiler : leurs motivations, leurs dossiers emblématiques. Certains refusent, car ils perçoivent un danger à dépasser le politiquement correct. Mon ambition, ce serait de participer au déblocage de la parole. J’aimerais que davantage de collègues me parlent de ce qui les anime, de leurs doutes aussi. C’est difficile, car dans ce métier, on a souvent le mauvais rôle. Mais nous l’avons tous choisi pour nous occuper des patients.
* directeurdhopital.com
** Association des directeurs d'hôpital
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