Comment les patients perçoivent-ils leur médecin, selon qu'il est homme ou femme ?

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Publié le 04/03/2022
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Les qualités techniques pour les hommes, la communication pour les femmes : dans le jugement du professionnel par le malade, le genre du médecin est très souvent pris en compte. L’analyse des avis sur les sites de notation de médecins aux États-Unis le démontre
Femme et homme ont une perception différente de leur médecin

Femme et homme ont une perception différente de leur médecin
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

« Quand tu rentres dans une chambre, tu dois toujours te présenter comme médecin, surtout si tu es accompagné d’un soignant homme. Parce que tu es une femme, la plupart des patients et des accompagnants auront tendance à te considérer comme une paramédicale », explique, dès le premier jour de stage, cette PU-PH parisienne à ses internes.

Un problème spécifiquement français ? Il ne semble pas puisque dans une tribune (1) sur les biais de genre en 2019 aux États-Unis, l’appel à témoignages de Marjorie Stiegler donnait de multiples exemples d’échecs à l’embauche, au choix de spécialité, de discrimination dans les équipes et de difficultés relationnelles avec les patients : « J'ai reçu une plainte d'un patient qui se plaignait de ne pas avoir vu de « docteur » pendant tout son séjour mais que l'infirmière en chef était géniale… Monsieur, non seulement j'ai fait la plupart de vos interventions chirurgicales, mais je me suis présenté en tant que "docteur" tous les matins ! ».

Historiquement, dans le milieu universitaire les chercheuses ont été traitées de manière différentiée en raison des perceptions et des préjugés de la société, les femmes étant souvent associées aux responsabilités familiales ou domestiques. Les chercheurs masculins recevaient plus de crédit pour leurs recherches parce que leurs candidatures à des bourses ou des financements étaient favorisées – consciemment ou non – par leurs pairs.

Les raisons de ces préjugés inconscients pourraient être dues aux perceptions et aux stéréotypes de la société que l’on retrouve aussi dans les relations médecins-patients. Ainsi, dès les années 2000, des travaux sur le sujet ont montré que les médecins hommes posaient plus souvent des questions d'ordre familial à leurs patientes qu'à leurs patients, que les praticiennes étaient plus impliquées dans la communication interpersonnelle avec leurs patients, ce qui a entraîné des consultations plus longues que celles de leurs collègues masculins…

À l'ère des réseaux sociaux, les avis en ligne jouent un rôle important dans la façon dont les internautes choisissent différents services, des restaurants aux médecins. L’approche genrée est, elle aussi, de mise dans les commentaires sur les médecins ? C’est cette dimension que Sonam Gupta et Kayla Jordan (Harrisburg, États-Unis) ont choisi d’étudier en se fondant sur l’analyse des verbatim dans des sites américains de notation des médecins tels que RateMDs ou ZocDoc. « Les avis en ligne sur les médecins sont particulièrement intéressants, car de nombreux facteurs allant au-delà de l'expertise du soignant peuvent influencer l'évaluation : les compétences interpersonnelles et les propres préjugés, par exemple. Ces facteurs non médicaux sont une source potentielle de préjugés sexistes à la fois positifs et négatifs », expliquent les auteurs.

Le ressenti tient aussi à l'attitude des médecins selon le genre

Premier constat, les internautes insistent sur le sexe du praticien majoritairement lorsqu’il s’agit d’une femme. Pour les hommes, le terme docteur est le plus souvent employé sans aucune mention au sexe.

Deuxième point : 97 % des notifications des médecins femmes comportent des éléments sur les « compétences sociales », contre 60 % pour les hommes. À l’inverse, les patients insistent plus souvent sur les compétences techniques des hommes.

Quels éléments influent sur l’avis du patient selon le genre ? Le premier contact – celui au lit du patient ou au cabinet – est déterminant. D’où l’importance d’une présentation immédiate comme médecin avant même que les préjugés de genre puissent influer. Viennent ensuite des éléments verbaux et non verbaux : le ton, les émotions positives et négatives, le langage.

L’analyse de 46 554 commentaires sur 3 552 médecins hommes et 2 647 femmes a montré que les patients ne prennent pas forcément en compte les mêmes facteurs dans une même mesure lorsqu'ils évaluent les médecins des deux sexes : le langage analytique était significativement plus important pour l'évaluation des médecins de sexe féminin que pour les hommes, tout comme le ton émotionnel et en particulier les émotions positives.

Dans l'ensemble, les facteurs utilisés par les patients pour juger les femmes médecins semblaient pondérés par leur caractère informel, positif et leur conformité aux préjugés de genre. À l’inverse, ce sont les dimensions techniques, professionnelles ou de sérieux qui était mis en avant pour les hommes.

Pour Sonam Gupta et Kayla Jordan, ce travail doit maintenant être complété par une observation factuelle du langage verbal et non verbal adopté par des médecins des deux sexes dans leurs relations avec leurs patients. Car le ressenti – et les notations des usagers – pourrait aussi refléter la réalité de la différence de relation médecin-patients selon le genre des protagonistes. Pour que le ressenti de la relation puisse être réellement comparé, il faudrait avant tout que les médecins, quel que soit leur sexe, se comportent de façon identique avec les patients. Ce qui est loin d’être le cas. Pour les auteurs, « nos résultats suggèrent que les patients, ainsi que les médecins, devraient être conscients de leurs préjugés inconscients, car ils peuvent entraver la relation médecin-patient ».

(1) Salles, A. (2019, July 23). Gender bias narratives in medicine. Physician's Weekly. https://www.physiciansweekly.com/gender-bias-narratives-in-medicine
(2) Understanding gender bias toward physicians using online doctor reviews.
Sonam Gupta, Kayla Jordan. Psychology of Language and Communication 2022, Vol. 26, No. 1 DOI: 10.2478/plc-2022-0002



Source : Le Quotidien du médecin