L'État a-t-il failli ? L'exécutif a-t-il été à la hauteur ? Deux commissions d'enquête – à l'Assemblée nationale et au Sénat – s'ouvrent pour disséquer la gestion de la crise du coronavirus. Une séquence délicate dans laquelle tous les sujets sont passés au crible.
Emmanuel Macron l'avait promis le 31 mars en pleine crise épidémique : « Le temps viendra de la responsabilité, il est légitime et démocratique, et la transparence complète devra être faite ». Ce temps est arrivé.
Une commission d'enquête a été installée cette semaine à l'Assemblée nationale. Mardi, c'est le Pr Jérôme Salomon, directeur général de la santé (DGS), qui a lancé le bal des auditions, interrogé pendant plusieurs heures. Directeurs d'agences sanitaires (actuels et passés), ministres en exercice et anciens locataires de Ségur – dont Agnès Buzyn – mais aussi autorités scientifiques (le Pr Jean-François Delfraissy, le Pr Didier Raoult, etc.) doivent se succéder pendant des semaines devant les 32 députés de cette commission investie de pouvoirs d'investigation élargis : ses convocations sont obligatoires sous peine de sanctions pénales, les auditions se déroulent sous serment et ses membres peuvent réaliser des contrôles sur pièces.
L'exemple allemand
Pour l'exécutif, la séquence est d'autant plus délicate que l'opposition ne manquera pas de tirer profit de cette tribune. Gestion des stocks de masques et des matériels de protection, doctrine en matière de dépistage, prise en charge dans les EHPAD, liberté de prescription médicale, confinement mais aussi pénurie de médicaments… Pour le député Éric Ciotti (LR), rapporteur de cette commission d'enquête, il s'agit d'évaluer objectivement « les fautes, les failles et les dysfonctionnements majeurs » qui « n'ont pas permis à notre pays d'obtenir les mêmes résultats que certains, comme l'Allemagne ». Il faudra examiner « tous les éléments qui ont amené à ce retard à l'allumage », a prévenu le député de la France insoumise Alexis Corbière. Les parlementaires sont en tout cas déterminés à faire toute la lumière sur la gestion de cette épidémie qui a fait plus de 29 000 morts en France.
À partir du 23 juin, les sénateurs devraient installer une instance similaire. Fait exceptionnel, l'Élysée a laissé entendre qu'il pourrait ouvrir sa propre commission d'enquête pour porter « un regard indépendant et collégial » sur le travail de l'exécutif. « Nous avons cru à une fake news. Nous sommes stupéfaits ! », a sermonné sur Twitter le président du Sénat Gérard Larcher (LR) évoquant une « confusion des pouvoirs ».
À ces initiatives parlementaires s'ajoutent les dizaines de plaintes et recours – souvent engagés par des collectifs de soignants – contre l'action publique et la gestion de crise du gouvernement (lire page 3).
« Nous n'avons pas à rougir »
Lors d'une première audition au Sénat, Olivier Véran a eu un avant-goût du tir de barrage des parlementaires. Le ministre a aussi levé le voile sur sa ligne de défense.
Sans surprise, la gestion des stocks de masques (lire aussi page 5) est au cœur de la polémique sur la stratégie. Le gouvernement aurait-il pu anticiper la situation ? La distribution contingentée a-t-elle été ajustée à la réalité de la pénurie ? « Depuis 2005, la cible officielle est un stock d'État d’un milliard de masques, cette jauge a été confirmée par les experts de Santé publique France en mai 2019. Comment expliquer les tergiversations qui ont suivi ? », questionne Catherine Deroche, sénatrice (LR) du Maine-et-Loire. « Face au manque, n'a-t-on pas bâti une doctrine ad hoc indiquant qu'il était peu utile de porter un masque pour se prémunir du Covid-19 ? », suggère le sénateur (MoDEM) du Pas-de-Calais Jean-Marie Vanlerenberghe.
« Quand je suis arrivé, il y avait 120 millions de masques », a répliqué Olivier Véran sans « jeter la pierre » à ses prédécesseurs. Et le ministre de la Santé d'interroger à son tour les parlementaires : « Notez qu’un milliard de masques distribués en population générale, cela aurait suffi pour cinq à six jours seulement, comment faire ? ». D'où le choix assumé de privilégier les soignants les plus exposés...
Quant à la doctrine, le port du masque en population générale dans l'espace public est effectivement préconisé par l'OMS « mais seulement depuis le 5 juin », défend le locataire de Ségur qui assure avoir suivi les recommandations scientifiques. Cette ligne de l'expertise sera aussi avancée sur l'hydroxychloroquine. « Il faut faire en sorte que la science l'emporte sur toute autre considération, notamment politique », s'est agacé Olivier Véran regrettant « l'agressivité » que suscite cette question.
Des milliers de vies sauvées ?
La pénurie durable de tests PCR ? « Nous n'avions pas de tests au début de l'épidémie parce que ceux-ci n'existaient pas ! », balaye le neurologue confronté, là encore, à la comparaison délicate avec le dépistage massif pratiqué en Allemagne.
Parfois accusé d'avoir déprogrammé trop tôt l'activité non-urgente dans les hôpitaux, le ministre assume. « Si nous n'avions pas eu dix à quinze jours d'avance entre le déclenchement du plan blanc et l'arrivée du virus, nous aurions connu un scénario à l'italienne », affirme-t-il.
Le gouvernement plaidera qu'il a agi au mieux face à une situation exceptionnelle. « Nous n’avons pas à rougir, mes chers compatriotes, de notre bilan. Des dizaines de milliers de vies ont été sauvées par nos choix, par nos actions », a vanté Emmanuel Macron dimanche 14 juin. Un plaidoyer pro domo désormais à l'épreuve des commissions d'enquête et de la justice.