Cour de justice de la République, parquet de Paris, Conseil d'État… Depuis la mi-mars, une pluie de plaintes et de recours ont visé les membres du gouvernement et les autorités de santé et attaqué leurs décisions dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire.
La plupart des plaintes déposées devant la Cour de justice de la République (CJR), seule compétente pour examiner les crimes ou délits commis par des membres du gouvernement lors de leurs fonctions, visent le premier ministre Édouard Philippe et le ministre de la Santé Olivier Véran, ainsi que sa prédécesseure Agnès Buzyn. Plusieurs d'entre elles ont été déposées directement par des médecins, dont la dernière en date par 45 praticiens hospitaliers et libéraux, pointant la pénurie de masques, de tests, de réactifs et de médicaments, ou encore l'« ingérence » de l'État dans la liberté de prescription. En tout, la CJR recensait 80 plaintes déposées début juin devant sa commission des requêtes (première étape avant l'instruction). Un chiffre « sans comparaison possible », indiquait récemment la juridiction d'exception.
« Nous saurons bientôt si les plaintes sont instruites, normalement avant la fin du mois de juin », confie Me Fabrice Di Vizio. Cet avocat représente le collectif de médecins baptisé C19, qui a ouvert le bal devant la CJR dès la mi-mars, en accusant Édouard Philippe et Agnès Buzyn de s'être abstenus « volontairement » de prendre les mesures nécessaires pour endiguer un sinistre (en l'espèce l'épidémie), délit sanctionné par le Code pénal. Pour démontrer cette « négligence coupable » dans la gestion d’une crise dont ils auraient pourtant su la gravité, le collectif et son conseil s'appuient notamment sur les propos d'Agnès Buzyn, le 17 mars 2020 dans les colonnes du « Monde », affirmant qu'elle était au courant de l'arrivée de l'épidémie. « Il est impossible que notre plainte ne passe pas en instruction, affirme Me Di Vizio, d'autant que le Parquet de Paris a envoyé un signal fort en ouvrant une enquête préliminaire. Je suis très optimiste. »
Mise en danger
De fait, le 8 juin, le parquet de Paris a ouvert de son côté une vaste enquête préliminaire sur la gestion de crise visant les chefs de « mise en danger de la vie d’autrui », d'« homicides et blessures involontaires » et « non-assistance à personne en péril ». Une initiative forte du procureur de Paris après avoir reçu lui aussi une quarantaine de plaintes de la part de citoyens, proches de victimes ou d'organisations professionnelles à l'encontre de décideurs nationaux (hors membres du gouvernement) dont des directeurs d'agence régionale de santé (ARS), Santé publique France ou encore le directeur général de la Santé (DGS) Jérôme Salomon.
L’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP), chargé de l'enquête, devra « mettre au jour d’éventuelles infractions pénales ». Cette enquête préliminaire pourrait déboucher sur l'ouverture d'une information judiciaire et la désignation d'un juge d'instruction. La procédure pourrait ensuite durer plusieurs années.
Référés favorables à l'exécutif
En parallèle des plaintes contre les membres du gouvernement ou les autorités de santé, plusieurs dizaines de référés ont atterri devant le Conseil d'État visant des décisions de l'exécutif « portant atteinte à une liberté fondamentale » comme le droit à la vie ou le droit pour un patient de recevoir un traitement approprié. Là encore, de nombreuses requêtes émanent de syndicats de médecins ou de paramédicaux.
Un syndicat du CHU de Lille demandait de modifier la doctrine restrictive d’emploi des masques FFP2 en milieu hospitalier, en indiquant qu'ils doivent être portés par « tout personnel soignant » amené à réaliser des manœuvres au niveau des voies respiratoires (...). Il exigeait aussi une dotation suffisante en FFP2 et un renouvellement régulier du stock. De son côté, le syndicat Jeunes Médecins plaidait qu'il soit ordonné à l’État de prendre des réquisitions massives pour assurer la fourniture de masques, surblouses et lunettes de protection aux professionnels de santé. Dans les deux cas, la plus haute juridiction administrative a rejeté ces requêtes, considérant que les mesures prises par l'État – notamment les commandes de plusieurs centaines de millions de masques et leurs distribution prioritaire aux soignants – avaient été suffisantes.
Fin mars déjà, le Conseil d'État avait débouté des soignants (dont le Syndicat des médecins Aix et région — SMAER) qui l'avaient saisi en référé pour réclamer des masques, des « moyens de dépistage massif » du coronavirus et l'autorisation pour les médecins et hôpitaux de prescrire de la chloroquine « aux patients à risque ».
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